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Au Vatican, la plus grande des quatre Chambres de Raphaël a retrouvé ses couleurs et révélé ses secrets

Giulio Romano (1499-1546) et atelier, Le Baptême de Constantin, peinture à fresque. Rome, musées du Vatican, salle de Constantin.

Giulio Romano (1499-1546) et atelier, Le Baptême de Constantin, peinture à fresque. Rome, musées du Vatican, salle de Constantin. © Governatorato SCV / Direzione dei Musei e dei Beni Culturali

La restauration de la salle de Constantin, ultime étape d’une campagne lancée il y a dix ans, vient de se terminer. Avec la fin de ce chantier, qui a fait émerger de nouvelles connaissances sur les techniques picturales de Raphaël, la totalité des décors du peintre d’Urbino et de ses suiveurs dans les appartements pontificaux ont retrouvé leur éclat.

Depuis la fin du mois de juin, le public, qui en cette année jubilaire afflue en nombre dans la Ville éternelle, peut à nouveau admirer la plus vaste des quatre Chambres vaticanes de Raphaël (1483-1520). Ce chantier de grande ampleur a permis aux historiens de l’art de mieux comprendre le travail du maître et de son atelier : « Avec cette restauration, nous réécrivons une page de l’histoire de l’art », souligne la directrice des musées du Vatican, Barbara Jatta.

Un décor débuté par le maître et achevé par ses élèves

Raphaël avait 25 ans lorsque le pape Jules II lui commanda, en 1508, la décoration de ses appartements. La plus grande des quatre salles à laquelle il s’attela, l’Aula pontificum superior, devait accueillir des événements prestigieux, consistoires, audiences papales ou banquets. Le programme iconographique fait référence au premier empereur romain chrétien, Constantin. Le décor de cette salle, que Barbara Jatta présente comme « la pièce la plus importante du complexe, tant sur le plan politique que programmatique », fut réalisé sous plusieurs pontificats, tout au long du XVIe siècle. Raphaël étant mort en 1520, alors que les peintures étaient à peine commencées, ses dessins servirent de guides pour ses élèves, au premier rang desquels son principal collaborateur, Giulio Romano (1499-1546).

La salle de Constantin, au Vatican, à la fin du chantier de restauration.

La salle de Constantin, au Vatican, à la fin du chantier de restauration. © Governatorato SCV / Direzione dei Musei e dei Beni Culturali

Les Stanze de Raphaël,
chefs-d’œuvre du Vatican

En 1508, le pape Jules II prit deux décisions déterminantes pour le Vatican et l’histoire de l’art. Il chargea Michel-Ange de réaliser le décor de la chapelle Sixtine et Raphaël, celui de ses appartements pontificaux, connu sous le nom de Stanze ou Chambres. Raphaël et ses brillants élèves réalisèrent les peintures de quatre pièces : la chambre de la Signature, où l’on peut admirer la célèbre fresque de L’École d’Athènes, la chambre de l’Incendie du Borgo, la chambre d’Héliodore et la salle de Constantin.

Raphaël (1483-1520), L’École d’Athènes. Peinture à fresque. Rome, musées du Vatican, salle de la Signature.

Raphaël (1483-1520), L’École d’Athènes. Peinture à fresque. Rome, musées du Vatican, salle de la Signature. © Governatorato SCV / Direzione dei Musei e dei Beni Culturali

Deux allégories peintes à l’huile par Raphaël

Le chantier de restauration et les analyses scientifiques qui ont été réalisées durant toute sa durée ont permis aux historiens de l’art de préciser la chronologie des décors et, surtout, d’en étudier les techniques. Ils savaient grâce à des sources historiques que Raphaël envisageait d’employer la peinture à l’huile dans l’une des Chambres, sans savoir s’il avait mis ce projet à exécution. En 2017, ils avaient annoncé avoir attribué à Raphaël deux figures allégoriques de la salle de Constantin : l’Amitié (Comitas) et la Justice (Iustitia). Les analyses scientifiques permettent d’affirmer aujourd’hui qu’elles ont été réalisées à l’huile, et non a fresco. Les historiens de l’art considèrent ces deux allégories comme les dernières œuvres peintes par le maître italien.

La Justice, figure peinte à l’huile par Raphaël, en cours de restauration dans la salle de Constantin, au Vatican.

