Le Centre des monuments nationaux (CMN) multiplie les invitations à des artistes contemporains qui, cette année encore, investissent châteaux, villas et abbayes. Un dialogue fécond qui se poursuit aussi à Chambord ou Versailles.
CHAUMONT-SUR-LOIRE | Nature fantastique
Des monstres et d’autres créatures fantastiques enchantent le parc et le château de Chaumont-sur-Loire. Pour sa nouvelle édition de la Saison d’art, le Domaine accueille des artistes de renommée internationale. Miquel Barceló fait jaillir d’un bosquet La Grotte Chaumont, sa plus imposante œuvre en céramique à ce jour. Entre caverne sous-marine et créature cauchemardesque, elle exprime toute l’énergie tellurique. Deux nouvelles sculptures monumentales de Denis Monfleur, L’Oiseleur et L’Homme sauvage, évoquent l’art de l’Égypte antique ou de l’île de Pâques. Les immenses silhouettes anthropomorphes tissées en corde de Prune Nourry semblent se transformer en arbres. L’importance du monde végétal est également au coeur de la démarche d’Olga Kisseleva qui pare un cèdre des quatre métaux essentiels dans un monde contemporain reposant sur la communication : le cuivre, le lithium, le néodyme et le cobalt. Quant à l’acier, il est magnifié dans les spectaculaires sculptures de Bernar Venet. Dans le château, ce sont les tableaux de Vincent Bioulès, l’œuvre intitulée Laissez entrer le soleil de Pascal Oudet, les lustres de Pascale Marthine Tayou qui livrent de nouvelles visions des multiples rapports entre l’art et la nature. La Tour de Diane abrite l’installation minimaliste de Kôichi Kurita qui constitue depuis vingt ans une « bibliothèque de Terre ». Dans la Cour de la Ferme, le Mundo Perdido d’Anne et Patrick Poirier, formé de trois architectures en bronze doré inspirées par le site de Tikal au Guatemala, se reflète dans les eaux du bassin et fait écho aux autres créations, picturales et photographiques, des deux artistes.
« Saison d’art 2024 », jusqu’au 27 octobre 2024 au Domaine de Chaumont-sur-Loire, 41150 Chaumont-sur-Loire. Tél. 02 54 20 99 22. www.domaine-chaumont.fr
CROIX | Des Hommes verts à la Villa Cavrois
Après le bassin du Domaine national du Palais-Royal à Paris en 2022, les créations de Fabrice Hyber (né en 1961) animent le miroir d’eau de la Villa Cavrois. Conçus pour célébrer les trente ans de l’Homme de Bessines, les Hommes verts sont rejoints cet été par les Femmes vertes. Ces 35 sculptures hydrauliques animent toute la longueur du bassin, tandis que les POF (Prototypes d’Objets en Fonctionnement) réservent de multiples surprises à l’intérieur de la villa. OEuvres et vidéos se répondent de pièce en pièce, selon une caractéristique majeure du travail de Fabrice Hyber, qui joue constamment sur la diversité des médiums. Au fond du jardin, l’artiste a également imaginé un potager pédagogique qui constituera une trace pérenne de son passage à Croix.
« Humeurs », jusqu’au 15 septembre 2024 à la Villa Cavrois, 60 avenue John Fitzgerald Kennedy, 59710 Croix. Tél. 03 28 32 36 10. www.villa-cavrois.fr
OIRON | L’abstraction selon Scully
Dans la lignée de Mark Rothko, Sean Scully (né en 1945) élabore un langage pictural reposant sur de grands aplats colorés rectangulaires. Ses toiles, formées de superpositions de différents tons, en particulier des bruns, des noirs et des rouges, trouvent leur équivalent dans des sculptures monumentales formées de parallélépipèdes de blocs de roche, d’acier corten ou de matériaux de récupération. Invité à créer une œuvre au château d’Oiron qui abrite la collection d’art contemporain Curios & Mirabilia, l’artiste irlando-américain y expose cet été huit tableaux et une grande composition en verre de Murano… en attendant l’achèvement de sa nouvelle sculpture monumentale Stone Tower prévue pour la fin de l’année.
