Prix de Rome en 1784, Louis Gauffier (1762-1801) choisit de passer sa vie à la lumière dorée de l’Italie, loin des tumultes révolutionnaires parisiens. Espoir de la peinture française, il se singularise par son extrême sensibilité au paysage et son goût du détail archéologique. Le musée Fabre lui consacre, avec brio, jusqu’au 4 septembre, sa première rétrospective, révélant de nombreux chefs-d’œuvre.
Le 20 octobre 1801 mourait à Florence Louis Gauffier à l’âge de 39 ans. Au moment de la dispersion de l’atelier, son ami le peintre François-Xavier Fabre se porte acquéreur d’un lot conséquent de dessins et de tableaux qui fera partie de la donation faite à la ville de Montpellier en 1825, prélude à la création du musée trois ans plus tard. Le musée Fabre a ainsi largement contribué à sauver de l’oubli la mémoire de cet artiste trop tôt disparu, dont la carrière s’est entièrement déroulée hors de France. C’est donc tout naturellement que le musée de Montpellier a pris l’initiative de consacrer à Louis Gauffier une première rétrospective internationale en partenariat avec le musée Sainte-Croix de Poitiers, ville de naissance de l’artiste, qui accueillera, cet automne, l’exposition dans un format réduit.
Au palais Mancini, la formation d’un goût
Formé dans l’atelier d’Hugues Taraval, Gauffier est victorieux, en 1784, à l’âge de 22 ans, du très convoité Prix de Rome, ex aequo avec Jean Germain Drouais. Pendant ses quatre années d’étude au Palais Mancini à Rome, Gauffier va rapidement s’imposer comme un des meilleurs espoirs de la peinture française. « Peu accoutumé à peindre le grand », comme le remarque le directeur de l’Académie de France, Louis Lagrenée, il se forge un style personnel à partir d’une méditation soutenue de l’Antiquité classique, de Raphaël, de Poussin et surtout de Le Sueur « pour la composition, le drapé et les grâces naïves » (Lagrenée). Ses premiers tableaux – Le Sacrifice de Manué ; Jacob et les filles de Laban – privilégient une frise de personnages sur le devant de la composition avec à l’arrière-plan l’évocation d’un paysage idyllique et radieux. D’emblée, sa sensibilité pour la nature s’affirme au point de susciter les louanges de certains commentateurs tel Conrad Gessner, jeune paysagiste suisse, qui observe avec finesse à propos de Jacob et les filles de Laban : « Le paysage semble fait par un paysagiste de profession. Aucun tableau d’histoire ne m’en a encore offert de semblable ». Le séjour de Gauffier en Italie coïncide avec un essor sans précédent de la peinture de plein air dans la lignée de Pierre-Henri de Valenciennes et de son héritier direct, le Flamand Simon Denis, très proche du milieu français et de l’Académie. À l’image de tant de jeunes apprentis paysagistes au même moment, Gauffier a parcouru la campagne romaine sur les traces de Poussin et de Claude Lorrain qui font l’objet d’un culte fervent. Ses études en plein air, empreintes de vitalité et d’énergie, montrent aussi une attention renouvelée pour les phénomènes atmosphériques. Ce métier plein de suavité et de délicatesse dans le rendu de la lumière montre que Gauffier a été en contact précoce avec Xavier Bidauld, paysagiste originaire de Carpentras, qui sillonne le Latium et la Campanie en quête de sites sauvages et paisibles. Ailleurs, comme dans son admirable Étude d’arbre au bord du Tibre, Gauffier se montre un observateur lucide et minutieux des arbres et des végétaux, à l’instar de l’Allemand Jacob Philipp Hackert, alors au sommet de sa gloire européenne.
Rome magnifiée par le dessin
Comme l’avait fait Valenciennes précédemment, Gauffier, de même que son camarade Drouais, a aussi parcouru les rues de Rome un carnet de croquis à la main. Ils ont été les portraitistes incomparables d’une ville silencieuse, géométrisée à l’extrême et transfigurée par la vive lumière méridionale. Leur style épuré, quasi abstrait, porte à l’évidence la marque de la vision rationnelle de David mais trahit aussi des échanges intenses avec les architectes présents à Rome au même moment, Auguste de Saint-Hubert, Charles Percier ou encore Jean Thomas Thibault. Ces jeunes pensionnaires évacuent volontairement tout détail pittoresque et parent d’une dignité, d’une grandeur inattendue tout ce qui s’offre à leur regard : les habitants de la ville, revêtus de lourds drapés, ont la beauté idéale de la statuaire classique, les édifices les plus humbles et les plus utilitaires prennent tout à coup des allures de temples antiques. L’emploi de la pierre noire, de la plume, du lavis gris, l’usage de la réserve du papier ajoutent encore à la poésie étrange de ces dessins dont Anna Ottani Cavina a été la première à souligner l’originalité au sein d’un groupe d’artistes dans son ouvrage Le paysage de la Raison publié en 1994. Le décès de Drouais, élève préféré de David, en 1788, place Gauffier dans une position dominante qui sera bientôt contestée par un autre pensionnaire plus jeune, victorieux du Grand Prix en 1787, François-Xavier Fabre.
Une juste réhabilitation
Riche de plus de 130 oeuvres, provenant des plus grandes collections publiques et privées disséminées à travers le monde, l’exposition « Le voyage en Italie de Louis Gauffier » entend redonner toute sa place à cet artiste à bien des égards inclassable, toujours attachant, souvent visionnaire. « Comme beaucoup de peintres de sa génération, il portait en lui l’héritage d’une forte discipline classique tempérée par des qualités personnelles de grâce et de sensibilité et par les prémices du romantisme. » Ainsi s’exprimait un de ses premiers commentateurs, René Crozet, en 1947.
Michel Hilaire
Conservateur général du patrimoine
Directeur du musée Fabre
Article à découvrir en intégralité dans L’Objet d’Art n° 591, juillet-août 2022.
« Le voyage en Italie de Louis Gauffier »
Jusqu’au 4 septembre 2022 au musée Fabre
39 boulevard Bonne Nouvelle, 34000 Montpellier.
Tél. 04 67 14 83 00.
www.museefabre. montpellier3m.fr