Le musée de l’Œuvre Notre-Dame poursuit la mise en valeur des arts entre le haut Moyen Âge et le XVIIe siècle en consacrant une superbe exposition à l’ultime Renaissance à Strasbourg, entre 1560 et 1600. D’exceptionnelles peintures en grisailles et des gravures exubérantes dialoguent avec des sculptures, vitraux, livres et pièces d’orfèvrerie pour donner à comprendre cette période encore très méconnue.
Sans doute n’avez-vous jamais entendu parler de Tobias Stimmer et Wendel Dietterlin, les deux artistes autour desquels s’articule le parcours, et pour cause, nous ne conservons presque rien des spectaculaires peintures murales et des œuvres qui ont fait leur célébrité. Destructions et dispersions ont, de manière générale, malmené les arts durant cette période troublée qui a, de fait, suscité jusqu’à présent fort peu de recherches. Pourtant, après le net ralentissement de l’activité lié à l’introduction précoce de la Réforme, artistes et artisans d’art reprennent du service au mitan du siècle. Et malgré l’absence de princes, de prélats et bientôt de couvents (ils sont supprimés en 1577), la ville libre d’Empire regorge de bâtiments officiels et de maisons de riches particuliers à décorer.
Une renaissance architecturale
Idéalement situé au carrefour des grandes routes d’Europe, ce haut lieu de l’humanisme se révèle, sans surprise, perméable aux influences diverses et en particulier aux canons antiques revisités par les maîtres italiens. En témoignent les vitraux civils, meubles ou objets du quotidien réunis ici pour dialoguer avec les éléments d’architecture (colonnes, portes, fontaine…) qui ponctuent habituellement le premier étage du parcours permanent transformé pour l’occasion. Car l’une des forces de cette exposition aussi érudite que didactique, portée par une élégante scénographie, est sans conteste la parfaite adéquation entre le propos et son écrin. En 1579 en effet, le siège historique de la Fondation de l’Œuvre Notre-Dame dans lequel est aujourd’hui déployé le musée se voit doté d’une aile nouvelle qui est le premier édifice civil de style Renaissance à Strasbourg. La salle des Administrateurs, que l’on découvre à la fin du parcours, est bientôt décorée de remarquables boiseries marquetées dans le pur style italien, tout juste restaurées ; c’est également à cette époque que la salle de la loge située au rez-de-chaussée est ornée d’un élégant décor peint de grotesques dont il reste de beaux vestiges. Intérieures ou extérieures, les peintures murales sont plusieurs fois évoquées au fil de l’exposition ; la maison de l’Œuvre Notre-Dame elle-même en était recouverte, comme en attestent des relevés du XIXe siècle.
Un bastion de l’humanisme
Cité-refuge pour des artistes protestants, tels le Français Étienne Delaune ou l’Allemand Théodore de Bry, la ville s’impose comme un foyer culturel de premier plan lorsque le Suisse Tobias Stimmer (1539-1584) s’y installe, en 1571. Ce peintre de renom est chargé par le mathématicien Conrad Dasypodius d’imaginer le décor de son extraordinaire horloge astronomique. Au cœur de l’exposition, à quelques pas seulement de ce joyau de sciences et d’arts qui attire chaque année dans la cathédrale plus de trois millions de visiteurs, on découvre les dix grisailles sur toile réalisées par le peintre suisse pour servir de modèles aux sculptures des douze apôtres, des quatre âges de la vie ou des sept chars des dieux des planètes. Tout juste restauré, cet ensemble rarissime est dévoilé en regard de sculptures originales.
Artistes et érudits
Bien inséré dans les milieux intellectuels de la ville, l’artiste se lie avec d’éminents érudits auxquels l’exposition accorde une place de choix, tels que Johann Fischart (l’un des premiers écrivains en langue allemande), et Jean Sturm (fondateur du Gymnase, célèbre école protestante humaniste). Le prolifique Stimmer réalise d’ailleurs par centaines des illustrations pour divers ouvrages publiés par les imprimeurs libraires strasbourgeois : bible, traités d’escrime, d’agriculture ou de dessin, etc. C’est également par le biais des gravures que Wendel Dietterlin (1551-1599), Allemand établi très jeune à Strasbourg, est passé à la postérité. À l’instar de Stimmer, il a conçu de nombreux décors muraux dont nous ne conservons plus que quelques traces grâce à des esquisses, archives et relevés anciens. La fougue et la fantaisie que l’on y devine s’expriment avec bonheur dans les planches du traité d’architecture édité par l’artiste à Stuttgart et Strasbourg en 1593-1594, ouvrage qui connut un grand retentissement, non pas auprès des architectes mais des ornemanistes. D’une stupéfiante créativité, la soixantaine de gravures dans laquelle fusionnent éléments du gothique tardif et ordres antiques, êtres animés et végétaux, annonce déjà les exubérances du baroque.
Myriam Escard-Bugat
« Strasbourg 1560-1600. Le renouveau des arts »
Jusqu’au 19 mai 2024 au musée de l’Œuvre Notre-Dame
3 place du château, 67000 Strasbourg
Tél. 03 68 98 50 00
www.musees.strasbourg.eu
Catalogue, éditions des musées de Strasbourg, 276 p., 45 €.