« Blur The Edges, Love One Another, un accrochage exceptionnel d’œuvres de Sean Scully », jusqu’au 6 octobre 2024 au château d’Oiron, 79100 Oiron. Tél. 05 49 96 51 25. www.chateau-oiron.fr
CHÂTEAUDUN | Le castor symbole d’une harmonie perdue
En écho à la magnifique collection de tapisseries conservée au château de Châteaudun (la plus importante en France après celle du Mobilier national), Suzanne Husky expose ses dernières œuvres conçues autour de la figure du castor. Le choix de cet animal menacé est emblématique de l’engagement de l’artiste franco-américaine en faveur de l’écologie. La pollution des rivières et des zones humides a entraîné l’effondrement de tout un écosystème et a mis en péril cette espèce et bien d’autres. La disparition du castor devient ainsi le symbole d’une harmonie perdue que Suzanne Husky cherche à retrouver. Inspirées par la tapisserie de Bayeux et La Dame à la licorne, ses créations, comme Bièvre, bâtisseur de mondes et Histoire des alliances alterpolitiques avec le peuple castor montrent la nécessité de réintroduire les castors dans des milieux naturels qu’ils contribuent à façonner et à protéger contre le réchauffement climatique. Elles prônent une solution écologique pour recréer les liens rompus entre le règne végétal et le règne animal, et surtout entre l’être humain et la nature.
« Histoire des alliances avec le peuple castor », jusqu’au 3 novembre 2024 au château de Châteaudun, place Jehan de Dunois, 28200 Châteaudun. Tél. 02 37 94 02 90. www.chateau-chateaudun.fr
GINALS | « Un champ de blé au coucher du soleil »
«Émettant une douce lueur, les herbes à longues tiges renvoient à la nature organique, au cycle du vivant et au désir existentiel de l’homme confronté au vieillissement et à la mort. J’ai tenté d’imaginer les dernières images précédant notre trépas. À mon avis, ce serait quelque chose de simple, de banal, comme l’évocation d’un champ de blé au coucher du soleil… Ce lieu commun demeure une image puissante et profonde. Ainsi, ce ciel duveteux que je suspends dans la nef est-il appelé à donner le sentiment de flotter, de voguer, d’être transporté vers les nuées. » L’artiste lituanien Tadao Cern (né en 1983) ne cesse d’explorer la symbolique des graminées et en particulier des céréales. Invité à réaliser une création in situ à l’abbaye de Beaulieu-en-Rouergue, il a élevé dans l’église un monumental parallélépipède ensemencé de blé. Cette œuvre fait référence à l’importance agricole des abbayes médiévales qui tiraient leurs revenus du travail des champs, mais aussi et surtout à la légèreté des végétaux agités par la brise. À la fois fragiles et résistants, les blés apparaissent comme une métaphore de l’existence. Tadao Cern invite ainsi à une réflexion, voire à une méditation, sur la vie et la mort, autour de la notion de l’adieu dans cette ancienne abbaye cistercienne.
« L’adieu », jusqu’au 5 janvier 2025 à l’abbaye de Beaulieu-en-Rouergue, 1086 route de l’abbaye, 82330 Ginals. Tél. 05 63 24 50 10. www.beaulieu-en-rouergue.fr
CHAMBORD | Julien des Monstiers réenchante Chambord
Après Lionel Sabatté l’été dernier, c’est au tour de Julien des Monstiers de se confronter à l’atmosphère féérique du château de Chambord. Inspiré par l’esprit des lieux, l’artiste a réalisé lors de sa résidence des scènes de chasse, des portraits animaliers, des décors floraux dans lesquels surgissent des motifs contemporains. Une centrale nucléaire apparaît ainsi à l’arrière-plan d’un tableau qui semble magnifier une impressionnante licorne. Julien des Monstiers renouvelle la technique séculaire de la peinture à l’huile en procédant par des superpositions d’aplats de couleurs, grâce à de multiples transferts et reports au moyen de papier cristal… jusqu’à donner l’illusion d’oeuvres hors du temps.
« Dehors Dedans », jusqu’au 3 novembre 2024 au château de Chambord, 41250 Chambord. Tél. 02 54 50 40 00. www.chambord.org
Catalogue, coédition Martin de Halleux / galerie Christophe Gaillard, 30 €.
