Une réplique du « collier de la Reine » aux enchères : retour sur l’incroyable scandale qui fit vaciller la monarchie

Réplique du collier dit « de la reine », d’après le modèle créé par les joailliers Böhmer et Bassenge (détail), fin du XIXᵉ-début du XXᵉ siècle. Vente Paris, Artcurial, 17 juin 2025. Estimé : 30 000/50 000 €. Photo service de presse. © Artcurial
C’est l’histoire d’une escroquerie fabuleuse dont les protagonistes semblent tout droit sortis d’un roman d’Alexandre Dumas : une fausse comtesse machiavélique tirant les ficelles d’un complot impliquant la reine Marie-Antoinette, une extraordinaire parure de diamants, et un puissant cardinal en guise de dindon de la farce. Alors qu’Artcurial propose aux enchères, ce mardi 17 juin, une réplique du collier le plus fameux de l’Histoire, retour sur cette incroyable affaire, véritable farce tragique qui, en ruinant le crédit de la monarchie, hâtera l’avènement de la Révolution.
Un collier bien trop somptueux
Favorite de Louis XV, Madame Du Barry raffole des bijoux. Une passion qui n’a pas échappé aux joailliers Böhmer et Bassenge qui décident de réaliser pour elle le plus beau collier du monde : une merveille d’un luxe ostentatoire faite de 647 diamants. La favorite n’en verra jamais l’éclat : le bijou est encore inachevé lorsqu’en 1774 la mort du roi la condamne à l’exil. Lourdement endettés, ses créateurs vont alors tenter leur chance auprès de Marie-Antoinette, nouvelle reine de France dont le goût pour les parures de prix est bien connu. C’est un échec : proposé à 1,6 million de livres, soit le prix de deux vaisseaux de guerre, le collier est bien trop cher…
Au bord de la ruine
Durant près d’une décennie, ils le présenteront à toutes les cours d’Europe, et reviendront même à la charge à deux reprises auprès de la reine : en vain. Trop coûteux, trop extravagant. En 1784, les joailliers sont au bord de la ruine. Le destin va alors mettre sur leur route une certaine comtesse de La Motte-Valois, qui se présente comme une bonne amie de la souveraine. Ne pourrait-elle pas jouer les entremetteuses ? La convaincre d’acquérir enfin cet incroyable bijou ? Elle accepte de bon cœur. Ils l’ignorent encore, mais ils viennent de se jeter dans la gueule du loup…
La plus fidèle des répliques
Trois répliques de l’invraisemblable parure sont aujourd’hui identifiées. Celle que propose Artcurial provient de l’ancienne collection du joaillier Lucien Baszanger, descendant du co-créateur du collier. Composée d’un alliage d’argent et de métal et sertie de pierres d’imitation, elle pourrait dater de la fin du XIXe ou du début du XXe siècle, ce qui la distingue des autres répliques connues : l’une a été créée dans les années 1960-1963 et se trouve aujourd’hui conservée à Versailles, tandis que l’autre, exécutée dans les années 1980, figure dans les collections du château de Breteuil. Proposée entre 30 000 et 50 000 euros dans un cadre d’époque Louis XV, elle se révèle tout particulièrement fidèle à la gravure du bijou (voir plus bas), d’où son apparition dans plusieurs productions cinématographiques des années 1940-1950.
