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Avant-première versaillaise : un touchant chef-d’œuvre de Mignard retrouve son éclat en amont de l’exposition sur le Grand Dauphin

Pierre Mignard (1612-1695), La Famille du Grand Dauphin, Louis de France, 1687. Huile sur toile, 232 x 304 cm. Versailles, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon.

Pierre Mignard (1612-1695), La Famille du Grand Dauphin, Louis de France, 1687. Huile sur toile, 232 x 304 cm. Versailles, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon. Photo service de presse. © Château de Versailles, dist. RMN / Christophe Fouin

En 1687, la monarchie semble solide et la succession au trône assurée. Louis de France, également nommé Monseigneur ou le Grand Dauphin, fils aîné de Louis XIV et Marie-Thérèse d’Autriche, est père de trois garçons. Un portrait est commandé à Pierre Mignard pour célébrer cette famille heureuse, image de l’avenir du royaume. Conservée au château de Versailles, cette œuvre insigne vient de bénéficier d’une restauration, à quelques mois de l’exposition que l’institution consacrera à l’automne au Grand Dauphin. Nous vous proposons d’en découvrir le résultat en avant-première.

« Fils de roi, père de roi et jamais roi » : ainsi le mémorialiste de la cour Saint-Simon résumait-il la vie du Grand Dauphin, Louis de France, disparu en 1711 après une vie entière passée sur les marches du trône. Ces paroles sont le sous-titre de l’exposition que prépare le château de Versailles, la première dédiée à la vie et aux collections de celui qui aurait dû succéder au Roi-Soleil.

De Meudon à Versailles

La Famille du Grand Dauphin, Louis de France a été commandée par la Surintendance des bâtiments à Pierre Mignard (1612-1695) en 1687. Livré en 1688, le tableau a d’abord orné les appartements de la Dauphine, avant d’être transporté dans la demeure favorite du Grand Dauphin, le château de Meudon. Il a regagné Versailles à sa mort, en 1711, mais n’en a retrouvé les cimaises que lorsque Louis XV souhaita honorer son grand-père.

Pierre Mignard (1612-1695), La Famille du Grand Dauphin, Louis de France (détail), 1687. Huile sur toile, 232 x 304 cm. Versailles, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon.

Pierre Mignard (1612-1695), La Famille du Grand Dauphin, Louis de France (détail), 1687. Huile sur toile, 232 x 304 cm. Versailles, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon. Photo service de presse. © Château de Versailles, dist. RMN / Christophe Fouin

L’image heureuse et éphémère d’une dynastie florissante

À gauche de la composition, le Grand Dauphin contemple sa famille : son épouse, Marie-Anne-Victoire de Bavière (1660-1690), et ses trois fils. À droite, vêtu de rouge, l’aîné, le duc de Bourgogne (1682-1712), regarde le spectateur, tout comme son frère, le duc d’Anjou (1683-1746), assis sur un coussin aux pieds de sa mère. Celle-ci veille sur le dernier-né, le duc de Berry (1686-1714). Cette image heureuse et sereine du bonheur familial autant que de l’avenir de la Couronne de France se fissura rapidement : avec la mort de la Dauphine, d’abord, en 1690, et surtout avec celles du Grand Dauphin, de son aîné et de son benjamin à quelques années d’écart, ouvrant une véritable crise dynastique. À la mort de Louis XIV, en 1715, le seul survivant de ce portrait de famille, le duc d’Anjou, était devenu roi d’Espagne, en 1700, sous le nom de Philippe V, et ne pouvait plus prétendre au trône de France. Tous les espoirs de la dynastie reposaient alors sur le seul fils survivant du duc de Bourgogne, Louis de France, qui succédera à son arrière-grand-père sous le nom de Louis XV.

Les révélations de la restauration

Afin de prendre place en majesté dans l’exposition « Le Grand Dauphin (1661-1711). Fils de roi, père de roi, jamais roi » cet automne, le tableau a préalablement été confié aux soins du Centre de recherche et de restauration des musées de France (C2RMF). Élodie Vaysse, conservatrice chargée des peintures des XVIe et XVIIe siècles au château de Versailles, précise : « Plusieurs examens y ont été menés. Les repeints et le vernis, opaque et jauni, ont été retirés. Cela a permis de retrouver, en bas à droite, la signature de l’artiste, et de rendre visibles plusieurs repentirs. » La position du bras droit du Grand Dauphin a, par exemple, été modifiée par Pierre Mignard pendant l’exécution du tableau.

Pierre Mignard (1612-1695), La Famille du Grand Dauphin, Louis de France, en cours de restauration. Versailles, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon.

Pierre Mignard (1612-1695), La Famille du Grand Dauphin, Louis de France, en cours de restauration. Versailles, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon. Photo service de presse. © C2RMF

Une pratique insolite, l’incrustation des portraits

La restauration de La Famille du Grand Dauphin, Louis de France a aussi mis en évidence un procédé insolite employé par Mignard pour les visages de ses modèles : ceux-ci ont été peints à part avant d’être incrustés dans la toile principale. Le peintre et son atelier ont ainsi pu réaliser le reste de la composition, notamment le corps des cinq personnages, sans être contraints par les séances de pose et l’emploi du temps de leurs illustres modèles. Les découpes des différents portraits sont bien visibles en lumière rasante. Autour de la tête du duc de Bourgogne, on distingue une découpe en rond, tandis que le morceau sur lequel a été peinte la tête du Grand Dauphin est de format carré. D’autres peintres de la famille royale ont eu recours à ce procédé, dont Hyacinthe Rigaud pour son emblématique portrait de Louis XIV.

On devine autour de la tête du Grand Dauphin la découpe de la toile sur laquelle elle a été peinte avant d’être incrustée dans la composition.

On devine autour de la tête du Grand Dauphin la découpe de la toile sur laquelle elle a été peinte avant d’être incrustée dans la composition. Photo service de presse. © Château de Versailles, dist. RMN / Christophe Fouin

La première exposition dévolue au Grand Dauphin

« Le Grand Dauphin a été peu étudié, explique Lionel Arsac, conservateur du patrimoine chargé des sculptures à Versailles et commissaire de l’exposition. C’est pourtant un homme de son temps et de son rang, très bien formé au métier de roi, qui a reçu une éducation moderne et possédait de très belles collections. » Peintures, sculptures, manuscrits, gemmes, porcelaines de Chine, mobilier Boulle – le Grand Dauphin était le premier client du fameux ébéniste : ses collections rivalisent avec celles du souverain lui-même. L’exposition permettra d’en juger grâce à la réunion de quelque 250 œuvres, dont des prêts exceptionnels provenant de collections espagnoles et britanniques.

Deux scabellons d’André-Charles Boulle ayant orné le mythique cabinet des Glaces du Grand Dauphin au château de Versailles et des bronzes de sa collection, tel cet Enlèvement d’une Sabine d’Antonio Susini, seront présentés dans l’exposition « Le Grand Dauphin (1661-1711). Fils de roi, père de roi, jamais roi » dans une évocation de ce cabinet disparu.

Deux scabellons d’André-Charles Boulle ayant orné le mythique cabinet des Glaces du Grand Dauphin au château de Versailles et des bronzes de sa collection, tel cet Enlèvement d’une Sabine d’Antonio Susini, seront présentés dans l’exposition « Le Grand Dauphin (1661-1711). Fils de roi, père de roi, jamais roi » dans une évocation de ce cabinet disparu. © Actu-culture.com / L.C.