
Rue La Boétie à Paris, la galerie Rosenberg offre de découvrir, jusqu’au samedi 1er octobre, le travail coloré et sensible de l’artiste Anne Jeu, qui bénéficie ainsi de son premier solo show.
Dans le VIIIe arrondissement de la capitale, le 21 rue La Boétie constitue pour les amateurs d’art une adresse mythique. La célèbre galerie du marchand d’art Paul Rosenberg, grand-père maternel de la journaliste Anne Sinclair, y exposait les plus grandes gloires de l’art moderne : Braque, Matisse, Picasso… Durant la Seconde Guerre mondiale, près de 2 000 œuvres seront spoliées par les nazis, tandis que la galerie sera transformée en un Institut d’étude des questions juives discrètement piloté par la Gestapo. Désormais racheté par l’homme d’affaires Patrick Thélot, l’espace renoue avec sa vocation première en mettant plusieurs fois par an à l’honneur des artistes d’aujourd’hui.
Anne Jeu : consultante et artiste
Après des études d’architecture, son diplôme de l’école Penninghen en poche, Anne Jeu commence sa carrière chez Christie’s. Elle y restera 11 ans avant de devenir consultante pour Sotheby’s. Avec les années, sa sensibilité artistique prend de plus en plus d’espace et le désir de créer s’impose.
Une chasseuse cueilleuse
Anne Jeu se définit comme une « chasseuse cueilleuse » : « je ramasse, accumule, je touche le paysage. Le vent, l’érosion, l’éclosion sont le point de départ. Je cherche à retrouver cette force de la nature par l’implication des gestes et de mon corps tout entier », annonce-t-elle au visiteur en ouverture de l’accrochage. Une passion ancienne. « Au grand dam de mes parents, j’ai toujours eu l’envie de ramasser des choses. Dans ma chambre d’adolescente, j’accumulais les boîtes de coquilles d’œufs en carton et en tapissais les murs ! ». Elle présente ainsi dans l’exposition une écorce de bois dénichée en pleine nature dans laquelle elle voit un bouclier, traduction en volume des territoires et des cartographies aériennes. Ses longues promenades champêtres accompagnée de ses deux chiens ont notamment offert à l’artiste l’occasion de réaliser en 2018 un herbier particulièrement poétique : « je me suis fixée sur une année un protocole très précis : chaque page est marquée du nombre de pas et de kilomètres correspondant à chacune de mes promenades, suivant toutes le même trajet. » De l’écorce, des fragments de ficelle ou encore des poils de chien collectés à chaque sortie par l’artiste viennent composer au fil des pages des collages-souvenirs aussi hétéroclites que poétiques.
« Couleur, couleur, couleur »
Il y a deux ans, Anne Jeu est victime d’un AVC qui la rend épileptique et la conduit à devoir réapprendre à parler. Elle analyse pourtant aujourd’hui cette épreuve comme « presque une chance » : « depuis mon AVC, les couleurs jaillissent comme jamais sur la toile ! », confie-t-elle. Elle dévoile ensuite sa méthode : « J’ai d’abord besoin de prendre le temps de préparer ma toile, ce qui me permet de rentrer dans une sorte de transe. Je laisse ensuite libre court à mes gestes, ma main semble travailler toute seule ».

Suivre les lignes de vie
Pépinière d’artistes dédiée aux arts visuels, les Serres de la Milady de Biarritz servirent durant deux mois d’atelier à Anne Jeu. Elle y réalisa notamment le grand triptyque coloré vers lequel convergent tous les regards dès l’entrée de l’exposition. Comme dans la plupart des œuvres de l’artiste, il semble comme irrigué par des chemins coulant de part et d’autre. S’ils rappellent les chemins de rêve des aborigènes, ils sont surtout associés par l’artiste depuis son AVC à des lignes de vie résolument tournées vers le futur.

Anne Jeu, Éclosion. Acrylique et pastel gras, 196 x 201 cm. © DR
Olivier Paze-Mazzi
« Paysages organiques »
Jusqu’au 1er octobre 2022 de 15 heures à 19 heures à la galerie Paul Rosenberg
21 rue La Boétie, 75008 Paris