BEAULIEU-SUR-MER | Antiquité et modernité
L’œuvre d’Arman (1928-2005) fait irruption à la Villa Kérylos. Soixante de ses œuvres, en particulier des bronzes et résines, entrent en dialogue avec la demeure née de l’érudition et de l’imagination de Théodore Reinach au début du XXe siècle. Conçue comme une maison antique offrant tout le confort moderne, la villa matérialise ce lien fécond entre références antiques et création contemporaine. Dans ce cadre enchanteur, l’exposition met en évidence le rapport d’Arman avec l’idée d’archéologie et d’antiquité dans sa recherche de modernité. Empreinte d’une certaine nostalgie, la statuaire du plus célèbre représentant de l’École de Nice et du Nouveau Réalisme entre également en résonance avec l’histoire tragique de la famille Reinach.
« Archéologie du présent », jusqu’au 29 septembre 2024 à la Villa Kérylos, Impasse Gustave Eiffel, 06310 Beaulieu-sur-Mer. Tél. 04 93 01 01 44. www.villakerylos.fr
VERSAILLES | Les jardins de soie d’Eva Jospin
Puisant son inspiration aussi bien dans la nature que dans l’architecture, l’art d’Eva Jospin entre en résonance avec le château et les jardins de Versailles. Sa Chambre de soie propose, dans le cadre majestueux de l’Orangerie, une déambulation à travers les paysages imaginaires d’une broderie monumentale, à la manière des panoramas du XIXe siècle. Conçue selon un double hommage, à la fois artistique et littéraire, à la salle des Broderies du palais Colonna à Rome et à l’essai de Virginia Wolf Une chambre à soi, elle a été réalisée selon les techniques traditionnelles indiennes par l’atelier Chanakya et la Chanakya School of Craft à Bombay. Cette véritable prouesse artistique de 350 m2, exposée au musée Rodin lors du défilé de la collection haute couture automne-hiver 2021-2022 de la maison Dior, repose sur plus de 400 nuances de fils de soie, de coton et de jute. Elle s’enrichit pour cette saison versaillaise de deux lés de broderie dont les cascades de couleurs font référence au bosquet des Bains d’Apollon créé par Hubert Robert, mais aussi aux treillages du bosquet de l’Encelade et aux fontaines du Labyrinthe détruit au XVIIIe siècle. Grâce à son accrochage linéaire sur plus de 100 mètres de long, l’œuvre se présente comme une invitation à la promenade et à la flânerie dans des jardins merveilleux qui font écho aux parterres, aux salles de verdure, aux bassins et aux miroirs d’eau réalisés pour Louis XIV.
« Eva Jospin – Versailles », jusqu’au 29 septembre 2024 à l’Orangerie du château de Versailles, 78000 Versailles. Tél. 01 30 83 78 00. www.chateauversailles.fr
BOURGES | À la table de Dewar & Gicquel
Escargots, papillons, courgettes, potimarrons, brioches et tartes aux pommes… Le vocabulaire ornemental insolite des créations de Daniel Dewar & Grégory Gicquel semble répondre aux sculptures du palais Jacques Coeur. En clin d’oeil au décor de feuilles de choux courant sur les façades, les coussins du mobilier conçu par le duo d’artistes franco-britannique sont brodés de motifs de choux et de choux-fleurs. Réalisées dans leur atelier, les céramiques cuites dans un four à bois et les meubles sculptés à la main dans du chêne massif témoignent de la volonté de Dewar & Gicquel d’expérimenter toute la diversité des matériaux et des techniques, artisanales comme industrielles. En refusant de sous-traiter la confection de leurs projets, ils cherchent à interroger le rapport au travail, mais aussi les liens entre l’art, l’artisanat et l’industrie. Les deux artistes s’engagent en faveur d’un nouvelle éthique de production et de consommation, reposant sur un retour à l’autonomie. Le choix des motifs décoratifs, symbolisant l’interdépendance entre les mondes végétal, animal et humain, pose la question centrale de la nourriture en tant que source de vie. Loin de l’imaginaire des fastueux banquets médiévaux et de la surconsommation contemporaine, Dewar & Gicquel proposent dans l’imposante salle des festins du palais Jacques Cœur une réflexion pleine d’humour sur la fructification du vivant et les relations entre les espèces.
« Coquilles et feuilles de choux », jusqu’au 22 septembre 2024 au Palais Jacques Cœur, 10 bis rue Jacques Cœur, 18000 Bourges. Tél. 02 48 24 79 42. www.palais-jacques-coeur.fr
Mathilde Dillmann