Enquête : le nouveau visage des musées du Vatican (2/3). Entretien avec leur directrice Barbara Jatta

Vue des jardins du Vatican. © Adobe Stock
Les musées du Vatican ont rouvert leurs portes le 3 mai 2021. Leur directrice, Barbara Jatta, évoque à cette occasion les salles et des chefs-d’œuvre à ne pas manquer. Et revient sur les grands chantiers qu’elle a menés à la tête de l’institution depuis sa nomination par le pape François, il y a presque 5 ans.
Le 1er janvier 2017, vous étiez nommée directrice des musées du Vatican. Vous souvenez-vous de ce que vous avez éprouvé à cette annonce ?
Oui, je m’en souviens très bien ! C’était un mélange d’étonnement et de joie. J’étais très heureuse de pouvoir m’occuper d’un patrimoine aussi riche, non seulement sur le plan artistique, mais aussi sur celui de la spiritualité, car cette beauté peut mener à la Foi.
Vous êtes la première femme à diriger les musées du pape. Il était temps ? Quelle est votre position à ce sujet ?
Lorsque j’ai pris mes fonctions, on a beaucoup insisté sur cet aspect. Cela me semblait réducteur. Je travaillais à la bibliothèque vaticane depuis 20 ans, on connaissait mon travail… Je ne me sentais pas choisie en raison de mon genre. Puis j’ai vu que d’autres postes de responsabilité à l’intérieur du Saint-Siège avaient été confiés à des femmes et que c’était, indéniablement, un aspect important.
Paradis vert
Depuis le 3 mai 2021, on peut à nouveau visiter les musées du Vatican, mais aussi les jardins, 23 hectares de pelouses, topiaires, potager, vergers, bois, ponctués de fontaines, statues et grottes artificielles. Une oasis inattendue à proximité de la basilique Saint-Pierre, dont la gigantesque coupole flotte au-dessus de cet écrin de verdure.
Les jardins du Vatican. © Adobe Stock
Une révolution, encouragée par le pape François, est-elle en marche au Vatican ?
Je parlerais plutôt d’une prise en compte de l’évolution de la société.
« La beauté est un instrument extraordinaire pour dialoguer. »
Deux expositions, auxquelles vous avez participé, ont fait grand bruit ces dernières années, l’une organisée en partenariat avec la Russie, l’autre avec la Chine. Une « diplomatie de l’art » est-elle à l’œuvre au Saint-Siège ?
Ce type de projet a en effet une dimension diplomatique. Après avoir exposé des chefs-d’œuvre de notre pinacothèque à Moscou, des tableaux russes ont été présentés chez nous à Rome en 2018, et le pape a souhaité les voir. Il ne vient pas à chaque inauguration, et c’était donc un geste fort. Il s’est mêlé au public, comme un simple visiteur, et une dame a manqué s’évanouir en l’apercevant ! Lorsque les expositions concernent des pays avec lesquels des tractations délicates sont en cours, la Secrétairerie d’État [« ministère des Affaires étrangères » du Saint-Siège, ndlr] est impliquée. Parfois, le pape François lui-même peut être l’instigateur du projet.
Le Vatican en territoire étrusque
Le musée grégorien étrusque fut l’un des premiers consacrés exclusivement à l’art étrusque. Il a été fondé par le pape Grégoire XVI en 1837, afin d’accueillir les vestiges découverts sur le territoire des États pontificaux. Clou des collections, ce guerrier en bronze a été retrouvé intact près de Todi (Ombrie) en 1835.
Le Mars de Todi, fin du Ve siècle avant J.-C. Bronze, H. 141 cm. États pontificaux du Vatican, musées du Vatican. © Luisa Ricciarini / Bridgeman Images
L’exposition qui s’est tenue à la Cité interdite en 2018, première du genre entre les musées du pape et la Chine, s’appelait « La beauté nous unit ». L’art peut-il favoriser et renforcer l’amitié entre les peuples ?
Certainement. La beauté est un instrument extraordinaire pour dialoguer, établir des contacts amicaux, favoriser la compréhension mutuelle. C’est ce que le pape attend aujourd’hui de ses musées. Il a affirmé à plusieurs reprises l’importance de créer des ponts grâce à l’art – pour lui, l’art « naît du cœur des peuples et s’adresse au cœur de peuples ». Nous le faisons grâce à des expositions, mais aussi à travers nos collections : en particulier celles du musée ethnologique, dont les salles ont été rénovées en 2019. Cette section est la plus riche des musées du Vatican. Elle conserve près de 100 000 objets, issus de tous les continents ! Ces œuvres permettent de tisser des liens avec des visiteurs de pays lointains, et de faire en sorte qu’ils se sentent ici, chez eux. Par son universalité et son ouverture sur le monde, cette section correspond à la vision qu’a le pape François de son pontificat.
