Enquête : le nouveau visage des musées du Vatican (1/3). « Une maison vivante et ouverte à tous »

Vue de la basilique Saint-Pierre. © Adobe Stock
Les musées pontificaux font d’ordinaire parler d’eux pour leurs fabuleux trésors artistiques, dont le plus insigne est la chapelle Sixtine. Mais depuis l’élection, le 13 mars 2013, du pape François, ils occupent le devant de la scène pour d’autres raisons : nomination à leur tête d’une femme, expositions aux enjeux diplomatiques, dialogue avec les autres cultures et religions du monde… Un vent nouveau souffle sur les musées fondés par le pape Jules II voici plus de 500 ans.
La nouvelle a fait le tour du monde. Le jeudi 26 mars 2015, quelque 150 sans-abri qui campaient aux abords de la place Saint-Pierre de Rome, où des douches gratuites avaient été installées un mois plus tôt sous la colonnade du Bernin, étaient invités aux musées du Vatican par l’aumônier du pape, Mgr Konrad Krajewski. Une visite dans la plus stricte intimité – les lieux avaient été fermés au public pour l’occasion. Et pour cause ! Dans la chapelle Sixtine, les nouveaux venus eurent la surprise d’être accueillis par le pape François. « Cette maison appartient à tout le monde, elle est aussi la vôtre », leur déclara ce dernier. Six mois plus tard, le pontife argentin réitérait son message, en accueillant dans l’enceinte des musées une cinquantaine de détenus de la prison romaine de Rebibbia. « Des prisonniers et des SDF étaient traités comme des hôtes de marque, à l’égal des chefs d’État qui ont droit à une visite privée de la Sixtine. C’était du jamais vu ! », se souvient le journaliste italien Marco Politi, spécialiste du Vatican et auteur de deux ouvrages consacrés au pape François (édités en France par Philippe Rey). Depuis l’élection, le 13 mars 2013, du cardinal Jorge Mario Bergoglio, les musées pontificaux ont en effet été marqués par une série d’initiatives qui sont venues bousculer cette institution cinq fois centenaire.
Les collections papales
Ouverte au public en 1932, la pinacothèque vaticane conserve 460 peintures et tapisseries, collectionnées par les papes depuis le XVIIIe siècle. Des œuvres de Giotto, Fra Angelico, Melozzo da Forlì (dont on voit l’un des Anges musiciens), le Pérugin, Raphaël, Léonard de Vinci, Titien, Véronèse ou encore Caravage.
Melozzo da Forlì (1438-1494), Ange musicien, vers 1480. Fragment de fresque détachée, 93,5 x 117 cm. États pontificaux du Vatican, musées du Vatican. © Éric Vandeville / akg-images
Une femme prend la tête des musées
À commencer par la nomination à leur tête, le 1er janvier 2017, de Barbara Jatta (voir « Entretien avec leur directrice Barbara Jatta »). Succédant à Antonio Paolucci, cette historienne de l’art de 59 ans, spécialiste des arts graphiques, est la première femme à occuper ce poste. « Le Saint-Siège peut être qualifié d’État patriarcal et phallocentrique, car les femmes y sont cantonnées à des rôles sulbaternes ! L’arrivée de Mme Jatta constituait un premier signe de changement, en accord avec la volonté affichée par le pape de féminiser les postes de responsabilité au sein du Vatican », explique Marco Politi. « Il s’agit d’un geste fort, qui n’est pas resté isolé », poursuit le journaliste. Ces dernières années, plusieurs femmes ont en effet été nommées à des postes clés. Parmi elles, citons Mariella Enoc, comme présidente de l’hôpital pédiatrique du Vatican (le Bambino Gesù), Catia Summaria, promoteure de justice (procureure) à la cour d’appel du Vatican, la sœur Nathalie Becquart, soussecrétaire du Synode des évêques (elle sera la première femme à voter dans cette assemblée, qui joue le rôle de Parlement), ou encore Francesca Di Giovanni, au poste de vice-présidente à la Secrétairerie d’État. Équivalent d’un ministère des Affaires étrangères, ce dicastère est l’un des plus importants de la curie romaine.
