Artemisia Gentileschi révèle sa signature après la restauration d’un David et Goliath

Artemisia Gentileschi (1593-vers 1654), David avec la tête de Goliath (détail après restauration), 1638-1640. Huile sur toile, 202 x 137 cm. Collection particulière. © Courtesy Simon Gillespie Studio
Ressurgi de l’ombre en 2018 lors d’une vente aux enchères en Allemagne, ce tableau figurant David avec la tête de Goliath était donné à Artemisia Gentileschi par Gianni Papi, mais l’attribution faisait débat… La restauration de l’œuvre vient de révéler la signature de cette fascinante artiste.
Assis au-dessus de la monumentale tête de Goliath, le jeune berger de la tribu de Juda représenté grandeur nature a négligemment posé une main sur l’épée de son ennemi vaincu et dirige vers le spectateur un regard impassible, voire effronté. Traitement subtil des chairs et des étoffes, travail maîtrisé des jeux d’ombre et de lumière : c’est assurément une œuvre remarquable qui était dévoilée le 27 février 2020 lors d’une réception mondaine à Londres, après avoir bénéficié durant dix mois de l’intervention du restaurateur et historien de l’art britannique Simon Gillespie. C’est évidemment un événement que de pouvoir ajouter définitivement au corpus de cette artiste redécouverte au début du XXe siècle par Roberto Longhi une peinture aussi significative, au moment même où elle aurait dû être magistralement célébrée par une exposition d’envergure à la National Gallery de Londres (L’Objet d’Art reviendra prochainement sur cette rétrospective dont l’ouverture est repoussée pour cause de covid-19). Artemisia est décidément au cœur de l’actualité depuis quelques mois puisque – bien que ses œuvres soient rares sur le marché – rappelons qu’une Lucrèce récemment redécouverte a été vendue par Artcurial en novembre dernier pour 4,8 millions d’euros, un record mondial pour l’artiste (voir EOA n° 562, p. 80).
Une attribution contestée
Mais revenons au David avec la tête de Goliath. Le nom de l’Italienne n’a pas toujours été avancé et c’est sous l’attribution à Giovanni Francesco Guerrieri, passé un temps dans l’atelier d’Orazio Gentileschi (le père d’Artemisia), que le tableau est vendu chez Sotheby’s à Londres en juillet 1975. S’appuyant sur une simple photographie en noir et blanc, Gianni Papi parvient à reconnaître avec certitude la main d’Artemisia et consacre un article à l’œuvre en 1996, dans la revue Nuovi Studi. La peinture lui semble en effet caractériser son style en raison de « l’atmosphère et surtout de la figure sinueuse de David, dont l’expression est empreinte d’une fierté et d’une douce virilité que l’on trouve dans de nombreuses héroïnes de Gentileschi ». L’analyse des sources anciennes lui permet en outre de révéler que le sujet a été traité trois fois à taille humaine par cette talentueuse artiste, bien qu’aucune œuvre ne soit alors attestée jusque-là. Mais l’attribution est largement ignorée et c’est même à un « maître romain » que l’Américain R. Ward Bissell, spécialiste de l’art baroque italien, donne l’œuvre dans le catalogue raisonné d’Artemisia Gentileschi qu’il publie en 1999… Pourtant, le tableau refait surface en décembre 2018 lors d’une vente aux enchères organisée par la maison munichoise Hampel Fine Art Auctions, amenant les experts à le réexaminer. Ils choisissent d’avancer le nom d’Artemisia en se fondant sur les travaux de l’universitaire italien. Estimée 25 000/30 000 € dans le catalogue de la vente, la toile est finalement acquise pour 104 000 € par un collectionneur britannique qui sollicite l’expertise de Papi et la confie aux soins de Simon Gillespie (lequel a déjà restauré des peintures caravagesques), et son équipe.
Artemisia Gentileschi (1593-vers 1654), David avec la tête de Goliath (après restauration), 1638-1640. Huile sur toile, 202 x 137 cm. Collection particulière. © Courtesy Simon Gillespie Studio
Genèse de la restauration
Peinte sur une toile grossière comme celles utilisées habituellement en Italie au XVIIe siècle, recouverte d’une préparation brun foncé caractéristique des œuvres d’Artemisia, la composition présentait quelques altérations et déchirures, elle était recouverte d’épais vernis et avait visiblement subi un nettoyage un peu trop vigoureux, mais elle s’avérait en bon état de conservation. Ôter les vernis et les repeints observés notamment dans le ciel a permis de mettre en évidence l’insigne qualité de cette œuvre en révélant la délicatesse du clair-obscur et du modelé des chairs. « Profondeur, volume : le rendu de la troisième dimension est ici particulièrement maîtrisé dans les moindres détails » souligne Simon Gillespie. On distingue désormais les éléments architecturés du bâtiment devant lequel David est assis, les mèches de ses cheveux finement travaillées et surtout les reflets de lumière qui viennent par exemple éclairer subtilement le cou du jeune berger ou la colline à l’arrière-plan. Autant de détails qui témoignent d’une technique très aboutie et distinguent cette œuvre d’une copie d’atelier. Une observation en lumière rasante a également permis de remarquer des incisions à main levée destinées à faire ressortir les mains et les pieds de David, une technique employée par Caravage puis largement adoptée par ses émules.
Une œuvre londonienne
La restauration a enfin révélé sous un repeint la signature presque effacée de l’artiste, discrètement insérée dans la lame de l’épée : « ARTEMISIA FE… 16.. ». « C’était la cerise sur le gâteau », confie Simon Gillespie. La date reste illisible mais la palette chromatique, le rendu des manches en lin ou le paysage aride rappellent sans aucun doute le travail d’Artemisia Gentileschi dans les années 1630, tel l’ambitieux Corisca et le satyre (collection privée). Croisant analyse des œuvres et des sources documentaires, Gianni Papi avançait déjà en 1996 que le tableau avait dû être réalisé à Londres où l’Italienne séjourna entre 1638 et 1640 auprès de son père, devenu peintre de la cour de Charles Ier. La restauration a permis de conforter cette hypothèse que Papi développait dans un article publié dans The Burlington Magazine en mars 2020. Artemisia s’est d’ailleurs peut-être inspirée d’une composition bien connue de son confrère romain Domenico Fetti (vers 1620) dont le roi d’Angleterre possédait une version aujourd’hui conservée au Nationalmuseum de Stockholm. La pose et la composition affichent en effet un esprit commun même si Gentileschi propose une vision plus sobre et apaisée de l’épisode. Selon l’éminent historien de l’art, le tableau qui vient d’être restauré aurait même appartenu à Charles Ier ! Il n’est certes pas mentionné dans l’inventaire de sa collection, mais on sait que le monarque possédait plusieurs toiles d’Artemisia ; un David et Goliath est ainsi cité dans des sources du XVIIIe siècle. Il s’agissait même, selon l’historien de l’art Matthew Pilkington, de « la plus fameuse peinture de sa main » ayant figuré dans cette insigne collection (1798). Le tableau sera visible au Studio Simon Gillespie durant l’exposition de la National Gallery, nul doute que la confrontation à distance avec les chefs-d’œuvre prochainement réunis sera des plus éclairantes.
Détail de la signature sur la lame de l’épée. © Courtesy Simon Gillespie Studio