« Je crois que les hommes ont plus que jamais besoin de se nourrir d’art, de beauté et d’harmonie, et que les musées peuvent être d’un grand secours dans la période que nous traversons. »
Avec quels pays aimeriez-vous dans le futur tisser des liens ? Des projets sont-ils actuellement en cours ?
Oui, mais ils ont été interrompus par la pandémie et je ne sais pas s’ils pourront avoir lieu. Je préfère donc ne pas les évoquer pour l’instant…
Parlez-nous des grands chantiers que vous avez supervisés ces quatre dernières années…
Le chantier de restauration des Chambres de Raphaël a été poursuivi, avec le nettoyage des fresques de la dernière Chambre, celle de Constantin. Elles ont été exécutées par ses élèves mais grâce à la restauration, on a pu identifier deux figures de sa main. Les dix tapisseries commandées par le pape Léon X pour la chapelle Sixtine, et réalisées d’après des cartons de Raphaël, ont aussi été restaurées et en février 2020, ce cycle a été accroché sur les murs de la chapelle, comme il l’était voici 500 ans ! Nous poursuivons également de nombreux projets de recherche, à l’image du « Vatican Coffin Project » (auquel le Louvre est associé), qui concerne nos sarcophages égyptiens. Nous avons aussi organisé un colloque en 2018, autour de la conservation préventive dans les grands musées du monde. L’Ermitage de Saint-Pétersbourg, le J. Paul Getty Museum de Los Angeles, la National Gallery de Londres ou encore le Louvre y ont participé. Ce colloque a été l’occasion de confronter nos expériences et nos stratégies, de tisser des liens entre grandes institutions muséales. Cela s’est révélé précieux au moment de la pandémie…
Place à l’art religieux moderne
Van Gogh, mais aussi Bacon, Chagall, Rouault ou encore Klee et Matisse… On l’ignore souvent, mais les musées du Vatican sont dotés depuis 1973 d’un département d’art sacré moderne. Initiée par Paul VI, qui souhaitait un rapprochement entre l’Église catholique et les artistes, cette collection compte aujourd’hui environ 8 000 tableaux, sculptures et dessins.
Francis Bacon, Étude pour le pape de Velásquez II, 1961. Huile sur toile, 150 x 118 cm. Don Gianni Agnelli. États pontificaux du Vatican, musées du Vatican. © Musei Vaticani
Quelles ont été les conséquences financières de cette pandémie pour vos musées ?
Les musées du Vatican tirent l’essentiel de leurs res-sources de la billetterie. Notre situation est donc encore plus compliquée que celle des musées nationaux, qui peuvent compter sur l’aide de l’État. Mais nous avons mis ces mois de fermeture à profit pour effectuer des travaux d’entretien. Les fresques de la chapelle Sixtine ont ainsi été soumises à une grande opération de dépoussiérage !
Les musées pontificaux ont été rouverts en février-mars 2021 et le sont à nouveau depuis le 3 mai. Que pensez-vous de la situation en France, où les musées sont restés fermés pendant 7 mois sans interruption ?
Je crois que les hommes ont plus que jamais besoin de se nourrir d’art, de beauté et d’harmonie, et que les musées peuvent être d’un grand secours dans la période que nous traversons. Je ne vois donc pas pourquoi les lieux culturels ne pourraient pas rouvrir, à partir du moment où toutes les précautions sanitaires sont prises…
La chapelle Sixtine éclipse souvent les autres sections des musées. Lesquelles conseillez-vous aux visiteurs d’aller voir absolument ?
La pinacothèque est magnifique, et elle l’est encore da-vantage depuis que l’accrochage et l’éclairage de la salle Raphaël ont été revus. Cette année, nous projetons de rénover la salle dédiée à Pérugin et celle consacrée à Léonard. J’invite aussi les visiteurs français à découvrir le somptueux musée grégorien-étrusque, de même que la collection d’art moderne et contemporain, ouverte en 1973. Celle-ci compte des œuvres de Van Gogh, de Rodin, de Francis Bacon, ainsi qu’une salle entière consacrée à Matisse et à la chapelle du Rosaire à Vence !
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