Le média en ligne des Éditions Faton

La Cour carrée du Louvre : trois siècles pour un décor

Le pavillon de l’Horloge élevé en 1639 domine l’aile ouest de la Cour carrée de ses quatre couples de cariatides, oeuvres de Jacques Sarazin, Gilles Guérin et Philippe De Buyster.

Le pavillon de l’Horloge élevé en 1639 domine l’aile ouest de la Cour carrée de ses quatre couples de cariatides, oeuvres de Jacques Sarazin, Gilles Guérin et Philippe De Buyster. © Adobe Stock – aleks

Chef-d’œuvre de la Renaissance achevé sous la Restauration, le décor de la Cour carrée impose avec autorité le dialogue étroit de l’architecture et de la sculpture, né de la collaboration géniale de Pierre Lescot et Jean Goujon.

Par leur qualité et leur nouveauté, la structure et le décor de l’aile Henri II, édifiée par Pierre Lescot et sculptée par Jean Goujon, ont servi de point d’ancrage pour l’ensemble de l’actuelle Cour carrée. L’inventivité des articulations horizontales et verticales en fort relief, mais aussi la différence de largeur et d’épaisseur des avant-corps, entre le plus grand, au centre, et les deux latéraux, se retrouvent sur toutes les façades. Si celle d’Henri II ne représente que le huitième de l’ensemble, la cour primitive ayant été quadruplée pour donner l’actuelle Cour carrée, son décor, achevé au XIXe siècle, a toujours plus ou moins respecté l’élévation, le rythme et le type d’ornementation conçus par Lescot.

Goujon et Lescot : un décor à quatre mains

La richesse de ce décor est exceptionnelle pour une façade intérieure de château. Lors de la première campagne de travaux, à partir de 1548, les trois oculi des portes du rez-de-chaussée ont été ornés par Jean Goujon de souples figures féminines dont l’iconographie reste encore incertaine, sinon pour les allégories de l’histoire et de la renommée. La frise, peuplée d’enfants et de guirlandes de fleurs, se rattache à une seconde campagne, comme le décor qui surmonte les fenêtres de l’étage, portant les emblèmes d’Henri II, croissant, H, chien de chasse, tête de Diane. Cette ribambelle enfantine sera poursuivie tout au long des façades postérieures, accompagnant les chiffres des rois successifs, K de Charles IX, HDB d’Henri IV, Lambda et A de Louis XIII et Anne d’Autriche, L et MT de Louis XIV et Marie-Thérèse.

Le décor de l’attique, fruit d’une dernière campagne (1553), tapisse le dernier étage. Des trophées d’armes cantonnent les fenêtres. De grandes figures, aux volumes affirmés pour être vus de loin, ornent chaque avant-corps. Au centre, le pouvoir royal victorieux s’exprime par les armes du roi (refaites) entre deux Victoires, que complètent Mars, Bellone et des captifs enchaînés. Aux avant-corps latéraux, on voit, à gauche, la Nature (avec pour figures secondaires Bacchus ou la Vigne, Cérès ou la Terre, un fleuve ou l’Eau, un satyre, peut-être Pan, ou les Forêts) et, à droite, la vertu de l’Intelligence portant un caducée (accompagnée, pour figures secondaires, de deux grands personnages et deux enfants étudiant, considérés parfois comme la Géométrie et l’Astronomie, ou Euclide et Archimède). Nature et Science semblent ainsi se compléter. Comme des cabochons d’orfèvrerie, des plaques de marbre ont été insérées au-dessus des fenêtres ou sur les parois. Des tables rectangulaires de marbre noir portent des inscriptions, alors que des ovales, entourés de guirlandes, offrent les couleurs variées des marbres des Pyrénées.

Détail du décor de l’attique de l’avant-corps sur la façade Henri II, sculpté par Jean Goujon entre1546 et 1553 : en haut, deux Victoires encadrent les armes royales, surplombant Mars, Bellone et deux captifs enchaînés ; courant au-dessus des fenêtres de l’étage, les frises d’enfants ; au-dessus de la porte, l’oculus encadré de figures.