Les musées du Vatican en chiffres
– Un complexe palatial et muséal de 55 000 m².
– 1 400 salles.
– 7 km de parcours de visite.
– 12 musées différents, avec des collections égyptiennes, étrusques, grecques et romaines, chrétiennes, épigraphiques, ethnologiques, historiques, d’art ancien, d’art moderne…
– 2 des plus grands cycles décoratifs de la Renaissance : la voûte de la chapelle Sixtine (Michel-Ange) et les Chambres de Raphaël.
– 23 hectares de jardins.
– 1 000 employés.
– 6,8 millions de visiteurs en 2019, soit le musée le plus visité d’Italie avant la pandémie.
– Un manque à gagner de 100 millions d’euros en 2020 (selon les chiffres de l’AFP).
« Diplomate de la beauté »
Des femmes donc, mais surtout des professionnelles reconnues pour leur expérience et leurs compétences. Barbara Jatta a travaillé à la bibliothèque vaticane pendant 20 ans, avant d’être appelée à diriger les musées du Saint-Siège. Depuis maintenant presque 5 ans, elle gère énergiquement cet immense complexe muséal, qui compte un millier d’employés et dont les galeries longues de 7 km renferment 12 musées différents et l’une des plus grandes collections d’art au monde. Mais les tâches qu’elle mène vont en réalité au-delà des missions de gestion, de valorisation et de conservation habituellement dévolues au directeur d’un grand musée. Le pape François, en effet, considère que l’art a un rôle à jouer dans les délicates opérations diplomatiques menées par le Saint-Siège. Pour répondre à ce souhait, Barbara Jatta s’est métamorphosée en « diplomate de la beauté » et a supervisé plusieurs projets d’expositions stratégiques, conçus en étroite collaboration avec la Secrétairerie d’État.
Michelangelo Merisi da Caravaggio dit Caravage (1571-1610), La Mise au tombeau, vers 1600-1604. Huile sur toile, 300 x 203 cm. États pontificaux du Vatican, musées du Vatican. © Musei Vaticani
Des icônes russes sur la place Saint-Pierre
Fin 2016-début 2017, les musées du Vatican ont ainsi noué un partenariat sans précédent avec la Russie. Et accepté de prêter 42 chefs-d’œuvre de la pinacothèque (dont Les Anges musiciens de Melozzo da Forli et La Mise au tombeau du Caravage), un chiffre record, à la Galerie Tretiakov de Moscou, principal musée d’art national de Russie, où s’est tenue fin 2016-début 2017 l’exposition « Roma Aeterna ». Un geste artistique, mais aussi diplomatique. En retour, celle-ci s’est montrée tout aussi généreuse, en prêtant au Saint-Siège 54 icônes et tableaux russes, dont certains n’avaient jamais quitté le pays. Intitulée « Pèlerinage dans l’art russe », cette exposition, axée sur la spiritualité, a été présentée dans un lieu très symbolique : sur la place Saint-Pierre de Rome, à quelques mètres de la basilique, édifice le plus important du catholicisme. Le pape n’a pas manqué l’événement, s’attardant devant certaines icônes. Une visite interprétée comme un geste d’amitié supplémentaire envers ce pays et son Église orthodoxe. « Cette diplomatie culturelle vient renforcer le rapprochement entre le Saint-Siège et la Russie. Le pape sait qu’il ne peut y avoir d’avancées dans le conflit syrien, dans la protection des chrétiens d’Orient ou dans la crise du nucléaire iranien sans dialogue avec Vladimir Poutine », analyse la journaliste Constance Colonna-Cesari, qui a consacré un documentaire (sur Arte) et un livre aux « secrets de la diplomatie vaticane » (éditions du Seuil).
