Le média en ligne des Éditions Faton

Un Magritte, un melon et une banane : que retenir du marché de l’art en 2024 ?

René Magritte (1898-1967), L’Empire des lumières, 1954. Huile sur toile, 146 x 114 cm. Adjugé 121,2 M$ (frais inclus) chez Christie’s New York le 19 novembre 2024.

René Magritte (1898-1967), L’Empire des lumières, 1954. Huile sur toile, 146 x 114 cm. Adjugé 121,2 M$ (frais inclus) chez Christie’s New York le 19 novembre 2024. Photo service de presse. © Christie’s Images Ltd, 2025 / Adagp, Paris, 2025

Après l’amorce de baisse en 2023 qui a suivi l’année record post-Covid, le marché de l’art a globalement connu un nouveau recul. Bien que relativement limitée, cette baisse reflète le ralentissement économique mondial dans un contexte géopolitique incertain. Cet environnement difficile a pesé sur le produit des ventes publiques, provoquant un resserrement de l’offre, en particulier dans le domaine de l’art contemporain, locomotive du marché de l’art depuis plusieurs années.

Le ralentissement pressenti l’année dernière s’est effectivement manifesté en 2024 dans les résultats des deux multinationales leaders du marché. Le premier semestre a été le plus difficile, avec un rattrapage dans la seconde partie de l’année.

Sotheby’s en difficulté

Sotheby’s recule, avec 6 milliards de dollars de chiffre d’affaires (contre 7,9 milliards de dollars en 2023). Dans une tendance générale à la baisse, la maison de Patrick Drahi a accusé une chute de 24 % pour ses ventes publiques ; ses bénéfices seraient en baisse de 88 % (selon le Financial Times du 30 août 2024). La firme a licencié plus de 100 personnes en décembre. Des liquidités provenant d’un fonds souverain d’Abu Dhabi ont permis de maintenir le cap des investissements dans les différents sièges de New York, Paris et Hong Kong. Mais l’avenir reste complexe pour une société dont le propriétaire est fortement endetté et sur laquelle le bruit circule qu’elle serait à vendre.

Claude Monet (1840-1926), Nymphéas, vers 1914-1917. Huile sur toile, 175 x 135,4 cm. Adjugé 65,5 M$ (frais inclus) chez Sotheby’s New York le 18 novembre 2024.

Claude Monet (1840-1926), Nymphéas, vers 1914-1917. Huile sur toile, 175 x 135,4 cm. Adjugé 65,5 M$ (frais inclus) chez Sotheby’s New York le 18 novembre 2024. Photo service de presse. © Sotheby’s

Record d’une œuvre surréaliste chez Christie’s 

Loin de l’année historique de 2022, la maison de François Pinault annonce quant à elle un chiffre d’affaires monde de 5,7 milliards de dollars, soit un recul de 16 % pour les ventes publiques et de 6 % en incluant les ventes privées. Secteur de prestige, l’art moderne et contemporain accuse une chute. Une seule œuvre a dépassé la barre des 100 M$, contre six en 2022. Plus haut prix de l’année, L’Empire des lumières de Magritte, adjugé 121 M$ en novembre chez Christie’s, a établi un record pour une œuvre surréaliste. L’art contemporain, qui tirait le marché vers le haut, réalise son chiffre le plus bas depuis la pandémie selon un rapport Artprice du mois d’octobre. Et aucun ensemble de l’envergure de la collection d’art contemporain Macklowe, dispersée en 2022 et totalisant 922 M$, n’est apparu en 2024, les vendeurs préférant sans doute attendre des jours meilleurs.

Changement de direction à la tête de Christie’s

Depuis le 1er février, Guillaume Cerutti a quitté la direction générale de Christie’s et cédé sa place à Bonnie Brennan, présidente depuis 2021 de Christie’s Amérique. Il a pris la présidence exécutive de la collection Pinault regroupant la Bourse de Commerce à Paris et les deux musées vénitiens. Il conserve néanmoins sa place de président du conseil d’administration de Christie’s.

Les États-Unis

Le pays maintient son leadership géographique sur le marché de l’art avec 41 % de part de marché, New York continuant d’attirer les pièces phares (7 adjudications sur les 10 plus importantes de l’année). C’est à Big Apple chez Sotheby’s que s’est tenue la vente qui a fait couler le plus d’encre cette année. Acquise par un acheteur sino-américain, la banane de Maurizio Cattelan scotchée par un simple ruban adhésif gris a été adjugée en novembre au prix pharaonique de 6,2 M$, soit cinq à six fois son estimation de base. Œuvre iconoclaste à forte portée symbolique ou phénomène de société, on peut s’interroger sur ce résultat que certains voient comme le décalage indécent de l’art contemporain avec la réalité.