Réplique du collier dit « de la reine », d’après le modèle créé par les joailliers Böhmer et Bassenge, fin du XIXᵉ-début du XXᵉ siècle. Alliages d’argent et métal, serti de pierres d’imitation sur paillon, monté « en esclavage », formé d’une rivière soulignée de trois festons agrémentés d’importantes poires et d’une longue guirlande centrée d’un motif floral, se terminant par des pampilles de pierres rondes et piriformes retenues par des rubans noués, dans un cadre en bois sculpté et doré d'époque Louis XV, 70 x 54 cm (avec cadre). Vente Paris, Artcurial, 17 juin 2025. Estimé : 30 000/50 000 €. Photo service de presse. © Artcurial
Une descendante des Valois
La jeune femme rencontrée par les joailliers est en effet une sulfureuse intrigante qui n’a jamais adressé la parole à la reine ! Fille d’une servante et d’un gentilhomme sans le sou, elle répond au nom de Jeanne de Saint-Rémy et tire son prestigieux patronyme d’un de ses ancêtres, bâtard du roi Henri II. Vingt ans plus tôt, une généreuse marquise l’avait prise sous son aile, émue de voir une enfant à la si glorieuse ascendance mener une vie si misérable. Très vite, la jeune Cendrillon se rêve un destin à la hauteur de son sang royal. Après avoir épousé un prétendu « comte », elle tente sa chance à Versailles où elle feint à plusieurs reprises de s’évanouir sur le passage de la reine ou de ses belles-sœurs dans le but d’attirer leur attention. Peine perdue. Qu’à cela ne tienne : après s’être lourdement endetté, le couple s’installe richement à Paris où Jeanne commence à répandre la rumeur de son amitié avec la reine. Les crédules affluent alors dans son salon, mais l’argent vient vite à manquer…
Dans L’Affaire du collier de la Reine, réalisé par Marcel L’Herbier en 1946, l’actrice Viviane Romance incarne la comtesse Jeanne de La Motte-Valois : elle arbore la réplique du collier aujourd’hui proposée aux enchères par Artcurial. Photo service de presse. © DR
Le pigeon idéal
Rencontré quelques années plus tôt par la comtesse – qui fut peut-être un temps sa maîtresse – le cardinal Louis de Rohan est un homme insatisfait, dévoré par l’ambition. Certes, il est membre d’une prestigieuse famille aristocratique, croule sous les honneurs et les charges, et vit fastueusement. Certes, sa dignité de cardinal fait de lui un prince de l’Église et, en tant que grand aumônier de France, il officie à toutes les cérémonies religieuses de la cour. Pourtant, Rohan se rêve un destin politique. Ne ferait-il pas un excellent Premier ministre ? Hélas, Louis XVI ne l’apprécie guère et la reine nourrit à son endroit une vieille antipathie : quelques années plus tôt, alors qu’il était ambassadeur à Vienne, son train de vie luxueux avait profondément outré l’impératrice Marie-Thérèse, mère de Marie-Antoinette. Elle ne s’était donc pas privée de décrire dans sa correspondance comme un « homme abominable » celui qui, par ailleurs, s’était permis de moquer la coquetterie de sa fille.
Le piège se referme
Lorsque Jeanne propose au cardinal de plaider sa cause auprès de sa « bonne amie » la reine, le prélat ne se sent pas de joie ! Quelques temps plus tard, elle lui annonce déjà que l’opinion de la reine à son égard a changé positivement : afin de le lui signifier, elle devrait d’ailleurs lui adresser un discret signe de la tête lors d’une prochaine réception. Crédule, Rohan croit effectivement le remarquer… On lui propose alors d’initier, par l’intermédiaire de la comtesse, une véritable correspondance secrète avec la reine de France. Au total, près d’une centaine de billets seront échangés entre le cardinal et une « Marie-Antoinette » à laquelle un complice de Jeanne prête sa plume.
Le cardinal et la prostituée
Afin de persuader définitivement sa victime de l’amitié que la reine lui porte, la machiavélique comtesse lui propose une rencontre. Cette scène surréaliste aura lieu le 11 août 1784 dans les jardins de Versailles. Pour incarner la souveraine, on a sollicité pour sa ressemblance une certaine Nicole Leguay qui, pour gagner sa vie, fait commerce de ses charmes. Vêtue comme Marie-Antoinette, elle a pour mission d’apparaître vers minuit dans le bosquet de Vénus. Lorsqu’il l’aperçoit, Rohan s’incline respectueusement. Troublée, elle lui tend, comme convenu, une rose, bredouille quelques mots, et s’éclipse, laissant le cardinal subjugué. Jeanne le sait : il lui fera désormais une confiance aveugle. Que la reine exige, il obéira sans sourciller !
