
Rare vestige du château des ducs de Bourbon érigé à Moulins, le ravissant pavillon Renaissance qui depuis 1910 accueille le musée Anne-de-Beaujeu réunit le temps d’une ambitieuse exposition une centaine de pièces majeures donnant à voir le pouvoir et les fastes d’Anne de France.
Le 14 novembre 1522. Il y a 500 ans, s’éteignait discrètement dans une tour du château de Chantelle « Madame la Grande », fille et sœur de roi de France, quasi-régente et mécène éclairée, femme de lettres et éducatrice d’une véritable « cour des dames ». Dame de Beaujeu, duchesse de Bourbonnais et d’Auvergne, Anne de France (vers 1461-1522) s’imposa en son temps comme une figure incontournable de l’histoire française et européenne, avant que le XIXe siècle ne l’immortalise en héroïne romantique. Bien moins fameuse aujourd’hui qu’Aliénor d’Aquitaine et Catherine de Médicis, cette fille de Louis XI (r. 1461-1483) exerça pourtant un rôle politique de premier plan en assurant à la mort de son père la tutelle de son jeune frère Charles VIII (r. 1483-1498). Elle épouse en 1474 Pierre de Beaujeu (1438-1503), cadet de la maison de Bourbon, qui héritera du duché en 1488, après la disparition de ses frères aînés. Capitale du Bourbonnais, Moulins s’affirme alors sous l’impulsion du couple ducal comme l’une des plus fastueuses cours de son temps.

Princesse mécène
L’évocation du riche mécénat artistique auquel se livrèrent Anne et son époux au sein de leur duché, dans des domaines aussi variés que la peinture, la sculpture, le vitrail ou encore l’orfèvrerie, constitue le cœur de l’exposition moulinoise, qui réunit pour la première fois depuis des siècles les œuvres les plus emblématiques de leur magnificence. Véritable carrefour artistique entre la vallée de la Loire, Lyon et l’Italie, Moulins attire alors nombre d’artistes illustres, français ou étrangers, de l’enlumineur Jean Colombe au peintre flamand Jean Hey, aujourd’hui identifié comme étant le célèbre « Maître de Moulins ». Vers 1492-1493, celui-ci réalise un premier triptyque mettant en scène Anne et son époux Pierre II, une commande vraisemblablement destinée à l’une des chapelles des résidences ducales. Désormais fragmentaire, il est aujourd’hui conservé au musée du Louvre.

Le chef-d’œuvre du « Maître de Moulins »
Après avoir exécuté un deuxième triptyque mettant probablement en scène l’Immaculée Conception, Jean Hey se consacre à partir de 1498 à ce qui deviendra son chef-d’œuvre : le spectaculaire Triptyque de la Vierge glorieuse conservé en la cathédrale Notre-Dame-de- l’Annonciation de Moulins. Il faut se presser de l’admirer en la sacristie avant qu’il ne prenne dès l’automne prochain la route du C2RMF afin d’y bénéficier d’une restauration fondamentale.
Un prêt exceptionnel
N’ayant que très rarement traversé les siècles, les témoignages du mécénat artistique d’Anne de France dans le domaine de l’orfèvre- rie sont rarissimes. Leur évocation dans l’exposition par le biais de la gravure bénéficie en outre du prêt exceptionnel par la Wallace Collection de deux volets en or et émail champlevé : ce petit trésor figure au recto le couple ducal en donateurs accompagné par sainte Anne et saint Pierre, tandis que le verso met en scène Saint Louis et Charlemagne.

du XIXe siècle, 4,5 x 3,7 cm. Londres, The Wallace Collection. Photo service de presse. © The Wallace Collection
Trésors de la bibliothèque des ducs de Bourbon
Le 11 juillet 1523, le connétable de Bourbon (1490-1527) rencontre en secret le roi Henri VIII et l’empereur Charles Quint. Cette trahison conduira le gendre d’Anne de France à sa perte : ses biens sont saisis et le duché de Bourbon est rattaché à la couronne des Lys. Ayant œuvré à cette disgrâce, Louise de Savoie, mère de François Ier, ne se privera pas de sélectionner au sein de sa très riche bibliothèque près de 250 ouvrages parmi les plus somptueux. À sa mort en 1531, ils gagneront la collection personnelle du monarque, aujourd’hui conservée à la Bibliothèque nationale de France. Dans le cadre du programme « Dans les collections de la BnF », qui depuis 2017 présente en région les chefs-d’œuvre de l’institution, six précieux manuscrits enluminés issus de la bibliothèque des ducs de Bourbon ont pour la première fois depuis 500 ans fait leur retour à Moulins. Parmi eux, les splendides Statuts de l’ordre de Saint-Michel offerts par le duc Pierre II de Bourbon, époux d’Anne de France, à son beau-frère Charles VIII, sont remarquables à plus d’un titre : ils ont conservé leur reliure de velours de soie bleue ornée de coquilles de cuivre doré et renferment la seule enluminure connue de la main de Jean Hey.

Jean Hey (enlumineur), complété à Paris par François Le Barbier fils, Apparition de l’archange saint Michel au roi Charles VIII, Ordonnance de fondation de la collégiale de l’ordre de Saint-Michel dite Statuts de l’ordre de Saint-Michel, Moulins, 1493-1494. Reliure de velours bleu avec appliques de cuivre doré. Paris, Bibliothèque nationale de France. Photo service de presse. © BnF
Olivier Paze-Mazzi
« Anne de France. Femme de pouvoir, princesse des arts »
Jusqu’au 18 septembre 2022 au musée Anne-de-Beaujeu
Place du Colonel Laussedat, 03000 Moulins
Tél. 04 70 20 48 47
https://musees.allier.fr