Alors qu’Aix-en-Provence s’apprête à célébrer en 2025 le « père de l’art moderne », notamment par le biais d’une grande exposition déployée au musée Granet, la direction du patrimoine de la Ville vient de révéler avoir fait la découverte sur les murs du « Grand Salon » de la bastide du Jas de Bouffan, propriété familiale de Cézanne actuellement en cours de restauration, des fragments d’une peinture murale. Formellement authentifiés par la Société Paul Cézanne, ils remettent en cause certaines certitudes à propos de la chronologie de l’œuvre de l’artiste.
Août 2023. Alors que la restauration de la bastide familiale du peintre bat son plein en prévision de son ouverture au public en 2025, des sondages mettent en évidence sur les murs du « Grand Salon » des traces d’une fresque de 5 à 6 m2 qui correspondrait à la toute première œuvre réalisée in situ par l’artiste.
Cachée par un jeu de cache-cache
Certes, l’ensemble ne paie pas de mine : particulièrement lacunaire, la fresque révélée a en effet disparu aux quatre cinquièmes. Cézanne lui-même avait décidé d’en occulter la partie centrale en peignant par-dessus une scène inspirée du peintre Nicolas Lancret (1690-1743) représentant un jeu de cache-cache (Hiroshima, Nakata Museum). Ainsi, seuls les contours de l’œuvre initiale sont aujourd’hui visibles : on distingue de part et d’autre des encadrements d’architectures dominés par un large ciel brumeux dans lequel flottent des oriflammes accrochés au mat d’un bateau. On devine ici la représentation d’un port, probablement inspirée par une gravure de Claude Gellée dit « le Lorrain » (1600-1682). Le jeune artiste rend ici hommage à l’un de ses maîtres anciens favoris.
« Une chambre d’adolescent d’aujourd’hui »
Acquis en 1859 par le père de l’artiste, le Jas de Bouffan sera pour le jeune Cézanne un formidable champ d’expérimentation. Durant dix ans, il ornera de vastes peintures les murs du « Grand Salon », un projet que l’historien de l’art Joseph Rishel compare « à une chambre d’adolescent d’aujourd’hui, dont les murs seraient totalement envahis ». En somme, il s’agit davantage pour le peintre en devenir d’un laboratoire que d’un ensemble réellement cohérent.
Un ensemble dépecé
Lorsque le domaine est vendu en 1899, les nouveaux propriétaires, la famille Granel-Corsy, manque de l’argent nécessaire à la mise hors d’eau de la bâtisse. Disposant d’une pièce entièrement ornée de peintures d’une gloire de la peinture moderne, elle décida de transposer progressivement ce décor sur toile. Il sera dispersé, entre 1912 et 1957, sous la forme d’une trentaine de tableaux : les panneaux des Quatre Saisons que Cézanne avait crânement signés « Ingres » sont ainsi aujourd’hui au Petit Palais et le portrait du père de l’artiste trône désormais à la National Gallery de Londres. L’alcôve qui les abritait avait été récemment reconstituée au sein de la belle exposition que le musée de l’Orangerie avait consacrée en 2022 au décor impressionniste (voir EOA HS n° 157). Les vestiges aujourd’hui mis au jour constituent donc les ultimes traces in situ des expérimentations auxquelles se livra l’artiste dans le salon familial.
Une nouvelle chronologie
Dans quel ordre les peintures du « Grand Salon » furent-elles réalisées ? On avait jusqu’à présent coutume de considérer les Quatre Saisons comme les premières expérimentations de Cézanne sur les murs de la bastide. La simplicité de la facture décorative des fragments aujourd’hui découverts suggère leur exécution par un Cézanne particulièrement jeune. Ce n’est ensuite qu’à partir de 1863, lorsque l’artiste regagne Paris et découvre le Salon des refusés, Manet et Courbet, que sa manière évoluera radicalement, suscitant une deuxième campagne de peinture.
Olivier Paze-Mazzi