Maurizio Cattelan (né en 1960), Comedian banana and duct tape, 2019. Édition n° 2 sur 3, plus 2 épreuves d’artiste. 20 x 20 x 5 cm. Adjugé 6,2 M$ (frais inlcus) chez Sotheby’s New York le 21 novembre 2024.

Maurizio Cattelan (né en 1960), Comedian banana and duct tape, 2019. Édition n° 2 sur 3, plus 2 épreuves d’artiste. 20 x 20 x 5 cm. Adjugé 6,2 M$ (frais inlcus) chez Sotheby’s New York le 21 novembre 2024. Photo service de presse. © Sotheby’s Art Digital Studio

L’Asie et le Moyen-Orient

Malgré la baisse de la croissance en Chine depuis 2021, l’Asie retrouve son élan, en particulier à Hong Kong. Christie’s y a inauguré en septembre un nouveau siège prestigieux (plus de 27 000 visiteurs ont été accueillis au Henderson Building) et y attire une clientèle de millenials (un tiers des acheteurs a moins de 40 ans). Mais il semble que ce soit le Moyen-Orient, en plein développement économique et dont l’ambition d’occuper une place culturelle se précise, qui pourrait vivifier un marché en pleine contraction. Christie’s note ainsi un bond de 26 % de la participation des clients issus de cette région dans ses ventes de Paris et de Londres. Sotheby’s organise de son côté sa première vacation en Arabie saoudite en février et annonce l’ouverture d’une succursale à Riyad.

La résistance du marché français

À l’échelle mondiale, la part de la France reste minime (environ 5 %) mais sa relative bonne santé détonne dans un contexte de crise.
C’est Christie’s qui occupe la première marche du podium avec un chiffre d’affaires en hausse significative de 23 %, notamment grâce à un développement remarquable des ventes privées (382 M€ contre 311 en 2023). La négociation de pièces phares, comme Le Melon entamé de Chardin (26,7 M€), ou le record à 9,5 M€ pour une console-sculpture Promenade des amis de Diego Giacometti, ont marqué l’année, tout comme le succès de ventes de collections, à l’instar de l’extraordinaire ensemble d’art africain et océanien de Barbier-Mueller (73 M€) mais aussi la collection de la Régie Renault (10,6 M€) ou de la galerie Jean Fournier (9,1 M€). Toutefois, dans un contexte incertain, Cécile Verdier, présidente de Christie’s France, indique : « nous avons globalement baissé nos estimations de 10 à 15 % pour susciter l’intérêt des enchérisseurs et obtenir les meilleurs prix ».

Jean-Siméon Chardin (1699-1779), Le Melon entamé, 1760. Huile sur toile, 57 x 52 cm. Signé et daté « Chardin 1760 ». Adjugé 26,7 M€ (frais inclus) chez Christie’s Paris le 12 juin 2024.

Jean-Siméon Chardin (1699-1779), Le Melon entamé, 1760. Huile sur toile, 57 x 52 cm. Signé et daté « Chardin 1760 ». Adjugé 26,7 M€ (frais inclus) chez Christie’s Paris le 12 juin 2024. Photo service de presse. © Christie’s Images Ltd, 2025

« À l’échelle mondiale, la part de la France reste minime (environ 5 %) mais sa relative bonne santé détonne dans un contexte de crise. »

Nouveau concept de ventes chez Sotheby’s

Juste derrière, Sotheby’s totalise 362,5 M€ pour 2024, en cumulant les enchères (287 M€) et les ventes privées, soit une baisse de 14,5 %. De beaux scores ont été obtenus pour deux tableaux de Jean Dubuffet (6,8 M€ et 6 M€), et l’art surréaliste, largement célébré cette année, a brillé à Paris avec des œuvres de Dalí et Magritte, qui ont dépassé les 3 M€. La collection Volpi d’arts décoratifs et tableaux italiens, importée depuis la péninsule, a récolté la somme de 7,5 M€. Mais 2024 a surtout constitué un tournant pour l’entreprise qui a affiché sa volonté de développer un nouveau concept de ventes avec le déménagement de son siège parisien (68 M€ d’investissements ont été nécessaires pour transformer les locaux de l’ancienne galerie Bernheim-Jeune à l’angle du faubourg Saint-Honoré et de l’avenue Matignon). Soucieuse d’attirer une nouvelle génération d’acheteurs et d’accroître ses profits, la maison de Patrick Drahi se veut désormais galerie d’art, boutique de luxe ou place dédiée à l’événementiel et non plus uniquement un lieu d’enchères ou de ventes privées. Elle a développé en particulier les ventes de bijoux et de montres qui se succèdent à un rythme accéléré.

