L’art autrement : regards choisis sur l’art.

 

Les guerres de religion au château de Chantilly. Portraits d’un royaume déchiré

Paul Delaroche (1797-1856), L’Assassinat du duc de Guise au château de Blois en 1588, 1834. Huile sur toile, 98 x 57 cm. Chantilly, musée Condé. Photo service de presse. © RMN-Grand Palais (Domaine de Chantilly) / Michel Urtado
Paul Delaroche (1797-1856), L’Assassinat du duc de Guise au château de Blois en 1588, 1834. Huile sur toile, 98 x 57 cm. Chantilly, musée Condé. Photo service de presse. © RMN-Grand Palais (Domaine de Chantilly) / Michel Urtado

Le fonds exceptionnel du musée Condé relatif aux guerres de Religion est à l’honneur dans sa nouvelle exposition. Portraits dessinés, peints, gravés, estampes et documents historiques interrogent le rôle de l’image dans cette guerre civile et portent un regard renouvelé sur une page tragique de l’histoire de France.

La balafre du duc de Guise, le voile noir de Catherine de Médicis, la boucle d’oreille d’Henri III. Nombreuses sont les images, quasiment métonymiques, qui convoquent à elles seules l’une des périodes les plus troublées de notre histoire, les guerres civiles et confessionnelles qu’a traversées la France durant la seconde moitié du XVIe siècle, connues sous le nom de guerres de Religion. Si les caractéristiques physiques ou les éléments de costume de certains de ces personnages sont devenus de véritables topoï visuels et littéraires, c’est que leurs portraits ont été patiemment et adroitement construits dès cette époque. L’exposition qui ouvre au musée Condé se propose de revenir sur ces images et leurs ressorts, mais aussi de mettre des visages sur des partis, des batailles, des traités et des massacres. Car l’une des pages les plus tragiques de notre histoire a avant tout été incarnée par des hommes et des femmes dont il s’agit de restituer l’apparence et de comprendre les fondements de leurs représentations.

Des partis et des hommes

Après la mort d’Henri II au cours du funeste tournoi du 10 juillet 1559, la France sombre peu à peu dans la crise. La fracture de l’unité du royaume ne s’exprime pas seulement par l’opposition de deux religions générée par la croissance spectaculaire du calvinisme au cours des années 1550. Elle se manifeste aussi par la constitution progressive de « partis », regroupant nombre des protagonistes de l’affrontement politique et militaire qui va déchirer la France pendant plusieurs décennies. Le parti huguenot se constitue rapidement pour défendre les intérêts des protestants. La réforme prônée par Jean Calvin touche en effet progressivement une grande part de la société, notamment la noblesse. Stimulés par une foi intense, les protestants croient que le royaume de France peut tout entier se convertir. Le terme de « huguenot », synonyme de factieux et de clandestin selon la terminologie du XVIe siècle, est utilisé par leurs soins pour qualifier l’organisation politique et militaire qu’ils mettent en place, surtout à partir de 1562 et des premiers massacres.

Le clan Coligny

Le premier prince de Condé en prend la tête, avec l’amiral de Coligny, son frère d’Andelot ou Jeanne d’Albret, en s’appuyant sur des relais à l’étranger. Une abondante littérature politique est publiée pour justifier leurs prises d’armes. Il faut également diffuser l’image des chefs de ce parti : les portraits de cour, dessinés ou peints par les Clouet, sont remplacés par des images plus belliqueuses, souvent gravées et relayées par l’Europe protestante.

François Clouet et atelier, François de Coligny, seigneur d’Andelot (1521-1569), vers 1555-1558. Pierre noire et sanguine, rehauts de bleu dans les yeux. Chantilly, musée Condé. Photo service de presse. © RMN-Grand Palais (Domaine de Chantilly) / René-Gabriel Ojéda
François Clouet et atelier, François de Coligny, seigneur d’Andelot (1521-1569), vers 1555-1558. Pierre noire et sanguine, rehauts de bleu dans les yeux. Chantilly, musée Condé. Photo service de presse. © RMN-Grand Palais (Domaine de Chantilly) / René-Gabriel Ojéda

… contre les Guises

Face à eux, les catholiques zélés sont déterminés à éradiquer l’« hérésie » protestante. À la tête de cette mouvance radicale se trouvent parmi les plus grands personnages du royaume, tels qu’Anne de Montmorency, connétable de France, membre d’un puissant triumvirat, et surtout trois générations de membres de la maison de Guise. Cette branche cadette de la maison de Lorraine passée au service du roi de France se considère comme le bras armé de Dieu pour lutter contre le calvinisme. Sous le règne de François II (1559-1560), les Guises utilisent leur position d’oncles de la reine Marie Stuart pour s’imposer à la cour et demeurent tout puissants sous Charles IX puis Henri III. Ils développent une véritable politique de l’image, capable de mobiliser leurs vastes réseaux, leur permettant d’apparaître comme les seuls vrais opposants au péril protestant. Leurs portraits, diffusés sur tous les supports possibles, mettent en lumière l’unité et la puissance de leur maison.