Détail du décor de l’attique de l’avant-corps sur la façade Henri II, sculpté par Jean Goujon entre1546 et 1553 : en haut, deux Victoires encadrent les armes royales, surplombant Mars, Bellone et deux captifs enchaînés ; courant au-dessus des fenêtres de l’étage, les frises d’enfants ; au-dessus de la porte, l’oculus encadré de figures. © Musée du Louvre, dist. RMN – C. Rose

Un nouveau pavillon pour une cour quadruplée

Le retour de cette façade vers la Seine correspond à une aile élevée sous Charles IX. Il ne comprenait à l’origine que deux avant-corps égaux et a été par la suite élargi d’une travée vers l’est, sous Henri IV. Louis XIII met en œuvre le quadruplement de la cour en faisant démolir les vestiges du château médiéval. Accolé à l’extrémité nord de la façade Henri II, Jacques Lemercier construit en 1639 le très haut pavillon de l’Horloge, dit « pavillon Sully ». Il porte un décor innovant de quatre groupes de très hautes cariatides sculptés par Gilles Guérin et Philippe De Buyster d’après un modèle de Jacques Sarazin. Reflet des cariatides de la salle de bal qui porte leur nom (voir « Le Louvre de la Renaissance »), ces figures ont toutefois abandonné l’austérité des colonnes de la tribune des musiciens pour devenir des couples de véritables femmes qui s’enlacent et manifestent leurs sentiments par des gestes d’amitié. Elles seront le modèle des cariatides du temps de Napoléon III.

Depuis le pavillon, Clément Métezeau a lancé une nouvelle aile vers le nord, en miroir de la première. Le décor en reste cependant inachevé à l’exception des oculi sculptés par Gérard Van Opstal. Les parties hautes ne recevront leurs sculptures qu’en 1807 selon le schéma décoratif de l’aile Lescot. Les trois avant-corps sont ornés de figures allégoriques exécutées par Roland, Moitte et Chaudet. Ainsi Jean Guillaume Moitte a sculpté l’image de la Loi, dominant des législateurs œcuméniques, Moïse et Numa Pompilius, et, en format plus réduit, Isis et l’inca Manco Càpac.

Sur la partie haute de l’attique de l’aile occidentale de la Cour carrée : la Loi surplombe, à gauche, Moïse, à droite, Numa Pompilius, œuvres de Jean Guillaume Moitte en 1806.

Sur la partie haute de l’attique de l’aile occidentale de la Cour carrée : la Loi surplombe, à gauche, Moïse, à droite, Numa Pompilius, œuvres de Jean Guillaume Moitte en 1806. © Musée du Louvre, dist. RMN – P. Philibert

De Goujon à David d’Angers

Louis XIV poursuit le quadruplement de la cour en achevant l’aile sud, puis en élevant l’aile nord et l’aile orientale au revers de la Colonnade. Celle-ci étant plus haute que les bâtiments précédents, on décide de faire régner un attique plus linéaire et orné de colonnes. Plusieurs projets se succèdent depuis Claude Perrault jusqu’à Percier et Fontaine en 1806, en passant par Ange Jacques Gabriel sous Louis XV. Désormais, chacune des trois ailes du XVIIsiècle porte au centre un fronton classique orné d’allégories. Celui de l’est est décoré sous Louis XV, en 1757-1758, par Guillaume II Coustou, mais les armes royales ont été remplacées plus tard par un coq gaulois. Ceux du nord et du sud, dus à Claude Ramey (1811) et Jacques Philippe Lesueur (1814), exaltent Napoléon. Si des masques grimaçants sur des clefs d’arc ou des frises ont été sculptés sous Louis XIV, l’encadrement des oculi du rez-de-chaussée est confié tardivement, en 1820-1824, sous Charles X, à une pléiade de sculpteurs qui reprennent le style de Goujon, reconnu par le néoclassicisme comme le « nouveau Praxitèle ». Chaque couple de figures illustre un art ou une science ; on y voit par exemple la poésie, le théâtre, l’histoire et même la politique, sous les traits de la France remettant un rouleau à la Charte. Pierre Jean David d’Angers, alors tout jeune, donne à l’Innocence implorant la Justice la beauté charnelle d’un corps féminin. Quant aux statues installées dans les niches, ce sont soit des copies d’antiques, soit des allégories disposées sous Napoléon III.