Paire de banquettes peintes en bleu et doré, travail italien, Rome, milieu du XVIIIe siècle. La frise sculptée d’acanthes au-dessus de tabliers de chaque côté centrés par un masque féminin délivrant des acanthes sur des supports monopodes, garniture et coussin de velours rouge, 86 x 158 x 40 cm. Adjugé : 381 000 € (frais inclus) chez Sotheby’s Paris le 28 février 2024.

Paire de banquettes peintes en bleu et doré, travail italien, Rome, milieu du XVIIIe siècle. La frise sculptée d’acanthes au-dessus de tabliers de chaque côté centrés par un masque féminin délivrant des acanthes sur des supports monopodes, garniture et coussin de velours rouge, 86 x 158 x 40 cm. Adjugé : 381 000 € (frais inclus) chez Sotheby’s Paris le 28 février 2024. Photo service de presse. © Sotheby’s Art Digital Studio

Des enchères millionnaires chez Artcurial

Loin derrière les deux géants du marché, Artcurial a enregistré une baisse de 14 % par rapport à 2023, avec 186,6 M€, dont 15 M€ générés par la société d’enchères suisse Artcurial Beurret Bailly Widmer, acquise récemment. La maison française a dispersé 118 collections privées et enregistré treize enchères millionnaires, notamment pour une Ferrari vendue 5,5 M€, ou un tableau de Dalí à 3,1 M€. Fin décembre, les documents et archives du général de Gaulle ont flambé pour totaliser 5,6 M€ avec 100 % des lots vendus et 135 préemptions. Dans l’ensemble, « la maturité de la maison et la multiplicité de ses spécialités lui permettent de tenir dans un contexte différent d’il y a un ou deux ans. Nous souffrons peut-être moins que ceux qui sont axés sur le très contemporain », confie Stéphane Aubert, directeur associé chez Artcurial.

Niki de Saint Phalle (1930-2002), L’Arbre-Serpents, 1992. Résine polyester peinte, 355 x 315 x 225 cm. Signé et numéroté sur une plaque en bas « 3/3, Niki de Saint Phalle », édition de 3 exemplaires + 1 EA. Éditée par les Résines d’Art Haligon. Adjugé 642 880 € (frais inclus) chez Artcurial le 18 octobre 2024.

Niki de Saint Phalle (1930-2002), L’Arbre-Serpents, 1992. Résine polyester peinte, 355 x 315 x 225 cm. Signé et numéroté sur une plaque en bas « 3/3, Niki de Saint Phalle », édition de 3 exemplaires + 1 EA. Éditée par les Résines d’Art Haligon. Adjugé 642 880 € (frais inclus) chez Artcurial le 18 octobre 2024. Photo service de presse. © Adagp, Paris, 2025 / Artcurial

Hausse spectaculaire chez Millon

Millon a réalisé une hausse spectaculaire de son chiffre qui atteint 120 M€ mais ce résultat s’explique entre autres par l’acquisition d’Il Ponte Casa D’Aste, 3e maison de ventes en Italie. Bonhams Cornette de Saint Cyr, dont 31,2 M€ ont été réalisés en Belgique, est en revanche en léger recul avec 97,7 M€. Toujours très axé sur le design, Piasa se porte bien avec un produit de 65 millions, en hausse de 8 %. Aguttes marque une progression de 23,6 % (58,7 millions d’euros contre 47,5 millions en 2023). Leader historique pour les peintres d’Asie, en particulier l’art moderne vietnamien et chinois, l’auctioneer dont la structure est familiale a engrangé 15 M€ en dix ventes. Osenat progresse également, notamment grâce à l’ouverture d’une nouvelle salle des ventes à Paris en complément de celles de Versailles et Fontainebleau (50,3 millions, soit + 25,44 %). Ader est en léger recul (47 M€ contre 59 M€ l’an passé) malgré la très belle adjudication d’une console-sculpture de Diego Giacometti, Biche, arbre et renard à l’affût (2,9 M€).

Cocorico 

C’est probablement grâce à la diversité des propositions dans toutes sortes de catégories que les maisons françaises semblent mieux résister que les sociétés s’appuyant sur une offre d’exception. Une maison telle que Pousse Cornet, au chiffre d’affaires de 10,7 M€, a réalisé sa meilleure performance depuis 24 ans (+ 5 % par rapport à l’année précédente) et le groupe Ivoire créé en 2002, réunissant quinze maisons de ventes en régions, confirme la force de son réseau avec d’excellents résultats en 2024 (79,4 M€).