Le collier lors de l’exposition « Marie-Antoinette, archiduchesse, dauphine et reine », présentée en 1955 au château de Versailles. Photo service de presse. © DR
Un collier pour la reine
Ensorcelé, il accepte dès lors de payer les sommes folles que la « reine » lui réclame bientôt afin d’aider, affirme-t-elle, de pauvres gens. Jeanne exulte : la voici riche ! C’est alors qu’elle rencontre les infortunés joailliers. Le projet d’une escroquerie d’une toute autre envergure voit le jour : mettre la main sur ce bijou fabuleux. Elle sollicite immédiatement le cardinal : la reine souhaite s’offrir discrètement un extraordinaire collier afin d’en faire la surprise à son époux. Accepterait-il de jouer les intermédiaires en récupérant le bijou en son nom ? Trop heureux, le prélat s’empresse d’accepter, exigeant tout de même un document de la main de la souveraine. Aveuglé, il ne réalise même pas que celui-ci est signé « Marie-Antoinette de France ». Cet homme de cour sait pourtant que la reine signe de son seul prénom…
Détail du collier. Photo service de presse. © Artcurial
Méfait accompli
Soulagés de se débarrasser enfin de cet encombrant collier, les joailliers ont bien sûr accepté d’en différer le paiement. Le 1er février 1785, ils le remettent très officiellement au cardinal qui le confie à un « messager de la reine ». Après un tel service rendu, Rohan n’en doute plus : dans quelques mois, il sera Premier ministre. Après son départ, le collier est dépecé au couteau de cuisine et les diamants bien vite vendus à Londres, rendant enfin le couple immensément riche.
Le pot aux roses
Les mois passent. Le cardinal s’étonne de ne pas voir le collier briller au cou de la reine. En juillet, les joailliers se hasardent à la complimenter pour son acquisition, espérant voir venir un premier paiement. La véritable Marie-Antoinette découvre alors avec horreur le pot aux roses. Le 15 août, jour de l’Assomption, le cardinal doit célébrer la messe en la chapelle royale de Versailles lorsqu’il apprend que le roi exige sa présence sur-le-champ en ses appartements. Lorsqu’il y pénètre, quelle n’est pas sa stupeur d’y découvrir la souveraine, glaciale. Le roi exige des explications. Rohan blêmit. La reine s’emporte : alors qu’elle ne lui a pas adressé la parole depuis huit ans, comment a-t-il pu imaginer qu’elle ferait ainsi appel à lui ? Le grand aumônier de France sera arrêté quelques minutes plus tard dans la galerie des Glaces, sous le regard médusé de la foule curieuse qui s’y était massée. Il dormira le soir même à la Bastille. La comtesse sera, quant à elle, emprisonnée quelques jours plus tard.
Jean-Baptiste André Gautier-Dagoty (1740-1786), Portrait de Marie-Antoinette, Reine de France, 1775. Huile sur toile. Saint-Quentin, musée Antoine Lécuyer. Photo service de presse. © DR
Un procès retentissant
Le roi hésite désormais sur la conduite à tenir. Faut-il régler cette affaire discrètement, ou bien soumettre les accusés au jugement d’un procès ? La reine, que l’opinion publique accuse déjà d’être à l’origine de l’escroquerie, souhaite que la vérité éclate et que son honneur soit lavé. Rohan, Jeanne et ses complices seront donc traduits en justice devant le Parlement. Fatale erreur : ce procès, qui passionnera les foules, offrira à la comtesse l’opportunité de se répandre en calomnies envers la reine, tandis que le cardinal apparaîtra comme la naïve victime d’une machination. Rendu par des magistrats de longue date hostiles à la Couronne, le verdict va ébranler la monarchie : si Jeanne est condamnée à la prison à perpétuité, Rohan est de son côté… relaxé. On ne le contraint même pas à demander pardon à la souveraine ! Outré, Louis XVI condamne le cardinal à l’exil, une décision considérée comme arbitraire par l’opinion qui ne souhaite voir en Rohan qu’une victime des manigances de la reine.
L’aube de la Révolution
L’affaire du collier sera lourde de conséquences pour la monarchie. Un fossé s’est désormais creusé entre elle et la société. Bientôt, leur divorce sera consommé. L’image de la reine sort particulièrement abîmée de cette histoire : en innocentant Rohan, c’est elle que l’on a implicitement condamnée, libérant dès lors rumeurs et calomnies. Dans quelques années, ce n’est plus un lourd collier de diamants que ses détracteurs se plairont à imaginer à son cou, mais la froide lame de la guillotine.
Représentation exacte du grand collier en brillants de Böhmer et Bassenge, gravé d’après la grandeur des diamants. Paris, chez M. Tannay, rue d’Enfer. Photo service de presse. © DR
Vente Paris, Artcurial, le 17 juin 2025 à 17h. www.artcurial.fr