Ce beau visage de profil, taillé dans la faible épaisseur d’une plaque de schiste, est un des nombreux témoignages de l’usage de ce matériau dans les décors muraux des grandes demeures urbaines et des monuments publics antiques. Ces placages, combinant le noir du schiste aux couleurs des marbres, faisaient sans nul doute l’originalité des registres décoratifs d’Augustodunum.
La cité gallo-romaine d’Augustodunum, qui succède à l’ancienne capitale éduenne Bibracte, fait l’objet d’une attention particulière du pouvoir romain dès sa fondation sous l’empereur Auguste. D’emblée pensée comme le carrefour de grandes voies carrossables, elle est dotée de quatre portes monumentales et d’un rempart. Elle s’enrichit ensuite de nombreux édifices publics, remarquables par leur taille et leur qualité, et accueille des maisons aristocratiques au plan d’inspiration méditerranéenne dotées de jardins.
Pour l’amour du schiste
Des pierres de tout l’Empire affluent pour la décoration de ces constructions tant publiques que privées, et même du marbre de Carrare provenant des carrières impériales. La cité fait aussi usage de ses ressources locales et, parmi celles-ci, des gisements de schistes bitumineux situés à proximité immédiate. Aucune zone d’extraction antique n’a été formellement repérée, certainement du fait de l’exploitation intensive de cette ressource aux XIXe et XXe siècles, mais la quantité d’objets en schiste découverts dans la ville témoigne de l’intérêt pour ce matériau.
Des plaques épaisses et régulières
La morphologie de la roche et son délitage naturel fournissent aux sculpteurs des plaques d’épaisseur régulière et faciles à travailler. On en tire principalement des réalisations de petite taille (dés à jouer, tesselles de mosaïque, fusaïoles…), mais aussi de grands décors en bas-relief utilisés comme placages. La faible épaisseur du débitage exclut pratiquement tout objet en trois dimensions ; même si l’on peut noter à Autun la présence rare d’un gobelet cylindrique de 7 centimètres de diamètre, proche des récipients habituellement tournés dans d’autres matériaux (pierres dures, bois…).
Force et puissance
Le fragment qui nous intéresse ici représente une tête masculine, de profil, aux traits fermement dessinés. La chevelure en mèches ondulées couvre la tête en dégageant l’oreille et ceint le front d’un bandeau régulier. La physionomie du personnage semble exprimer la force, que l’on devine à la musculature du cou, et la détermination, évoquée par la moue de la bouche. Un bourrelet proéminent au départ du front (arcade de l’œil gauche ou véritable bosse ?) ajoute à l’impression de puissance que dégage ce portrait.
Une maison aristocratique
Ce fragment, comme l’intégralité des autres panneaux en schiste figurés, provient du nord de la ville dans l’actuel quartier de la gare, plus précisément du lieu-dit « Sur la Frette ». Ils ont été découverts entre 1880 et 1882. Une fouille menée en 2013 par le service archéologique de la ville d’Autun a montré que cet îlot accueillait une maison aristocratique organisée autour d’un jardin à péristyle. Édifié à la fin de la période julio-claudienne, sous le règne de Claude ou de Néron, l’habitat disposait d’éléments de confort tels que l’eau courante pour alimenter une fontaine et est occupé jusqu’à la fin du IIIe siècle.
Un art expressionniste
Les décors de schiste conservés à Autun comptent d’autres figures humaines, souvent représentées de profil. Si leurs traits sont fréquemment marqués et expressifs, la plupart sont fragmentées et ne peuvent être identifiées avec certitude. On relève la présence d’un Amour voletant et d’un possible pugiliste qui a été désigné ainsi par une posture spécifique et pourrait inspirer, par rapprochement, l’hypothèse d’un lutteur pour notre portrait. Malheureusement, ce vestige isolé manque de tout élément de détail ou de contexte qui éclairerait sa signification. De même, la datation de ce travail local n’est pas aisée. Toutefois, le style de la chevelure en mèches épaisses disposées en crochets parallèles peut évoquer des portraits du tout début du IVe siècle. Bien que très schématiques, les yeux en amande (ici réduits à quelques coups de ciseau) et les oreilles dénuées de toute plastique rappellent certains profils des reliefs de l’arc de Constantin, même si les artistes romains restent plus proches des formules classiques que leurs collègues autunois. Plus que la fidélité morphologique, c’est l’énergie et l’impétuosité que l’artiste a voulu ici restituer.
Agathe Mathiaut-Legros
Directrice des musées et du patrimoine, ville d’Autun
Avec la collaboration de Yannick Labaune
Responsable du service archéologique municipal