La dispersion chez Christie’s, entre Londres et Paris, des trésors des collections de Sam Josefowitz (1921-2015), entrepreneur visionnaire et mécène éclairé, n’a pas échappé aux musées français et internationaux. Le musée d’Orsay et le musée Fabre de Montpellier ont ainsi judicieusement exercé leur droit de préemption, tandis que le très actif Cleveland Museum of Art s’offrait une rare estampe de Degas. Cher au cœur du collectionneur, le musée de Pont-Aven a par ailleurs annoncé immédiatement après la vacation parisienne l’acquisition, grâce à un don des Amis du musée, d’une toile de Robert Murdoch Wright (1858-1926) documentant l’existence sur place d’une colonie anglo-saxonne. Un troisième volet sera proposé à New York début 2024.
Né en Lituanie en 1921, Sam Josefowitz a vécu aux États-Unis dès 1938. Entrepreneur visionnaire et d’une curiosité insatiable, il a pu grâce à sa réussite financière constituer une extraordinaire collection d’art incluant des chefs-d’œuvre de l’Antiquité à la période post-impressionniste. Ébloui par les bas-reliefs assyriens tout autant que par les gravures de Rembrandt ou les toiles de Caillebotte, il se passionne pour la peinture radicale de l’école de Pont-Aven à l’occasion d’une exposition à Paris en 1955, « Bonnard, Vuillard et les Nabis ». L’année suivante, il se rend pour la première fois à Pont-Aven afin d’y découvrir les différents aspects du mouvement artistique. L’ensemble d’œuvres qu’il acquiert au fil des années donnera lieu à de nombreux prêts muséaux et à une exposition majeure sur ce thème.
Un nouveau Georges-Daniel de Monfreid pour le musée Fabre
Ami de Gauguin, Verlaine et Maillol, le peintre post-impressionniste Georges-Daniel de Monfreid (1856-1929) est longtemps demeuré dans l’ombre de son fils, l’écrivain aventurier Henry de Monfreid. Une exposition organisée au musée d’art Hyacinthe Rigaud de Perpignan lui rendait l’an dernier hommage en retraçant sa carrière, près de vingt ans après celle déployée à Alençon et Narbonne. Le très actif musée Fabre de Montpellier n’a pas manqué de jeter son dévolu parmi les toiles de la collection Josefowitz sur le splendide portrait que l’artiste livre en février 1896 de son ami le poète Gustave Le Rouge (1867-1938) : préempté pour 69 300 €, il rejoint plusieurs acquisitions récentes du musée qui s’était notamment offert en 2017 l’autoportrait de l’artiste avant qu’un don ne l’enrichisse en 2020 d’un admirable portrait du peintre René Andreau. Gustave Le Rouge ne profitera guère de son effigie : quatre ans après sa réalisation, sa situation financière précaire le contraint de le céder pour 150 francs au peintre et collectionneur Gustave Fayet (1865-1925).
Un nu moderniste d’Émile Bernard en route pour Orsay
Âgé d’une vingtaine d’années, le jeune Émile Bernard (1868-1941) imagine d’abord ces Baigneuses aux nénuphars comme un élément d’une frise destinée à orner l’atelier en bois construit pour lui par sa grand-mère à l’automne 1887, après l’installation de la famille à Asnières. Il a judicieusement été préempté pour 819 000 € (frais inclus) par le musée d’Orsay qui conserve déjà depuis 1984 la partie centrale de ce décor, Baigneuses à la vache rouge. Une troisième œuvre demeure en collection particulière. La dimension décorative de cet ensemble est particulièrement tangible au sein de deux autoportraits de l’artiste : préempté par le musée d’Orsay en 2019, l’Autoportrait aux nus déploie notamment à l’arrière-plan des parties unifiées de ces toiles. L’ensemble sera acquis en 1901 auprès de l’artiste par le marchand Antoine Vollard. Audacieuse, la composition des Baigneuses aux nénuphars, conçue à partir d’esquisses disparates, fait fi des conventions et des attentes esthétiques du spectateur en rendant presque inexistantes les interactions entre les personnages : une radicalité qui préfigure déjà celle des Demoiselles d’Avignon, peintes vingt ans plus tard.
Une estampe de Degas en route pour l’Amérique
Le Cleveland Museum of Art a immédiatement emboîté le pas au musée d’Orsay en s’offrant pour 201 600 € (frais inclus) une rare estampe d’Edgar Degas (1834-1917). L’artiste y dévoile l’intimité de deux actrices concentrées sur leur préparation en amont du spectacle. Au premier plan, l’une est occupée à dompter sa chevelure face au miroir ; plus loin, la seconde est figurée debout dans sa loge, tournant le dos au spectateur. Les tirages de ces Loges d’actrices sont particulièrement rares sur le marché : on ne connaît que huit impressions de ce cinquième et dernière état, dont cinq étaient jusqu’à présent conservées dans des collections publiques.
Nathalie Mandel et Olivier Paze-Mazzi