La renaissance de la Frick Collection

La salle Fragonard à la Frick Collection. Photo service de presse. © Joseph Coscia Jr.
Après quatre années de travaux, la Frick Collection rouvre ses portes. Une importante campagne de rénovation et de restauration vient de rendre son éclat à l’un des plus somptueux hôtels particuliers new-yorkais du début du XXe siècle. Désormais accessibles au public, les appartements privés de la famille Frick révèlent l’importance des collections de peinture et d’arts décoratifs français du XVIIIe siècle.
Un siècle après sa construction, l’imposante demeure donnant sur Central Park vient de retrouver sa splendeur. Décrite comme « la maison la plus coûteuse et la plus somptueuse des États-Unis » par le magazine américain Architecture en novembre 1915, elle témoigne de l’opulence d’une des familles les plus fortunées du début du XXe siècle et évoque les fastes de cet « âge d’or » de New York.
« Grâce à une politique d’acquisition avisée, les fabuleuses collections ont doublé depuis le décès du fondateur et comptent à présent 1 800 œuvres […]. »

Giovanni Battista Moroni (vers 1520/1524-1579/1580), Portrait de femme, vers 1575. Huile sur toile, 51,8 x 41,4 cm. Photo service de presse. © Joseph Coscia Jr.
Une extraordinaire collection…
Devenu millionnaire grâce à l’extraction du charbon et à la production de fer et d’acier, Henry Clay Frick (1849-1919) fit construire en 1913 par l’architecte Thomas Hastings un hôtel particulier sur la 5e Avenue. Il en confia l’aménagement intérieur à la prestigieuse agence White, Allom & Co qui avait œuvré au palais de Buckingham quelques années plus tôt. Sir Charles Carrick Allom proposa à Henry Clay Frick un décor inspiré des manoirs anglais du XVIIIe siècle pour les pièces de réception du rez-de-chaussée. Il conçut également la galerie d’art dans laquelle l’homme d’affaires exposa les chefs-d’œuvre de l’immense collection de peinture qu’il avait réunie.

Jean-Antoine Houdon (1741-1828), Élisabeth-Suzanne de Jaucourt, comtesse de Cayla, 1777. Marbre, H. 54 cm. © Joseph Coscia Jr. Photo service de presse. © Joseph Coscia Jr.
…toujours agrandie
Selon le désir de Henry Clay Frick, sa demeure fut transformée en un musée qui ouvrit au public en décembre 1935. Grâce à une politique d’acquisition avisée, les fabuleuses collections ont doublé depuis le décès du fondateur et comptent à présent 1 800 œuvres, et notamment des peintures de Cimabue, Lippi, Bellini, Titien, Bronzino, Memling, Holbein, Rembrandt, Van Dyck, Vermeer, Greco, Velázquez, Murillo, Goya, Boucher, Fragonard, Chardin, Gainsborough, Turner, Whistler, Manet, Corot, Millet, mais aussi des sculptures (dont le portrait en buste de Louis XV âgé de 5 ans par Coysevox), des porcelaines chinoises et européennes…

Agnolo Bronzino (1503-1572), Lodovico Capponi, vers 1550-1555. Huile sur panneau, 116,5 x 85,7 cm. Photo service de presse. © Joseph Coscia Jr.
Une opération de grande envergure
La campagne de travaux menée de 2021 à 2024 par les agences Selldorf et Beyer Blinder Belle a permis d’adapter le bâtiment aux nouvelles normes de sécurité et d’accessibilité, ainsi que de moderniser les systèmes d’éclairage, de chauffage et de climatisation. L’institution s’est dotée d’un café et d’un auditorium de 200 places construit en sous-sol. La création d’un passage donne à présent directement accès au bâtiment adjacent qui abrite la bibliothèque d’histoire de l’art fondée par la fille du collectionneur, Helen Clay Frick. Elle renforce le lien entre les deux institutions qui bénéficient de nouveaux ateliers de restauration spécialement conçus pour les besoins de leurs collections respectives. Des réserves ont également été aménagées pour conserver les œuvres dans les meilleures conditions.

La salle Boucher à la Frick Collection. Photo service de presse. © Joseph Coscia Jr.
De nouveaux espaces d’exposition
L’agrandissement du parcours de visite de près d’un tiers est une des réussites majeures de cette rénovation. La Frick Collection dispose désormais de trois galeries destinées à accueillir les expositions temporaires. L’éclairage zénithal apporté par de grandes verrières offre les conditions idéales pour contempler les œuvres. Une présentation exceptionnelle de trois tableaux de Vermeer sur le thème des lettres d’amour inaugure une ambitieuse programmation qui mettra successivement en scène dans les prochaines années les trésors du Saint-Sépulcre (prêtés pour la première fois aux États-Unis), l’art de portraitiste de Gainsborough et les bronzes siennois de la Renaissance.

