Courbet, Pissarro, Cézanne, Van Gogh… Ils sont ici une cinquantaine à avoir fixé leur miroir avant de fixer leur toile. Grâce au généreux soutien du musée d’Orsay, plus de 70 œuvres (peintures, sculptures, estampes, photographies…) sont désormais réunies au musée Crozatier du Puy-en-Velay à la faveur d’une exposition consacrée à l’autoportrait d’artiste entre la fin du XIXe et le début du XXe siècle ; entre désir de reconnaissance et envie d’émancipation, elles témoignent de l’éternelle quête d’introspection qui depuis la Renaissance anime les artistes, tout en donnant à voir les multiples visages qu’ils donneront à la modernité.
Mélancolique Bonnat
Bien avant de devenir le portraitiste officiel de la IIIe République, Léon Bonnat (1833-1922) darde ici sur nous, à l’aube du Second Empire, un regard appuyé, son visage mélancolique posé contre sa main conformément aux codes de la Renaissance. Récemment honoré d’une grande rétrospective orchestrée dans sa ville natale de Bayonne à l’occasion du centenaire de sa mort (voir EOA N° 592, pp. 34-41), le peintre se représente, du haut de ses vingt-deux ans, en artiste romantique. Dans ce sombre autoportrait, Bonnat se distingue de ses pairs en choisissant, comme le fera Degas une dizaine d’années plus tard, de se figurer devant un paysage. Ces montagnes enneigées interrogent : s’agit-il des Pyrénées de son enfance ou bien des Alpes, porte vers cette Italie que l’obtention du prix de Rome pourrait lui ouvrir ?
Un guerrier nommé Carriès
« M Moy », annonce d’emblée l’artiste sur la partie avant du buste. Arborant une armure et un morion, cet autoportrait imaginaire de Jean Carriès (1855-1894) aux traits émaciés doit beaucoup à l’art espagnol du XVIIe siècle. Cette manière de se mettre en scène à grand renfort d’accessoires d’atelier n’est pas sans rappeler, plus au nord, une habitude très prisée de Rembrandt. Ces différentes références et la mélancolie du regard confèrent finalement à l’œuvre une étonnante douceur teintée d’introspection, bien loin de la martialité que ce Guerrier pourrait de prime abord inspirer. Carriès livrera plusieurs figures de ce type durant sa carrière, immortalisant la poétesse Louise Labé, le peintre Diego Velázquez… ou encore la tête coupée du roi Charles Ier.
Un « autoportrait sauvage »
On dénombre près de quarante autoportraits de Vincent Van Gogh (1853-1890), dont la moitié fut exécutée entre 1886-1888 lors de son séjour parisien. C’est de cette période que date cette effigie, quelques mois après son installation dans la capitale française. L’artiste vient d’y découvrir l’art de Monet et de Pissarro, tous deux exposés par son frère Théo, ainsi que celui de Seurat, qui triomphe alors avec le dévoilement de sa Grande Jatte. Cette révélation de la puissance expressive de la couleur et de l’inventivité du pointillé infuse intensément dans l’art du peintre néerlandais. Son autoportrait rayonne tel « un soleil brillant dans un ciel bleu nuit », un arrière-plan qui préfigure déjà les ciels d’Auvers-sur-Oise. Les brusques coups de pinceau appliqués par Van Gogh valurent à la toile le surnom d’« autoportrait sauvage ».
Émile Bernard synthétique
« Pour ton portrait – tu sais – je l’aime beaucoup. (…) Je t’engage fortement d’étudier le portrait ; faites-en le plus possible et ne lâchez pas – l’avenir selon moi est là-dedans », confiait Vincent Van Gogh à son « cher copain » Émile Bernard (1868-1941). Le jeune artiste suivra le conseil de son aîné : comme lui, il déclinera en un demi-siècle cet exercice d’introspection en une quarantaine d’autoportraits. Âgé d’une vingtaine d’années, Bernard est ici à l’aube de sa carrière. Réalisée à l’aide d’un miroir, l’effigie de l’artiste est reproduite à l’envers ; il reprend la pose de trois quarts déjà adoptée plus tôt pour son premier portrait offert à Van Gogh. On reconnaît à l’arrière-plan ses Baigneuses à la vache rouge, toile faisant partie d’un triptyque décoratif peint à son retour de Pont-Aven. Cet autoportrait est caractéristique du synthétisme prôné par l’artiste, mouvement antinaturaliste rejetant les détails, écrasant les volumes et traitant les couleurs franches en aplats cernés de noir.
L’autoportrait au féminin
1911. Clémentine-Hélène Dufau (1869-1937) est au sommet de sa gloire après plusieurs réalisations prestigieuses, à l’image des décors commandés pour la villa Arnaga d’Edmond Rostand (1906) et de celui dédié aux sciences livré à la Sorbonne. Elle choisit d’immortaliser sa silhouette étonnamment longiligne dans un spectaculaire autoportrait en pied. Nous jetant un regard complice, l’artiste s’y représente comme surprise dans son intérieur, vêtue d’une élégante robe orientalisante qui n’est pas sans rappeler les costumes du spectacle Shéhérazade donné par les Ballets russes un an plus tôt.
Olivier Paze-Mazzi
Catalogue de l’exposition
Autoportraits. De Cézanne à Van Gogh
Collections du musée d’Orsay & des musées Auvergne-Rhône-Alpes
144 p., 22 €.
À commander sur : www.faton-beaux-livres.com
« Autoportraits. De Cézanne à Van Gogh. Collections du musée d’Orsay et des musées d’Auvergne-Rhône-Alpes »
Jusqu’au 17 septembre 2023 au musée Crozatier
2 rue Antoine Martin, 43000 Le Puy-en-Velay
Tél. 04 71 06 62 40
www.musee.patrimoine.lepuyenvelay.fr