La Justice, figure peinte à l’huile par Raphaël, en cours de restauration dans la salle de Constantin, au Vatican. © Governatorato SCV / Direzione dei Musei e dei Beni Culturali

Une technique expérimentale et un unicum

Les restaurateurs ont par ailleurs découvert une série de clous encastrés dans un mur de la salle de Constantin. Leur hypothèse est que Raphaël les avait placés ainsi pour maintenir une surface en résine naturelle qu’il comptait ensuite peindre à l’huile. « Ce fut une véritable découverte, a déclaré Fabio Piacentini, restaurateur en chef aux musées du Vatican. La technique utilisée et planifiée par Raphaël était véritablement expérimentale pour l’époque et n’a jamais été retrouvée dans aucune autre peinture murale à l’huile. » Les experts estiment que Raphaël avait l’intention de peindre l’ensemble de la salle de Constantin à l’huile.

L’Amitié (photo après restauration) est l’une des deux allégories peintes à l’huile par Raphaël dans la salle de Constantin, au Vatican.

L’Amitié (photo après restauration) est l’une des deux allégories peintes à l’huile par Raphaël dans la salle de Constantin, au Vatican. © Governatorato SCV / Direzione dei Musei e dei Beni Culturali

Un double objectif : restaurer et analyser

Pour l’équipe de conservateurs et de restaurateurs en charge du chantier de la salle de Constantin, l’objectif de ces dix ans de travaux n’était pas seulement la restauration des peintures. Acquérir une connaissance approfondie des œuvres et de leur processus de création était tout aussi important. Les moyens mis en œuvre furent donc nombreux : réflectographie infrarouge, fluorescence UV, analyses stratigraphiques, le tout complété par une modélisation 3D de l’ensemble de la salle qui permettra de proposer aux chercheurs un outil innovant.

Les allégories de la Justice (à gauche) et de l'Amitié (à droite), ultimes œuvres de Raphaël dans la salle de Constantin, sous fluorescence UV.

Les allégories de la Justice (à gauche) et de l'Amitié (à droite), ultimes œuvres de Raphaël dans la salle de Constantin, sous fluorescence UV. © Governatorato SCV / Direzione dei Musei e dei Beni Culturali

Quatre panneaux signés Giulio Romano

Principal collaborateur de Raphaël, Giulio Romano a repris la conduite du chantier avec ses propres assistants après la mort de son maître. Guidés par ses dessins, ils ont exécuté quatre scènes de la salle de Constantin : La Vision de la Croix, La Bataille du Pont Milvius, Le Baptême de Constantin et La Donation de Rome. La restauration en a restitué les couleurs, la profondeur et la monumentalité.

Giulio Romano (1499-1546) et atelier, La Vision de la Croix. Peinture à fresque. Rome, musées du Vatican, salle de Constantin.

Giulio Romano (1499-1546) et atelier, La Vision de la Croix. Peinture à fresque. Rome, musées du Vatican, salle de Constantin. © Governatorato SCV / Direzione dei Musei e dei Beni Culturali

Une impressionnante voûte illusionniste

Remplaçant le plafond de bois qui coiffait auparavant la salle, la voûte fut décorée par le Sicilien Tommaso Laureti (1530-1602), élève de Sebastiano del Piombo, qui plaça au centre de la composition Le Triomphe du christianisme sur le paganisme, allusion à la destruction des idoles païennes ordonnée par Constantin et à leur remplacement par l’image du Christ. Ce chef-d’œuvre illusionniste fut exécuté de 1582 à 1585, près de quatre-vingts ans après le début du chantier de la salle de Constantin. Réalisés par plusieurs peintres chevronnés, au fil de plusieurs décennies, les différents décors de la salle de Constantin constituent un précieux témoignage de la peinture à Rome du début à la fin du XVIe siècle.

Le plafond de la salle de Constantin, peint par Tommaso Laureti (1530-1602) de 1582 à 1585. Aux angles de la voûte, les hauts faits du pape Grégoire XIII, commanditaire de l’œuvre ; sur le panneau central, le Triomphe du christianisme sur le paganisme ; autour, huit régions d'Italie et trois continents, l'Europe, l'Asie et l'Afrique.

Le plafond de la salle de Constantin, peint par Tommaso Laureti (1530-1602) de 1582 à 1585. Aux angles de la voûte, les hauts faits du pape Grégoire XIII, commanditaire de l’œuvre ; sur le panneau central, le Triomphe du christianisme sur le paganisme ; autour, huit régions d'Italie et trois continents, l'Europe, l'Asie et l'Afrique. © Governatorato SCV / Direzione dei Musei e dei Beni Culturali