Guido Reni est-il l’auteur de l’Atalante et Hippomène en cours de restauration au musée de Libourne ?

Atalante et Hippomène. Huile sur toile, 200 x 251 cm. Libourne, musée des Beaux-Arts. Photo service de presse. © C2RMF / Laurence Clivet
Le musée des Beaux-Arts de Libourne conserve-t-il une toile du maître baroque italien Guido Reni (1575-1642) ? C’est une hypothèse que sa restauration en cours pourra confirmer ou infirmer. Repérée dans les réserves du musée, l’œuvre figurant Atalante et Hippomène est au cœur d’une véritable enquête. Elle a d’ores et déjà montré de grandes qualités d’exécution et a été soumise à des analyses scientifiques attestant sa réalisation par un artiste du XVIIᵉ siècle.
Tout comme le musée de la Chartreuse, à Douai, dont une toile redécouverte en réserve a récemment été attribuée à Lavinia Fontana, le musée des Beaux-Arts de Libourne pourrait avoir longtemps conservé, sans le savoir, un tableau de Guido Reni, dont une remarquable exposition au musée des Beaux-Arts d’Orléans dévoilait récemment les secrets de l’atelier. La toile, qui figurait dans l’inventaire du musée comme copie tardive d’un célèbre chef-d’œuvre de l’artiste et était recouverte d’un papier Japon, a été repérée dans les réserves en 2022, lors d’un récolement.
« L‘œuvre est décrite [en 1949] comme “une très belle copie de 2 x 3 mètres d’un Hippomène et Atalante de Guido, dont l’original se trouve au musée de Naples” ».
L’enquête débute
Malgré l’état du tableau, Caroline Fillon, directrice du musée, et Sophie Jarrosson, restauratrice de peinture, en ont rapidement remarqué les qualités d’exécution. Après la fausse piste d’un dépôt du Louvre, sa trace a été retrouvée dans les archives : une délibération du conseil municipal mentionne un don concédé en 1949 par un particulier à la ville pour son musée. L‘œuvre est décrite comme « une très belle copie de 2 x 3 mètres d’un Hippomène et Atalante de Guido, dont l’original se trouve au musée de Naples ». Cette iconographie, bien connue des historiens de l’art italien du XVIIe siècle, a permis de lancer l’enquête sur la piste du peintre italien.
Lorsqu’elle a été repérée dans les réserves, l’œuvre était entièrement recouverte de papier Japon. La restauratrice a pratiqué une première fenêtre dans ce papier au niveau de la main d’Atalante et a ôté le vernis oxydé. Photo service de presse. © Sophie Jarrosson
Un épisode des Métamorphoses
Désireux de s’unir à Atalante, Hippomène accepte le défi lancé par la jeune femme : la battre à la course pour pouvoir l’épouser. Il sollicite l’aide de Vénus, déesse de l’Amour, qui lui procure trois pommes d’or du jardin des Hespérides. Alors qu’Atalante commence à le dépasser, Hippomène lance les pommes une par une afin de la ralentir : « La jeune fille surprise, attirée par la pomme brillante, se détourne au milieu de sa course et ramasse l’or qui roulait à terre », raconte Ovide dans les Métamorphoses. Le peintre a représenté Hippomène et Atalante en pleine course, leurs drapés virevoltant autour d’eux, au moment où Atalante ramasse la deuxième pomme. Guido Reni a peint cette scène à trois reprises au moins : une version est conservée au musée du Prado, à Madrid, la deuxième au musée de Capodimonte, à Naples, la troisième dans une collection particulière, récemment exposée à Bologne. L’existence de plusieurs versions n’est pas étonnante pour un tableau considéré comme un chef-d’œuvre. Reni a pu en confier au moins partiellement la réalisation aux artistes de son atelier, dont il supervisait le travail.
Guido Reni, Atalante et Hippomène, vers 1620-1625. Huile sur toile, 206 x 279 cm. Madrid, museo nacional del Prado. © Alonso de Mendoza
« Cette fenêtre nous a ouvert une autoroute ! »
Afin de juger de l’état réel du tableau, il fallait avant tout ôter le papier et le vernis, jauni, qui en faussait la vision. Une première fenêtre a été pratiquée au niveau de la main d’Atalante : « Les mains et les visages, éléments complexes à réaliser, sont de bons indices de la qualité de la réalisation d’une œuvre. Cette fenêtre nous a ouvert une autoroute ! », explique Caroline Fillon. La totalité de la couche picturale a ensuite été dégagée. Cela allait permettre de répondre à une question cruciale : s’agit-il, comme l’indiquaient certaines archives, d’une copie du XIXe siècle, ou bien d’une peinture du XVIIe ? Six mois d’études ont alors débuté au Centre de recherche et de restauration des musées de France (C2RMF), concluant que ses matériaux, notamment la toile, datent bien du Grand Siècle. Les repeints et ajouts ultérieurs, telles les sandales, ont été identifiés – ils ont depuis été ôtés par la restauratrice. La présence de repentirs, révélée par la réflectographie infrarouge et la radiographie, confirmerait l’originalité de l’œuvre.
L’Atalante et Hippomène du musée des Beaux-Arts de Libourne en cours de dévernissage. Photo service de presse. © musée des Beaux-Arts de Libourne
De nouveaux indices à découvrir
La restauration se déroulera jusqu’au 15 juin dans la chapelle du Carmel, espace d’exposition du musée des Beaux-Arts de Libourne transformé pour l’occasion en atelier de restauration et en espace de médiation, ouvert au public. De nouveaux indices apparaissent régulièrement, qui infirmeront ou confirmeront la piste d’une quatrième version d’Atalante et Hippomène par Guido Reni. L’existence de cette version est mentionnée dans les archives : elle a appartenu à la collection de José de Madrazo, ancien directeur du musée du Prado, puis au marquis de Salamanca, qui l’a vendue à Paris en 1867. Rachetée par le mandataire du marquis, elle a ensuite disparu. Retrouvera-t-on des documents permettant, parallèlement à la restauration, d’éclairer l’histoire de la toile de Libourne, voire de la relier à ces collections espagnoles ? Rendez-vous est pris le 20 mai, pour une conférence qui fera le point des connaissances alors acquises, puis mi-juin, lorsque la restauration s’achèvera, afin de savoir si une évidence s’impose.
La lampe de Wood révèle les traits de contour des personnages du tableau Atalante et Hippomène, en cours de restauration au musée de Libourne. Photo service de presse. © musée des Beaux Arts de Libourne