Philocal met en vente une œuvre majeure de Camille Claudel récemment redécouverte
Camille Claudel (1864-1943), L’Âge mûr, dit La Jeunesse et L’Âge mûr, modèle créé en 1898. Bronze à patine brune richement nuancée, 61,5 x 85 x 37,5 cm. Fonte au sable d’Eugène Blot datant de 1907. Signé « C. Claudel », porte le cachet du fondeur « EUG. BLOT PARIS » (pour Eugène Blot) et le numéro « 1 » aux pieds de l’implorante. Estimé : 1,5/2 M€. Photo service de presse. © photo : Luc Paris
Un bronze exceptionnel de Camille Claudel, dont on avait perdu la trace depuis 1908, a été découvert au hasard d’un inventaire de succession. Représentant l’âge mûr, cette sculpture que l’artiste considérait comme son plus grand chef-d’œuvre sera mise sous le feu des enchères en février à Orléans.
Matthieu Semont, commissaire-priseur à Orléans, est encore sous le coup de l’émotion lorsqu’il raconte la prodigieuse découverte faite il y a quelques mois lors d’un inventaire de succession dans un appartement situé au pied de la tour Eiffel. L’héritier, âgé d’environ 70 ans, ne s’est pas rendu dans l’appartement de sa mère depuis une quinzaine d’années, l’électricité y a même été coupée… En soulevant un drap, Me Semont découvre avec stupéfaction un groupe sculpté de Camille Claudel dont personne ne soupçonnait la présence.
« À la grande maîtrise technique d’une artiste alors au sommet de son art, s’ajoute une dimension autobiographique qui fait de cette sculpture à la fois une revanche et un testament. »
Une rarissime édition d’Eugène Blot perdue depuis 1908
À l’émotion succède très vite l’excitation à l’écoute du verdict du cabinet Lacroix-Jeannest. Ce bronze est une œuvre majeure de Camille Claudel, L’Âge mûr, fonte au sable d’Eugène Blot, 1907, exemplaire numéro 1. On avait perdu sa trace dès 1908, année de son exposition au sein de la galerie parisienne du fondeur Eugène Blot qui l’avait vendu aussitôt. Il serait ensuite entré dans la collection familiale de notre héritier autour des années 1930, peut-être en paiement d’une dette par un marchand désargenté. À cette époque, personne ne connaît Camille Claudel et ses œuvres ont très peu de valeur. Eugène Blot fondit six exemplaires de cette sculpture magistrale. Celle qui vient d’être découverte porte le numéro 1 ; l’exemplaire numéro 3 est conservé au musée Camille Claudel à Nogent-sur-Seine, tandis que les quatre autres ont disparu.
Camille Claudel (1864-1943), L’Âge mûr, dit La Jeunesse et L’Âge mûr (détail), modèle créé en 1898. Bronze à patine brune richement nuancée, 61,5 x 85 x 37,5 cm. Fonte au sable d’Eugène Blot datant de 1907. © Maison de ventes Philocale
Un testament artistique
Cette puissante composition, d’une grande sensualité, est l’une des œuvres les plus importantes et les plus emblématiques de Camille Claudel. À la grande maîtrise technique d’une artiste alors au sommet de son art, s’ajoute une dimension autobiographique qui fait de cette sculpture à la fois une revanche et un testament. Au début des années 1890, Camille Claudel a en effet rompu avec Rodin, après neuf ans d’une relation passionnelle, et elle quitte son atelier pour prendre son indépendance. Le projet de cette allégorie des trois âges de la vie naît en 1893 et fait l’objet d’une commande par l’État.
Camille Claudel (1864-1943), L’Âge mûr, dit La Jeunesse et L’Âge mûr, modèle créé en 1898. Bronze à patine brune richement nuancée, 61,5 x 85 x 37,5 cm. Fonte au sable d’Eugène Blot datant de 1907. © Maison de ventes Philocale
Une version en plâtre du groupe, aujourd’hui disparue, est exposée au Salon de 1899. Il apparaît alors évident que derrière l’homme de L’Âge mûr se cache Rodin emporté par la vieillesse (figurée par sa compagne Rose Beuret) devant une Camille Claudel éplorée qui cherche à le retenir. Pour des raisons qui demeurent obscures – influence de Rodin, agacement suscité par les relances incessantes de Claudel auprès des institutions –, la commande étatique ne sera jamais suivie d’une transposition finale en bronze ou en marbre. De plus, l’œuvre, pourtant encensée au Salon de 1899, fut refusée à l’Exposition universelle de 1900. Le groupe est néanmoins fondu à grandeur d’exécution en 1902 par Thiébaut Frères, grâce à une commande privée (cet exemplaire est actuellement conservé au musée d’Orsay). Un autre bronze sera fondu en 1913, sans l’assentiment de son auteur, Camille Claudel ayant été internée cette année-là.
« Eugène Blot réalise ici un exploit en recourant à la fonte au sable, une technique d’ordinaire réservée aux formes simples. »
Un chef-d’œuvre de fondeur
Mais c’est Eugène Blot (1857-1938) qui offrira à cet Âge mûr sa plus belle expression en exécutant sa réduction au tiers en édition très limitée. « Notre sculpture est un chef-d’œuvre de fondeur, explique Alexandre Lacroix. Eugène Blot réalise ici un exploit en recourant à la fonte au sable, une technique d’ordinaire réservée aux formes simples. C’est un objet de grand luxe, une fonte épaisse, lourde, qui ne présente aucune erreur. » Fondeur émérite, Eugène Blot fut un soutien indéfectible de Camille Claudel dès leur rencontre en 1904. Il décida de prendre à sa charge la fonte extrêmement coûteuse de L’Âge mûr dont il exposa les six exemplaires dans sa galerie en 1908. La réapparition du numéro 1 – jamais vu depuis – sur le marché de l’art est donc un événement de taille.
Camille Claudel (1864-1943), L’Âge mûr, dit La Jeunesse et L’Âge mûr, modèle créé en 1898. Bronze à patine brune richement nuancée, 61,5 x 85 x 37,5 cm. Fonte au sable d’Eugène Blot datant de 1907. Photo CC0 / Thibsweb
On recense environ quatre-vingts modèles de Camille Claudel ayant donné lieu à un nombre relativement réduit d’éditions en bronze du vivant de l’artiste. Ainsi les fontes du début du XXe siècle sont-elles rares et particulièrement recherchées. Le record pour l’artiste est détenu depuis 2013 par La Valse, Première version, un bronze de 1892 vendu 6 M€ à Londres. L’Âge mûr est assez prudemment estimé 1,5 à 2 M€. Gageons qu’il suscitera un engouement auprès des amateurs et des institutions bien au-delà de cette limite.
Vente Orléans, Philocale, le 16 février 2025 à 16h.
