La plus grande pièce du fabuleux service « bleu céleste » de Louis XV retourne à Versailles

Présentation du plat à l'occasion de sa vente chez Auctie's le 18 avril 2025. © Auctie’s
Les collections de porcelaine du château de Versailles viennent de s’enrichir d’un « grand plat ovale » inédit du service bleu céleste1, commandé par Louis XV à la jeune manufacture de Vincennes. Livré en 1755, il constitue alors une prouesse technique et consacre les progrès éclatants de l’or blanc français.
Versailles, le 11 février 1754 : « [Le roi] nous occupa à déballer son beau service bleu, blanc et or, de Vincennes, que l’on venait de renvoyer de Paris, où on l’avait étalé aux yeux des connaisseurs2. C’était un des premiers chefs-d’œuvre de cette nouvelle manufacture de porcelaines qui prétendait surpasser et faire tomber celle de Saxe ».
La manufacture de Vincennes : un enjeu politique
Unboxing avant la lettre, cet épisode célèbre raconté par le duc de Croÿ, témoigne bien de l’enjeu considérable que représentait cette commande, lancée trois ans plus tôt : anéantir la concurrence allemande en matière de porcelaine. La question n’est pas de savoir qui aura le plus joli service, mais plutôt de consolider durablement l’économie du royaume en limitant les importations étrangères.
Manufacture de Vincennes, détail du grand plat ovale du service à fond bleu céleste de Louis XV, 1755. Porcelaine tendre, 60,5 x 44,5 x 6,5 cm. Vente Paris, Auctie’s, 18 avril 2025. Estimé : 20 000/30 000 €. Préempté 332 800 € (frais inclus) par le château de Versailles. © Auctie’s
Un service pour le roi
Comme à Meissen, on installe la manufacture dans un vénérable château fort, et l’on y copie (impunément) les modèles venus d’outre-Rhin. À une différence près, que les observateurs de la cour — pressés de célébrer le triomphe sur les Teutons — se gardent bien de souligner : les gisements de kaolin n’ont pas encore été découverts près de Limoges, et la recette française, même pour le roi, est celle d’une pâte tendre. Nonobstant, les efforts considérables déployés par Louis XV, encouragés par Madame de Pompadour, mènent Vincennes sur la voie du succès. À partir de 1751, la crème des artistes et des scientifiques s’attelle à concevoir le premier grand service digne de rivaliser avec celui, déjà légendaire, du comte de Brühl en Saxe3. Jean-Claude Duplessis (père) est chargé d’en créer les formes. Orfèvre, bronzier, et brillant dessinateur, il laissera dans les archives de la manufacture des dizaines de feuilles préparatoires qui permettent de suivre pas à pas l’élaboration d’un ensemble parfaitement nouveau et cohérent. Jean Hellot, chimiste de génie recruté dans les rangs de l’Académie royale des sciences, met au point spécialement le coloris « bleu céleste », synthèse alchimique du « bleu du roi » et du « bleu ancien » — celui, turquoise, des anciennes porcelaines de Chine tant désirées.
Manufacture de Vincennes, terrine de forme nouvelle du service à fond bleu céleste de Louis XV, 1753-1754. Porcelaine tendre, 31 x 45,5 x 28 cm. Acquise en 2004 grâce au legs de Mlle Marguerite Siret. Photo service de presse. © RMN (Château de Versailles) / Gérard Blot
Le retour d’une pièce hors normes
Grâce au soutien des Amis de Versailles, le château vient donc d’acquérir à prix céleste — 332 800 € (frais inclus) — l’une des 1749 pièces4 de cette fastueuse vaisselle, et pas n’importe laquelle ! Il s’agit d’un « grand plat ovale »5 livré en 1755, la plus grande pièce du service, qui compte également parmi les plus grandes porcelaines jamais produites par Vincennes. Surtout ne pas se fier à son apparente sobriété, ni à la simplicité du décor ; le luxe est dans les détails. Ce modèle, d’une virtuosité inimaginable, coûtait la bagatelle de 840 livres. Ses dimensions, 60 x 45 cm, repoussent alors les limites techniques des ateliers et dépassent même les dimensions des fours : pour entrer en largeur, notre plat devait être disposé en biais grâce à un astucieux pupitre. Pas moins de sept cuissons étaient nécessaires à l’élaboration d’un tel morceau de bravoure, deux rien que pour le bleu, trois autres pour le décor de fleurs, et deux enfin pour la dorure. Le résultat est à la hauteur du royal commanditaire. Le bleu vibrant, translucide, est animé par les nervures feuillagées de Duplessis. Le bouquet et les guirlandes de fleurs, liseron, rose, campanule, œillet, tulipe, violette d’une fraîcheur éclatante, donnent une profondeur à la réserve immaculée. Chacun des cartouches qui rythment la bordure est comme serti par une frise de piastres et d’épines finement ciselées ; usage de l’or qu’aucune manufacture européenne ne pourra bientôt surpasser.
