François Rouan dialogue avec les siècles à Fontevraud

La façade nord du grand réfectoire qui mesure 46 mètres de long sur 10 de large. Photo service de presse. © Tomasz Namerła © Adagp, Paris, 2025
Nichée au cœur du Val de Loire, l’abbaye de Fontevraud est dépositaire d’une histoire quasi millénaire mais ouvre volontiers ses portes aux créateurs contemporains. Elle vient ainsi d’inaugurer un remarquable ensemble de vitraux imaginés par François Rouan pour le grand réfectoire.
Voilà cinquante ans que l’abbaye convie musiciens et artistes à se produire, résider et exposer entre ses murs. La place accordée aux peintres, sculpteurs et plasticiens s’est toutefois affirmée ces dernières années, avec l’inauguration du musée d’Art moderne, la multiplication des cartes blanches et les commandes d’œuvres in situ. Alors que vient de s’achever le projet de décor des six nouvelles cloches, confié à divers artistes comme le duo nantais Barreau-Charbonnet, François Réau ou encore Françoise Pétrovitch, c’est au tour du grand réfectoire de proposer un éblouissant dialogue entre patrimoine et création contemporaine : les huisseries du XIXe siècle, tout juste restaurées, accueillent désormais les vitraux de François Rouan (né en 1943).
« Rouan n’en est pas à son coup d’essai, puisqu’il a créé, dès 1988, des vitraux pour des édifices patrimoniaux de premier plan, comme la cathédrale de Nevers ou le château de Hautefort. »
Un dialogue entre les siècles
S’il a visité l’abbaye dans les années 1980, l’artiste montpelliérain a véritablement découvert les lieux à l’occasion de cette commande. « C’était à la fin de l’automne, se souvient-il, l’ambiance était un peu mélancolique et j’ai été bouleversé par ce qui subsistait de ce lieu de silence, par l’épaisseur de son histoire. » Une histoire dont les soubresauts ont laissé de profondes empreintes dans le grand réfectoire. Accolée à la cuisine romane et au cloître Renaissance, cette superbe salle, restructurée et voûtée au XVIe siècle (période faste pour l’abbaye), accueillait autrefois les moniales, qui y prenaient leurs repas en silence, accompagnées par la seule lecture de l’Évangile. Mais lorsque Fontevraud devient prison après la Révolution, le réfectoire est profondément remanié et cloisonné pour abriter des ateliers.
Afin de retisser subtilement les liens entre les différentes strates de l’histoire, l’artiste estime que son intervention doit être modeste : « L’idée de faire une exposition d’art contemporain me faisait frémir », confie-t-il. Rouan n’en est pas à son coup d’essai, puisqu’il a créé, dès 1988, des vitraux pour des édifices patrimoniaux de premier plan, comme la cathédrale de Nevers ou le château de Hautefort. Riche de ces expériences, il signe ici un projet unique à bien des égards, à commencer par la nature même des vitraux, insérés dans les huisseries anciennes sans recours au plomb.
« Je suis comme n’importe quel artiste, je parle toujours de moi ; mais la création de vitraux est un travail collectif qui m’a appris à prendre de la distance. »
François Rouan
Évoquer aussi bien l’abbaye que la prison
Le principal défi consistait à renouer le dialogue entre les deux façades du bâtiment, chahutées par les transformations du XIXe siècle. Côté sud, les fenêtres largement agrandies laissent entrer un flot de lumière « sauvage », tandis qu’au nord, les ouvertures inégalement réduites donnent sur un mur quasi aveugle… Après avoir réalisé des centaines de peintures et de dessins, après avoir « conversé » avec les abbesses et les prisonniers et s’être imprégné de la beauté du lieu, François Rouan a patiemment affiné son projet, avec la complicité du maître-verrier Bruno Loire et de son équipe.
Si l’intervention se devine à peine depuis l’extérieur, dès la porte franchie, les couleurs et les motifs qui évoluent au rythme des heures et des saisons insufflent au réfectoire une vie nouvelle. Au nord, le tressage des teintes et des formes qui fait écho à la pratique picturale de l’artiste explore la richesse des effets offerts par le jaune d’argent, une technique qui révolutionna l’art du vitrail au XIVe siècle. Parmi les motifs réalisés par sablage, les nombreuses croix – rappelant à la fois la vocation religieuse du site et les barreaux d’une prison – dialoguent avec les triskèles, symboles d’universalité et du temps qui passe ; des motifs griffonnés évoquent les graffitis de prisonniers, tandis que de troublantes silhouettes font allusion aux gisants des Plantagenêt ou aux portraits d’abbesses.
Les strates de l’histoire
L’harmonie est soudain interrompue au niveau de l’imposante porte qui a remplacé la chaire de parole au XIXe siècle, afin de suggérer la radicalité de cette transformation. Le rouge intense et les motifs largement déployés répondent au décor imaginé pour le côté sud. En concertation avec les divers acteurs du projet (DRAC, Région, Inspection générale des Monuments historiques), Rouan a conçu un procédé inédit : il évoque l’empreinte des fenêtres d’origine en complétant les manques grâce à des panneaux d’aluminium anodisé.
Réconciliant avec brio le sacré et le profane, les vitraux de François Rouan composent un vibrant hommage au génie des lieux, ainsi qu’aux femmes et aux hommes qui se sont succédé entre ses murs…
Abbaye royale de Fontevraud, place des Plantagenets, 49590 Fontevraud-l’Abbaye. Tél. 02 41 51 73 52. www.fontevraud.fr
À lire : Collectif, Fontevraud, un chemin de lumière. Les vitraux de François Rouan, Éditions 303, 176 p., 25 €.