Rapprochement historique avec la Chine
Mais le plus grand succès de cette « diplomatie de l’art » reste l’exposition organisée conjointement par le Vatican et par la Chine, alors que ces deux États n’ont pas encore de relations officielles. Au printemps 2019, la Cité interdite de Pékin a accueilli 76 objets chinois issus des musées du Vatican, auxquels sont venues s’ajouter des œuvres de ses propres collections, réalisées par des artistes catholiques (tel le Jésuite milanais Giuseppe Castiglione). Une grande première dans l’histoire, longtemps tendue, de ces deux États. « Cet événement s’inscrit dans la normalisation des rapports entre le Saint-Siège et la Chine communiste, à la suite de la signature, en septembre 2018, d’un accord historique, et très controversé, dans lequel le pape reconnaît des évêques nommés par les autorités chinoises. Cela met fin à une situation de grave division entre, d’une part, cette Église catholique “officielle” chinoise et, d’autre part, une Église “clandestine” restée fidèle à Rome », précise Constance Colonna-Cesari.
Les États pontificaux
Chef spirituel de plus d’un milliard de fidèles, le pape est aussi un chef d’État. Située sur la colline du Vatican, au cœur de Rome, la Città del Vaticano est une ville dans la ville, un micro-État de 44 hectares, dont les extrémités nord et sud ne sont distantes que de 800 mètres. La basilique Saint-Pierre, le palais pontifical et les musées occupent environ la moitié de sa superficie, tandis que l’autre moitié, presque entièrement verte, est plantée de vastes jardins. Le Vatican, minuscule par sa taille, s’avère grand par son influence à travers le monde. Dans les négociations diplomatiques que mènent ses services, réputés pour leur discrétion et leur habileté, les musées pontificaux jouent depuis peu un rôle.
Le pape François et ses cardinaux dans la chapelle Sixtine. © Éric Vandeville / akg-images
À la rencontre des autres cultures
Ce n’est également pas un hasard si, dernièrement, le musée ethnologique a fait peau neuve. Cette section, qui réunit des œuvres provenant d’Afrique, d’Asie, d’Amérique ou d’Océanie, restait l’une des plus méconnues des musées du Vatican. Elle a été remise au cœur de l’actualité et des collections muséales par le pape François, premier souverain pontife issu du continent américain, qui s’est distingué par ses prises de position en faveur des peuples autochtones et de l’Amazonie. C’est d’ailleurs à cette région du monde qu’a été consacrée la première exposition de ce musée ethnologique (« Mater Amazonia – The deep breath of the world »), alors même que se tenait, à Rome, le synode des évêques sur l’Amazonie. Le pape est venu en personne l’inaugurer. « Je pense que les musées du Vatican sont appelés à devenir de plus en plus une “maison” vivante, habitée et ouverte à tous, les portes grandes ouvertes aux populations du monde entier », a-t-il déclaré à cette occasion, le 18 octobre 2019. La pandémie a porté un coup d’arrêt à cette volonté. Mais les musées pontificaux viennent de rouvrir, faisant renaître les espoirs et les projets.
Les arts extra-européens en vedette
Cette coiffe océanienne de 2,73 mètres de haut, mêlant des ornements et des plumes de cacatoès et d’oiseaux de paradis, a conservé depuis plus d’un siècle l’éclat de ses couleurs. Elle est l’une des pièces phares du musée ethnologique, département préféré du pape François, qui a inauguré ses espaces rénovés en 2019.
Couvre-chef de cérémonie, Papouasie-Nouvelle-Guinée, fin XIXᵉ -début XXᵉ siècle. Plumes, fibres végétales, bois, coquillage, os, 273 x 102 x 93 cm. États pontificaux du Vatican, musées du Vatican. © Musei Vaticani
Visite des musées et des jardins du Vatican uniquement sur réservation (gratuite) sur le portail tickets.museivaticani.va
Des visites guidées sont possibles, en les réservant à l’avance sur ce même portail.
Pour toute question : help.musei@scv.va
Pour visiter virtuellement le musée et consulter les collections : www.museivaticani.va
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