Paolo Caliari, dit Veronèse (1528-1588), Le choix entre la Vertu et le Vice (détail), vers 1565. Huile sur toile, 219,1 x 169,5 cm. Photo service de presse. © Michael Bodycomb
Un fonds d’arts graphiques enrichi
Une autre exposition temporaire souligne l’importance du fonds d’arts graphiques de l’institution qui s’est encore récemment agrandi grâce au legs de dessins et de pastels d’Elizabeth et Jean-Marie Eveillard (comprenant le superbe portrait d’Anne-Marguerite Perrinet de Longuefin par Maurice Quentin de La Tour). Une sélection de douze chefs-d’œuvre donne à voir la diversité des collections : une Vue de Tivoli de Claude Lorrain, Les Pêcheurs de Goya, un Canal vénitien par Whistler, des études de Pisanello, Rubens, Gainsborough ou encore Degas, ainsi que des dessins préparatoires d’Ingres pour le portrait de la comtesse d’Haussonville.
Le portrait de la comtesse d’Haussonville par Ingres
Par la grâce de son sourire énigmatique, la comtesse d’Haussonville fait figure de Joconde de la Frick Collection. Le portrait d’Ingres compte parmi les chefs-d’œuvre les plus appréciés des visiteurs. Il déploie une extraordinaire symphonie de tons bleutés qui font ressortir l’éclat des yeux de la jeune femme, tandis que le rouge vif des rubans de sa coiffure ravive légèrement sa carnation.
Un succès retentissant
Ce tableau sublime l’élégance d’une des grandes figures de la haute société parisienne sous la monarchie de Juillet. Fille du duc de Broglie, et petite-fille de Germaine de Staël, Louise avait épousé le comte Joseph Othenin d’Haussonville. Les missions diplomatiques de son mari en Italie lui avaient permis de faire la connaissance d’Ingres à Rome. Sollicité en 1842 pour réaliser le portrait de la jeune comtesse, le peintre mit plusieurs années avant de parvenir à achever son œuvre. Les nombreuses études préparatoires (dont certaines sont conservées à la Frick Collection) traduisent ses revirements incessants pour mettre au point la pose idéale pour son modèle. Ingres finit par se décider pour une attitude méditative inspirée de sa Stratonice qui reprenait elle-même un grand modèle de la statuaire antique. Cette position, à la fois nonchalante et sophistiquée, est encore complexifiée grâce à un subtil jeu de reflets dans le miroir. La grande glace au cadre doré qui suggère l’ameublement luxueux de la pièce permet de mettre en valeur la coiffure et la nuque de la jeune femme. Elle permet aussi de dédoubler la précieuse garniture de porcelaine et de créer un foisonnement de couleurs chatoyantes. Le portrait obtint un grand succès lorsque l’artiste l’exposa en 1845 dans son atelier de l’Institut. Adolphe Thiers aurait dit à la comtesse d’Haussonville : « Il faut que Monsieur Ingres soit amoureux de vous pour vous avoir peinte ainsi. »
Une acquisition prestigieuse
Acquis en 1927 grâce à Helen Clay Frick, fille de Henry Clay Frick, ce portrait incarne la vitalité de l’institution qui réussit à gagner encore en importance après le décès de son fondateur. Tout en poursuivant l’œuvre de son père, Helen Clay Frick chercha également à diversifier ses collections. Alors que Henry Frick appréciait surtout la peinture française du XVIIIe siècle (et notamment Boucher et Fragonard) ainsi que l’École de Barbizon et les impressionnistes, il avait porté peu d’intérêt aux évolutions artistiques de la première moitié du XIXe siècle en France. Sa fille combla ce manque en saisissant l’occasion d’acheter le chef-d’œuvre d’Ingres qui est, aujourd’hui encore, l’un des principaux tableaux de l’artiste conservés aux États-Unis.