Manufacture de Vincennes, grand plat ovale du service à fond bleu céleste de Louis XV, 1755. Porcelaine tendre, 60,5 x 44,5 x 6,5 cm. Vente Paris, Auctie’s, 18 avril 2025. Estimé : 20 000/30 000 €. Préempté 332 800 € (frais inclus) par le château de Versailles. © Auctie’s
À vendre : porcelaines « du plus beau choix »
Devant cette réussite, il est décidé, dès 17576, de céder une partie du service au futur duc de Choiseul, alors ambassadeur. De cette manière la promotion en est assurée à l’étranger — à condition d’inviter les bonnes personnes à sa table. Louis XV, conquis, commandera même des compléments, et la vaisselle bleu céleste sera utilisée jusqu’aux dernières heures de l’Ancien Régime. À la fin des années 1770 elle accompagnera Marie-Antoinette dans sa retraite champêtre à Trianon. Il n’est donc pas si étonnant que la seule figurine identifiée du surtout soit… une petite vache ! La reine aime la nature, surtout lorsque faune et flore sont de porcelaine. Mais en 1789 le ciel s’assombrit, il lui faut quitter les lieux, et ses meubles. Tous seront dispersés au cours des ventes fleuves qui se déroulent d’août 1793 à août 1794. L’annonce de l’encan précise : porcelaines « du plus beau choix » ; on ne saurait lui donner tort.
Manufacture de Vincennes, jatte à punch du service à fond bleu céleste de Louis XV, 1753-1755. Porcelaine tendre, 14 x 33,7 cm. Acquise en 2011 grâce au mécénat de KPMG. Photo service de presse. © RMN (Château de Versailles) / Gérard Blot
1995-2025 : trente ans de chasse aux porcelaines
Ce grand plat ovale est la quatorzième pièce7 du service à regagner les collections du château de Versailles. Après un nettoyage minutieux par microaspiration qui permettra de faire disparaître le cheveu qui le traverse, il rejoindra sans aucun doute le cabinet des porcelaines aménagé par Marie-Laure de Rochebrune en 2019 dans la Salle des buffets8, laquelle a retrouvé sa fonction au cœur de l’appartement intérieur du roi. En 1995, c’est pour meubler la Salle à manger des porcelaines qu’avaient été acquises les trois corbeilles « élevées » du même ensemble, premières pièces bleu céleste présentées à Versailles depuis les dispersions révolutionnaires. Ces dernières années, l’intense politique d’acquisition dans le domaine de la céramique a porté ses fruits, et d’autres objets emblématiques ont donc suivi, comme la terrine en 2004 ou la jatte à punch9 en 2011. La nouvelle acquisition comble donc une lacune majeure, et — même sans égaler les vitrines du duc de Buccleuch — contribuera à évoquer in situ le faste du premier service royal complet en porcelaine française.
Manufacture de Vincennes, plateau et moutardier du service à fond bleu céleste de Louis XV, 1753-1754. Porcelaine tendre, 3,6 x 16,8 x 13,8 cm et 7 x 9 x 6 cm. Don de la Société des Amis de Versailles, 2004. Photo service de presse. © RMN (Château de Versailles) / Gérard Blot
1 Préempté lors de la vente Auctie’s du 18 avril 2025 à l’hôtel Drouot, 332 800 € (frais inclus).
2 Chez le marchand Lazare Duvaux.
3 Le service aux cygnes, commandé en 1736 à la manufacture de Meissen, comptera plus de deux mille pièces.
4 Dont 1266 pièces de surtout : bobèches, piédestaux, balustres, corbeilles, vases, figures…
5 D’un ensemble de quatre. Les deux autres connus (dont un ayant été cassé et monté en guéridon) sont conservés à Boughton House, dans les collections du duc de Buccleuch.
6 Vente de 244 pièces, dont une partie est aujourd’hui conservée chez le duc de Buccleuch et Queensberry à Boughton House (Angleterre).
7 Les treize autres pièces du service conservées à Versailles sont : cinq corbeilles et trois plats de différents modèles, une assiette, une jatte à punch, une terrine, un moutardier (avec son plateau), et un compotier.
8 Aussi appelée Salle du billard, désormais accessible en visite guidée. Elle servait, ainsi que la salle à manger adjacente, aux expositions-ventes des produits de la manufacture royale de Sèvres.
9 Grâce au généreux mécénat de la société KPMG.