Au musée d’Orléans, plongée dans l’atelier de Guido Reni : une usine à chefs-d’œuvre

Guido Reni, David tenant la tête de Goliath (détail), collection Louis Phélypeaux de La Vrillière, Paris, avant 1672. Huile sur toile, 228 x 163 cm. Orléans, musée des Beaux-Arts. Photo service de presse. © Orléans, musée des Beaux-Arts
Guido Reni (1585-1642) a bénéficié ces dernières années de plusieurs grandes expositions monographiques, notamment à Francfort et à Madrid, qui ont soulevé la question des multiples versions d’une même œuvre. Le musée d’Orléans se penche à son tour sur l’art du « divin » Guido, en analysant le fonctionnement du pléthorique atelier de l’artiste à Bologne.
À partir de son retour de Rome, en 1613-1614, Guido Reni travailla presque exclusivement dans sa ville natale de Bologne où il posséda plusieurs ateliers lui permettant d’honorer différents types de commandes. Carlo Cesare Malvasia (1616-1693), son principal biographe, qui l’a bien connu à la fin de sa vie, nous apprend qu’il a employé jusqu’à 200 personnes à la fois : collaborateurs qualifiés, apprentis, élèves, broyeurs de pigments ou préparateurs de toile. Il n’était pas rare également que des artistes étrangers de passage dans la ville se confrontent à son art en venant travailler dans son atelier, l’un des plus prolifiques de l’époque.
Guido Reni, Sainte Dorothée. Huile sur toile, 85 x 79 cm. Royaume-Uni, collection particulière (courtoisie Robilant + Voena). Photo service de presse. © Robilant + Voena
« Hormis les tableaux d’exception, Guido Reni proposait à ses clients, en véritable entrepreneur, un “catalogue” allant de la répétition autographe à des œuvres de collaborateurs, jusqu’à la copie ordinaire d’atelier. »
Un entrepreneur
Malvasia nous renseigne aussi sur le tempérament de l’homme, très généreux mais éminemment irascible. En raison d’une addiction très forte aux jeux d’argent, Reni, harcelé par ses créanciers, rencontrait un besoin récurrent de liquidités, alors qu’il était probablement le peintre le mieux payé d’Europe. Son « divin » pinceau attirait les amateurs et les collectionneurs de tout le Vieux Continent, dont le pape. Hormis les tableaux d’exception, Guido Reni proposait à ses clients, en véritable entrepreneur, un « catalogue » allant de la répétition autographe à des œuvres de collaborateurs, jusqu’à la copie ordinaire d’atelier, comme le démontre avec brio Corentin Dury, conservateur en charge des collections anciennes au musée des Beaux-Arts d’Orléans et commissaire de l’exposition.
Collaborateur de Guido Reni, avec des ritocchi de Guido Reni (?), Saint Jérôme. Huile sur toile, 118 x 96,5 cm. Magny-les-Hameaux, église Saint-Germain-de-Paris. Photo service de presse. © Ville de Magny-les-Hameaux – Christian Lauté
Des versions différentes d’un même tableau
Le rôle des collaborateurs était primordial et plusieurs artistes très expérimentés demeurèrent des années dans l’atelier, Reni pouvant ou non apporter des « retouches » à leurs travaux. Il n’est pas aisé de s’y retrouver pour l’historien d’art du XXIe siècle et l’exposition d’Orléans, très didactique, met pour la première fois en regard différentes versions d’un même tableau ; c’est le cas de trois cuivres représentant le martyre de sainte Apolline : le premier, qui provient d’une collection particulière, a sans aucun doute été réalisé par Guido Reni lui-même, le deuxième, conservé au musée de Mantou, est d’une qualité un peu inférieure, il est donné à un brillant collaborateur ; enfin le dernier, prêté par le musée de Tessé au Mans, et clairement moins bien peint, émanerait de l’atelier.
Guido Reni, Le martyre de sainte Apolline, 1612-1614. Huile sur cuivre, 41,4 x 33,6 cm. Collection particulière. © akg-images / De Agostini Picture Library
Reni et l’estampe
Une section est dévolue aux estampes. Graveur virtuose, Guido Reni transcrivit notamment à l’eau-forte divers dessins de Parmigianino (1503-1540). Une anecdote raconte que lorsqu’il créa une estampe à la manière du maître de Parme, on refusa de croire qu’il en était l’inventeur ; il dut en créer une seconde, inversée et avec des variantes, pour prouver sa bonne foi. La diffusion de ses estampes et de ses dessins contribua à faire rayonner le style de Guido Reni à l’international.
Guido Reni (d’après), Girolamo Scarsello (graveur, Bologne, doc. 1635-1675), La Fortune. Eau-forte, 17,4 x 22,2 cm. Caen, musée des Beaux-Arts. Photo service de presse. © Musée des Beaux-Arts de Caen – Cécile Schuhmann
David tenant la tête de Goliath et la notion d’« original multiple »
Le musée des Beaux-Arts d’Orléans croyait conserver une copie du célèbre David tenant la tête de Goliath du Louvre provenant des collections de Louis XIV. Mais coup de théâtre, à la suite de sa restauration fondamentale par Cinzia Pasquali et l’atelier Arcanes, et de sa participation aux rétrospectives de Francfort et de Madrid, le tableau est aujourd’hui considéré comme un original de l’artiste. En effet, outre la qualité de la peinture, l’imagerie infrarouge a révélé de nombreux repentirs et Corentin Dury émet l’hypothèse que, à l’instar d’un Guerchin, le peintre aurait entrepris simultanément deux toiles pour une même composition : « l’hypothèse la plus plausible serait celle d’un travail d’élaboration et de tâtonnements sur le tableau orléanais et d’une reprise avec changements, presque immédiatement, sur la toile du Louvre, toujours par Reni ».
Guido Reni, David tenant la tête de Goliath, collection Louis Phélypeaux de La Vrillière, Paris, avant 1672. Huile sur toile, 228 x 163 cm. Orléans, musée des Beaux-Arts. Photo service de presse. © Orléans, musée des Beaux-Arts
Les David dans l’exposition
Toute la dernière partie de l’exposition est consacrée aux David, qu’ils soient peints par Reni, son atelier, ou d’après lui ; ils sont classés en quatre typologies (une quarantaine de pages y est consacrée dans le catalogue). Le seul dessin préparatoire connu de l’artiste pour son David a exceptionnellement été prêté par le Harris Museum de Preston et l’on regrette amèrement l’absence du célèbre tableau du Louvre, parti à Lens dans le cadre du renouvellement de l’accrochage de la Galerie du temps ! Cette section remet habilement en contexte le tableau d’Orléans et démontre combien Guido Reni renouvelle l’iconographie du thème.
« Le projet de cette exposition est d’explorer les inventions du maître, qu’elles restent sous son pinceau ou qu’elles existent et circulent à travers ses collaborateurs » explique Corentin Dury. La démonstration est convaincante.
Vue de la section de l’exposition « Dans l’atelier de Guido Reni » consacrée aux David. Photo service de presse. © Orléans, musée des Beaux-Arts
« Dans l’atelier de Guido Reni », jusqu’au 30 mars 2025 au musée des Beaux-Arts, place Sainte-Croix, 45000 Orléans. Tél. 02 38 79 21 86. www.museesorleans.fr
Catalogue, coédition Silvana Editoriale / musée des Beaux-Arts d’Orléans, 215 p., 39 €.