François Clouet (vers 1515-1572), Charles, cardinal
de Guise puis de Lorraine (1524-1574), vers 1550. Pierre noire et sanguine. Chantilly, musée Condé. Photo service de presse. © RMN-Grand Palais – Domaine de Chantilly
François Clouet (vers 1515-1572), Charles, cardinal de Guise puis de Lorraine (1524-1574), vers 1550. Pierre noire et sanguine. Chantilly, musée Condé. Photo service de presse. © RMN-Grand Palais – Domaine de Chantilly

L’explosion de la violence et de l’image

Des tentatives de conciliation existent, notamment portées par la reine-mère Catherine de Médicis. Au sein de sa Maison, elle accueille les grands noms des camps catholiques et protestants, souvent par l’intermédiaire de leurs mères, sœurs, épouses ou filles. Pour la reine qui commande les portraits de ces dernières, les dames sont de véritables médiatrices qui détiennent une certaine capacité d’apaisement ; leurs représentations par François Clouet, montrées dans l’exposition, figurent comme un essai de mise en ordre d’une société et d’une noblesse alors fracturées. Las, la montée des tensions qui aboutit à la terrible Saint-Barthélemy sonne le glas de cette politique de concorde. L’exposition dévoile d’ailleurs l’une des reliques les plus mystérieuses et méconnues de cet événement tragique : un fragment de la cloche de l’église Saint-Germain-l’Auxerrois à Paris qui aurait sonné le début du massacre, sur le coup de deux heures du matin, dans la nuit du 23 au 24 août 1572 ! Au choc de l’événement succède la propagande des images et des mots. Du jeune garçon embarqué dans la Ligue catholique, à l’image mouvante d’Henri III, bientôt assassiné par le moine Clément, en passant par celle d’Henri IV, qui, notamment par des truchements visuels, tente de rallier à son panache blanc un pays exsangue, c’est une exacerbation des images et une utilisation tous azimuts du portrait qui accompagnent la lente et secouée pacification du royaume.

François Quesnel (vers 1543-1616), Portrait d’un jeune garçon sous la Ligue, vers 1580. Pierre noire. Chantilly, musée Condé. Photo service de presse. © RMN-Grand (Domaine de Chantilly) – Adrien Didierjean
François Quesnel (vers 1543-1616), Portrait d’un jeune garçon sous la Ligue, vers 1580. Pierre noire. Chantilly, musée Condé. Photo service de presse. © RMN-Grand (Domaine de Chantilly) – Adrien Didierjean

Chantilly, haut lieu de la mémoire des guerres de Religion

Le musée Condé de Chantilly conserve l’une des plus importantes collections relatives aux guerres de Religion. Ces guerres civiles étaient l’une des périodes de prédilection de la génération romantique à laquelle appartenait le jeune duc d’Aumale, qui a réuni tant de chefs-d’oeuvre à Chantilly. Son frère aîné, Ferdinand-Philippe, duc d’Orléans, commanda par exemple à Paul Delaroche l’un des tableaux d’histoire les plus célèbres du XIXe siècle, L’Assassinat du duc de Guise, trônant aujourd’hui dans la Tribune du musée Condé. Historien de Louis, premier prince de Condé, l’un des principaux chefs du parti huguenot, le duc d’Aumale avait hérité des riches archives Montmorency et Condé. Il les compléta par la collection de portraits dessinés, peints et gravés la plus importante au monde concernant la Renaissance française, qui permettent de réunir aujourd’hui, en un seul lieu, tous les principaux acteurs des guerres de Religion.

Mathieu Deldicque
Directeur du musée Condé


« Visages des guerres de Religion »
Jusqu’au 21 mai 2023 au cabinet d’arts graphiques du musée Condé

Château de Chantilly
60500 Chantilly
Tél. 03 44 27 31 80
www.chateaudechantilly.fr


Cette exposition s’inscrit dans la saison « Faste et tragédie à la Renaissance », partenaire de celles du musée de l’Armée
et du musée national de la Renaissance – château d’Écouen.

Partager :

Share on facebook
Facebook
Share on twitter
Twitter
Share on email
Email