Avril 2025 : notre sélection de livres d’art

La gare d'Orsay devenue musée. © daliu - stock.adobe.com
Ce mois-ci, L’Objet d’Art nous invite à suivre la métamorphose impressionnante de la gare d’Orsay, à rire des plaisanteries d’Alphonse Allais, à nous interroger sur le rapport de Marcel Duchamp à l’occultisme et enfin à nous plonger avec délices dans les œuvres de Matisse et Klimt en grand format.
Orsay, de la gare au musée
Comment passe-t-on d’une spectaculaire gare implantée en plein cœur de Paris à un temple dédié à la beauté et aux arts ? C’est l’une des questions soulevées par ce bel ouvrage réalisé sous la houlette de Clémence Raynaud, conservatrice en chef Architecture au musée d’Orsay, qui propose notamment un passionnant entretien avec Henri Loyrette, membre de l’équipe des conservateurs en 1978 et qui avait suivi le complexe chantier de construction du musée. Les divers articles reviennent sur la riche histoire de la gare, depuis son érection à l’initiative de la Compagnie des chemins de fer d’Orléans, dans un contexte politique et culturel marqué par l’Exposition universelle de 1900, jusqu’à sa transformation muséale dans les années 1970-1980. Enrichi de nombreux documents (photographies, plans et relevés, gravures, cartes postales, brochures de presse…), ce livre rappelle à merveille, quarante ans après l’inauguration du musée, les âpres débats qui n’ont cessé de jalonner la chronologie de ce lieu emblématique. L’édifice conçu par Victor Laloux, symbole de modernité et d’identité nationale à sa création, devient rapidement obsolète et incarne pour certains l’instabilité de la IIIe République. Cette monographie s’intéresse particulièrement à la question du rôle de l’État et de la formation de l’opinion publique, ainsi qu’aux dimensions sociale et anthropologique des réflexions dont fit l’objet ce site. On appréciera par ailleurs les œuvres d’art qui illustrent formidablement l’ouvrage, parmi lesquelles des tableaux (Monet, Caillebotte), des photographies (Sophie Calle, Jim Purcell) ou encore des dessins (Philip Charles Hardwick, Charles Lameire).
Clémence Raynaud (dir.), La gare d’Orsay et ses métamorphoses, Hazan, 2024, 192 p., 35 €.
Le « poisson d’avril » d’Alphonse Allais
Après s’être intéressé aux inspirations de Dickens (Le grand livre des avares, 2023), de Nabokov (Qui a écrit Trixie ?, 2023) et de Jean Renoir (Petit déjeuner chez les Nikolidès, 2025), et avoir réédité un bel et imposant ouvrage consacré à La Haute Savoie (2024), les éditions Aux Feuillantines d’Hervé Lavergne proposent de redécouvrir dans un petit format amusant l’Album primo-avrilesque d’Alphonse Allais. Cette farce littéraire et artistique, publiée à l’origine le 1er avril 1897 par le grand conteur, romancier et homme de théâtre connu pour ses maints calembours et bons mots, comporte de courts textes drolatiques et facétieux, accompagnant sa fameuse série de monochromes (ou plutôt de compositions « monochroïdales », pour reprendre son expression), parmi lesquels Combat de nègres dans une cave, pendant la nuit, Manipulation de l’ocre par des cocus ictériques ou encore Récolte de la tomate par des cardinaux apoplectiques au bord de la mer Rouge. Avec son livret qui revient sur l’histoire et la postérité de cet objet littéraire non-identifié, il ravira les amateurs d’« Allais, celui qui ira », selon le mot d’Alfred Jarry, mais aussi les curieux qui ne sont pas nécessairement familiers avec cet esprit taquin aux sociabilités joyeuses (n’était-il pas en effet membre des « Fumistes », « Hydropathes » et autres « Hirsutes » ?). Alors que les éditions originales de cet ouvrage s’arrachent aujourd’hui à prix d’or, Hervé Lavergne, en cohérence avec la politique éditoriale de la maison, rend accessible à tous ce petit monument d’humour et d’inventivité, pour notre plus grand amusement. Cet homme de presse, co-fondateur de Courrier International, se consacre désormais à la réédition d’œuvres singulières, insolites, méconnues et souvent inédites, afin de mettre, comme il l’écrit lui-même, « l’inaccessible à portée de main ».
