L’évêque dom Malachie d’Inguimbert (1683-1757) a légué à sa ville de Carpentras une impressionnante collection de livres, médailles, documents et œuvres d’art. Après bien des vicissitudes, ce fonds, grandement étoffé au cours des siècles, est désormais réuni entre les murs de l’emblématique hôtel-Dieu, lui aussi créé par le prélat.
C’est en Italie où il a séjourné 26 ans que le brillant d’Inguimbert, protégé du pape Clément XII, a aiguisé son érudition et fréquenté les humanistes qui allaient lui inspirer son projet de bibliothèque-musée. L’influence transalpine se devine d’ailleurs aussi bien à travers les livres et les œuvres que l’architecture. Dans la cour de l’hôtel-Dieu, au pied du superbe escalier monumental ou au milieu des galeries, d’où qu’il se tienne le visiteur est saisi par la sobre beauté du lieu et son immensité (avec ses 10 000 m2, il est le plus vaste bâtiment classé du Vaucluse après le Palais des papes d’Avignon). Nommé évêque de sa ville natale en 1735, dom Malachie d’Inguimbert avait manifestement à cœur de faire bénéficier ses concitoyens de ses largesses.
Donner à lire, donner à voir
« Ses libérales mains ont laissé dans le Vaucluse / Le pauvre sans besoin, l’ignorant sans excuse », peut-on lire sur le monument érigé en sa mémoire devant l’hôtel-Dieu, au XIXe siècle. Porté à bout de bras par la municipalité, le projet de fusion entre les deux institutions fondées par d’Inguimbert a nécessité près de quinze ans de travail et 37 millions d’euros. Le chantier est particulièrement ambitieux pour une commune de 30 000 habitants, mais lorsqu’en 2002 l’hôpital quitte l’hôtel-Dieu, le transfert des collections de la bibliothèque-musée alors dispersées à travers une dizaine de sites s’impose comme une évidence. Il en résulte cette institution unique en son genre, dont « le projet scientifique et culturel était de valoriser le concept originel et original de bibliothèque-musée », comme le souligne le directeur adjoint Jean-Yves Baudouy. Depuis 2017 déjà, les Carpentrassiens profitent de la bibliothèque multimédia située dans l’aile ouest. Ils peuvent y étudier, emprunter des livres ou des partitions, s’essayer aux jeux vidéo, mais aussi admirer quelque 150 portraits peints, paysages provençaux, sculptures antiques, instruments scientifiques et de musique disséminés jusque dans les rayonnages. L’ensemble du site est désormais
ouvert, hormis l’apothicairerie en cours de restauration.
Un palais pour les muses
L’atelier Novembre – Architecture a réduit au minimum son intervention dans les espaces historiques et a imaginé à l’étage un parcours muséal articulé en trois temps distincts. Réunissant des pièces archéologiques, objets divers, manuscrits et de nombreuses représentations de la ville, la galerie de l’histoire du territoire retrace d’abord à grands traits le passé de Carpentras, capitale du petit État pontifical que fut le Comtat Venaissin jusqu’à son rattachement à la France, en 1791. Au cœur du parcours, trois cabinets plongés dans la pénombre évoquent la bibliothèque ouverte au public par d’Inguimbert dès 1745, puis les nombreux dons, legs et acquisitions opérés au XIXe siècle (mentionnons par exemple le généreux legs de l’érudit Casimir Barjavel et l’important fonds réuni par le médecin Adolphe-David Cavaillon à la mémoire des « Juifs du pape »). Écrit et image s’entremêlent
ici encore, puisque les nombreux ouvrages disposés sur les rayonnages historiques dialoguent avec des trésors d’épigraphie, une sélection d’incunables et de manuscrits enluminés, des portraits de cardinaux et de papes proches d’Inguimbert, et sa collection de peintures religieuses, parmi lesquelles on remarque des toiles d’Étienne et de Pierre Parrocel. Le visiteur quitte ensuite les cabinets pour pénétrer dans la lumineuse galerie des beaux-arts qui parachève ce riche parcours autour de thèmes variés (la copie, la peinture d’histoire, la nature morte, l’orientalisme…).
Duplessis bientôt à l’honneur
Sans surprise, l’influence italienne s’exprime ici encore, à travers les nombreuses copies de maîtres et les œuvres de Corrado Giaquinto ou d’Olivieri da Capranica, sollicités au XVIIIe siècle pour décorer les édifices religieux de Carpentras. Acquisitions et envois de l’État permettent aussi d’admirer des toiles de premier plan, comme la monumentale Poissonnerie de Frans Snyders ou Gamines de la Suisse Louise Catherine Breslau. Mais l’ambition première est de mettre en lumière les artistes liés au Comtat Venaissin. Portraitiste de la cour de Louis XVI particulièrement bien représenté ici, Joseph-Siffred Duplessis est sans conteste le plus célèbre des peintres carpentrassiens (une exposition lui sera consacrée à l’été 2025 pour marquer les 300 ans de sa naissance). On découvre également les paysages historiques de Jean-Joseph-Xavier Bidauld (1758-1846), l’œuvre éclectique de Jules Laurens (1825-1901), qui fut profondément marqué par son voyage en Turquie et en Perse, ou encore les innombrables contrées immortalisées par l’explorateur Joseph Eysséric (1860-1932), auteur de manuels de géographie. En mettant en valeur cet inestimable patrimoine, Carpentras s’impose désormais comme l’un des sites culturels incontournables
de Provence !
Myriam Escard-Bugat
Bibliothèque-musée l’Inguimbertine
180 place Aristide Briand, 84200 Carpentras
Tél. 04 90 63 04 92
https://inguimbertine.carpentras.fr
Catalogue, Beaux-Arts éditions, 175 p., 35 €.