Jean-Auguste-Dominique Ingres (1780-1867), Louise, princesse de Broglie, future comtesse d’Haussonville, 1845. Huile sur toile, 131,8 x 92,1 cm. Photo service de presse. © Michael Bodycomb
La restauration des pièces historiques
Parallèlement aux travaux d’agrandissement et de modernisation, une minutieuse campagne de restauration a redonné tout leur lustre aux pièces historiques. Les boiseries et les décors de marbre ont retrouvé leur éclat. Les précieuses soieries ont été retissées par la manufacture lyonnaise Prelle qui avait conservé dans ses archives les modèles de la commande originale de 1914. Henry Clay Frick avait soigneusement choisi un somptueux velours de soie vert pour faire ressortir les coloris des tableaux de sa galerie d’art.
« […] Le parcours de visite s’est agrandi au premier étage de cinq nouvelles salles […]. Il dévoile ainsi toute la richesse des arts décoratifs de la Frick Collection qui est aussi célèbre pour ses émaux peints de Limoges et ses rares porcelaines chinoises. »
Les chambres du premier étage, transformées en bureaux de la conservation entre 1931 et 1935, ont également été restituées dans leur aspect d’origine. Leur ouverture au public constitue une véritable renaissance pour cet étage conçu de manière plus intimiste que les vastes pièces de réception du rez-de-chaussée. Henry Clay Frick avait fait appel à Elsie de Wolfe, décoratrice d’intérieur réputée, qui aménagea la chambre d’Adélaïde dans un style néo-Louis XVI et incita le collectionneur à acquérir un mobilier du XVIIIe siècle. Elle joua un rôle décisif dans la constitution de la fabuleuse collection d’arts décoratifs entreprise par Henry Clay Frick qui compte notamment le secrétaire et la commode de Riesener livrés pour les appartements de Marie-Antoinette au château de Saint-Cloud, mais aussi des meubles de Boulle, des commodes de Bernard II van Riesen Burgh, dit BVRB, des encoignures de Martin Carlin… ainsi que de nombreuses porcelaines de Sèvres.

Jean-Henri Riesener (1734-1806), secrétaire, entre 1780 et 1790. Placage de chêne et de bois divers, bronze doré, cuir et marbre, 143,2 x 115,6 x 43,8 cm. Photo service de presse. © Michael Bodycomb
L’ouverture de cinq nouveaux espaces
En plus des dix pièces historiques, le parcours de visite s’est agrandi au premier étage de cinq nouvelles salles qui permettent de montrer pour la première fois aux visiteurs les collections d’horloges et de montres anciennes, de médailles de la Renaissance italienne, de faïences de Nevers, de Rouen et de Saint-Porchaire, ou encore de porcelaines de Meissen et de Vienne. Il dévoile ainsi toute la richesse des arts décoratifs de la Frick Collection qui est aussi célèbre pour ses émaux peints de Limoges et ses rares porcelaines chinoises.
En écho à la diversité de ses collections se déploient dans une présentation temporaire les créations contemporaines commandées à l’artiste ukrainien Vladimir Kanevsky. Ses grands bouquets de fleurs en porcelaine s’inscrivent dans la lignée des spectaculaires arrangements floraux appréciés au début du XXe siècle et révèlent l’atmosphère particulière de la Frick Collection, conçue comme une véritable demeure familiale avant de devenir l’un des musées les plus réputés de New York.
Vermeer en lumière
Pour inaugurer ses nouvelles salles d’expositions temporaires, la Frick Collection réunit trois chefs-d’œuvre de Vermeer qui mettent en scène des lettres d’amour. Les prêts exceptionnels de La Lettre (connue également sous le titre de Femme écrivant une lettre, avec sa servante) de la National Gallery d’Irlande et de La Lettre d’amour du Rijksmuseum entrent en résonance avec l’un des plus célèbres tableaux de la Frick Collection, La Maîtresse et sa servante (nommé aussi La Jeune Femme avec une servante tenant une lettre).
Le thème de la correspondance amoureuse unit ces trois tableaux dans lesquels une servante remet une lettre à sa maîtresse ou se détourne pendant que la jeune femme écrit une réponse à une missive froissée et jetée sur le sol. La virtuosité des effets lumineux de Vermeer sublime les détails de la vie quotidienne et nimbe ces scènes d’un certain mystère. La complexité des relations entre les deux personnages féminins est au centre de l’étude menée par Robert Fucci qui les replace dans le contexte littéraire et artistique du Siècle d’or hollandais.
Hommage à Henry Clay Frick
L’exposition est également conçue comme un hommage à Henry Clay Frick dans la mesure où La Jeune Femme avec une servante tenant une lettre fut le dernier chef-d’œuvre acquis par le collectionneur avant sa mort. L’homme d’affaires avait déjà acheté deux autres tableaux de Vermeer, Le Concert interrompu en 1901, puis Officier et jeune femme riant en 1911, alors que l’œuvre du « Sphinx de Delft » venait seulement d’être redécouverte. La Frick Collection peut se flatter de posséder trois tableaux de Vermeer sur les trente-sept identifiés à ce jour.

Johannes Vermeer (1632-1675), La Maîtresse et sa servante, vers 1664-1667. Huile sur toile, 90,2 x 78,7 cm. Photo service de presse. © Joseph Coscia Jr.
« Lettres d’amour de Vermeer », jusqu’au 31 août 2025.
À lire : catalogue, Rizzoli Electa, 112 p., 37,50 $.
Frick Collection, 1 East 70th Street, 10021 New York. Tél. 00 (1) 212 288 0700. www.frick.org