Alphonse Allais, Album primo-avrilesque, Aux Feuillantines, (réédition 1897), 16 fiches et un livret., 20 €.
Marcel Duchamp, artiste et médium
Pascal Rousseau, professeur d’histoire de l’art contemporain à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et commissaire d’expositions, revient dans ce dense ouvrage sur l’œuvre de Marcel Duchamp. Inventeur du « ready-made », personnalité certes iconoclaste mais trop souvent réduite à une figure de théoricien de la « dérision » de l’art, ses créations transgressives contribuent en réalité à l’émergence d’une réflexion nouvelle, régénérante, sur la place de l’art et le rôle de l’artiste qu’il contribue à redéfinir. Enrichi d’une soixantaine d’illustrations (photographies, caricatures, dessins, aquarelles, unes de journaux d’époque…), ce livre immerge le lecteur dans la pensée de Duchamp, à la croisée de l’anarchisme et du symbolisme, et l’entraîne au fil de ses expérimentations aux marges du réel, emporté qu’il était par la vague occultiste des milieux artistiques du début du XXe siècle qui puisait aux sources du spiritisme, de la médiumnité et de l’écriture automatique. Articulé en trois parties, le propos invite à considérer l’influence qu’eurent de nombreuses figures contemporaines sur Duchamp, à l’instar de l’avant-gardiste Kandinsky, du « Sâr » rosicrucien Joséphin Péladan, de l’anarchiste František Kupka ou encore de l’écrivain et poète moderniste T. S. Eliot, témoignant de l’itinéraire intellectuel d’un pionnier qui, par sa réflexion sans cesse en mouvement, anticipe la conception résolument moderne de l’art comme performance.
Pascal Rousseau, Marcel Duchamp. La magie de l’art, collection Art et Artistes, Gallimard, 344 p., 32 €.
Voir Klimt et Matisse en grand
Destinée à immerger le lecteur dans l’univers des plus illustres artistes, la séduisante collection « L’art plus grand » récemment lancée par Hazan compte deux nouveaux opus, l’un consacré à Gustav Klimt, l’autre à Henri Matisse. Fort attrayants dès l’abord grâce à leur reliure aussi luxueuse que colorée, ces ouvrages proposent de retracer la carrière d’un peintre à travers une sélection d’une soixantaine d’œuvres parmi les plus célèbres. On apprécie la très belle qualité des reproductions pleines pages et les six dépliants grand format qui ponctuent chaque livre, permettant véritablement au lecteur d’approcher au plus près de l’acte créateur, d’appréhender la touche, la palette et le style de chaque artiste. L’emblématique Baiser de Klimt, sa vénéneuse Judith tenant la tête d’Holopherne, ou ses spectaculaires décors destinés au Palais Stoclet de Bruxelles sont ainsi particulièrement à l’honneur, accompagnés par les textes de Philippe Thiébaut qui fut l’un des premiers conservateurs du musée d’Orsay. C’est la prose d’Anne Sefrioui, auteure de nombreux ouvrages consacrés aux musées, aux grands monuments et à l’impressionnisme, qui accompagne les œuvres chatoyantes de Matisse. On peut y scruter, plus près que jamais, le Bonheur de vivre pleinement fauviste, les éblouissants « intérieurs symphoniques » des années 1911, les variations sur le thème de la danse et les audacieuses gouaches découpées créés après 1941, telle l’immense Tristesse du roi. Des livres que l’on a plaisir à (s’)offrir.
Philippe Thiébaut, Klimt, collection L’art plus grand, Hazan, 172 p., 39,95 €.
Anne Sefrioui, Matisse, collection L’art plus grand, Hazan, 172 p., 39,95 €.