Louis-Marin Gosset (actif au début du XIXe siècle), coffret gainé de velours vert brodé à l’or de feuilles de chêne et d’abeilles entourant un « N » sous couronne de laurier portant neuf étoiles, deux pistolets à silex numérotés « 1 » et « 2 », respectivement à fûts court et long, et leurs accessoires. Numéro 1 : l. 38,5, l. du canon 23,5 cm, calibre 12,5 mm. Numéro 2 : l. 38,5, l. du canon 23,5 cm, calibre 13 mm. Adjugé 1,69 M€ (frais inclus) chez Osenat (en collaboration avec Rossini) le 6 juillet 2024.

Louis-Marin Gosset (actif au début du XIXe siècle), coffret gainé de velours vert brodé à l’or de feuilles de chêne et d’abeilles entourant un « N » sous couronne de laurier portant neuf étoiles, deux pistolets à silex numérotés « 1 » et « 2 », respectivement à fûts court et long, et leurs accessoires. Numéro 1 : l. 38,5, l. du canon 23,5 cm, calibre 12,5 mm. Numéro 2 : l. 38,5, l. du canon 23,5 cm, calibre 13 mm. Adjugé 1,69 M€ (frais inclus) chez Osenat (en collaboration avec Rossini) le 6 juillet 2024. Photo service de presse. © Osenat-Rossini

« Enfin, Drouot déclare 335,9 M€ de ventes en son hôtel, complétées par un volume de 269 M€ en ventes live sur Drouot.com et 58 M€ pour les vacations online-only, soit globalement une hausse de 4,3 %. »

Belles découvertes à Drouot

Enfin, Drouot déclare 335,9 M€ de ventes en son hôtel, complétées par un volume de 269 M€ en ventes live sur Drouot.com et 58 M€ pour les vacations online-only, soit globalement une hausse de 4,3 %. Ancré dans l’histoire, l’hôtel Drouot reste la source de belles découvertes. Citons en exemple la réapparition d’un dessin inédit de Paul Verlaine représentant Arthur Rimbaud, adjugé près de 600 000 € chez Tessier & Sarrou ou l’enchère millionnaire obtenue par un canapé Boule rouge dit « Ours polaire » de Jean Royère présenté dans son état d’origine chez Drouot Estimations. Par ailleurs, sous l’impulsion de son actionnaire Vesper, le groupe a décidé d’innover en lançant une plateforme dédiée aux ventes aux enchères immobilières, drouot-immo, et a ouvert un nouvel espace de 6 000 m2 consacré aux ventes courantes à Bagnolet.

Paul Verlaine (1844-1896), Portrait d’Arthur Rimbaud, juin 1872. Dessin à la plume et encre brune sur papier, titré, daté et monogrammé « P.V. », 12,7 x 9,9 cm. Adjugé 585 000 € (frais inclus) chez Tessier & Sarrou à l’hôtel Drouot le 2 décembre 2024.

Paul Verlaine (1844-1896), Portrait d’Arthur Rimbaud, juin 1872. Dessin à la plume et encre brune sur papier, titré, daté et monogrammé « P.V. », 12,7 x 9,9 cm. Adjugé 585 000 € (frais inclus) chez Tessier & Sarrou à l’hôtel Drouot le 2 décembre 2024. Photo service de presse. © Tessier & Sarrou

L’essor des ventes privées

En période de fortes incertitudes politiques et économiques, les vendeurs sont de plus en plus nombreux à préférer les avantages des ventes de gré à gré, un service sur-mesure qui concurrence l’activité des galeries. Le chiffre de ces transactions, qui a bondi chez Christie’s en 2024, freine largement le recul de la maison de François Pinault dans le monde. Elles représentent désormais 27 % de l’ensemble des ventes, soit une hausse de 41 %, équivalant à 1,5 milliard de dollars. Les plus importantes transactions de l’année sont en réalité incluses dans ce montant. De manière plus générale, on assiste depuis plusieurs années à une mutation des caractéristiques spécifiques aux ventes aux enchères dans les grandes multinationales. Outre le développement de l’activité des ventes privées, le système des garanties pour les lots les plus importants – largement utilisé outre-Atlantique – fausse le jeu des enchères en annulant le risque d’invendu. La transformation du bureau parisien de Sotheby’s en lieu consacré au luxe et à l’événementiel s’inscrit dans cette évolution.