Sauvé des décombres à Beyrouth, restauré à Los Angeles : Hercule et Omphale d’Artemisia Gentileschi renaît au J. Paul Getty Museum

Artemisia Gentileschi (1593-1654), Hercule et Omphale (œuvre presque entièrement restaurée), vers 1635-1637. Huile sur toile, 200 x 250 cm. Beyrouth, collections du palais Sursock. Photo service de presse. © 2025 J. Paul Getty Trust
Déchiqueté par l’explosion qui a ravagé la capitale libanaise en août 2020, un tableau alors anonyme, Hercule et Omphale, appartenant aux collections du palais Sursock, a depuis été attribué à Artemisia Gentileschi. L’œuvre a été confiée au J. Paul Getty Museum de Los Angeles, qui en a mené la restauration et la dévoilera au public le 10 juin dans l’exposition « Femmes fortes d’Artemisia : Sauver un chef-d’œuvre ».
Beyrouth, le 4 août 2020. Une double explosion dans un entrepôt du port dévaste une grande partie de la ville, faisant plus de 200 morts et des milliers de blessés. Le palais Sursock, situé à quelques mètres de là, fait partie des centaines de bâtiments lourdement touchés. Parmi les œuvres figurant dans ses collections, l’une d’elles, Hercule et Omphale, a été attribuée par l’historien de l’art libanais Gregory Buchakjian à Artemisia Gentileschi (1593-1654), comme il l’indiquait en septembre 2020 dans un article d’Apollo Magazine consacré au palais et au musée Sursock.
Le palais Sursock, joyau de l’architecture libanaise
Construit entre 1850 et 1860, le palais porte le nom de Moussa Sursock, son riche commanditaire. Sa façade de style libanais traditionnel cache quelques innovations architecturales, comme le recours au métal et l’ouverture sur un vaste jardin. Lady Yvonne Cochrane, petite-fille de Moussa Sursock, y avait apporté quelques modifications. Elle y vivait toujours lorsque l’explosion du 4 août 2020 a eu lieu, causant d’importants dégâts – toiture arrachée, vitres soufflées, tableaux et objets d’art brisés… – et la blessant mortellement. Yvonne Cochrane était une ardente défenseuse du patrimoine libanais.
Les jardins du palais Sursock, à Beyrouth. Graey Studios/Wirestock Creators – stock.adobe.com
Recueilli et restauré dans la Cité des Anges
Hercule et Omphale a été endommagé par les débris et les éclats des verre soufflés par l’explosion, qui ont causé de nombreux trous et déchirures. En 2022, il a été envoyé au J. Paul Getty Museum, à Los Angeles, pour y être restauré. Trois années ont été nécessaires à Ulrich Birkmaier, conservateur-restaurateur des peintures au sein de l’institution, pour sauver le tableau : « En plus de 30 ans de carrière, il s’agit de l’un des dommages les plus graves que j’aie jamais observés et de l’un des projets les plus difficiles et les plus enrichissants sur lesquels j’ai eu le plaisir de travailler. » Le restaurateur a procédé au retrait des débris, des anciennes restaurations et du vernis, au regarnissage du dos et à la réintégration des lacunes consécutives à l’explosion.
Le conservateur-restaurateur des peintures du J. Paul Getty Museum Ulrich Birkmaier en train de nettoyer la toile Hercule et Omphale dans les ateliers du musée, en 2022. Photo Cassia Davis
« Nous pensons qu’Hercule et Omphale a été peint dans le Naples des années 1630, où Artemisia s’est installée en 1630 et a vécu jusqu’à la fin de sa vie. Cette dernière partie de sa carrière a souvent été négligée et considérée comme un moment de déclin dans la force créatrice de Gentileschi. »
Davide Gasparotto, conservateur principal des peintures au J. Paul Getty Museum
Un nouveau jalon dans l’œuvre d’Artemisia
Les historiens de l’art s’accordent pour attribuer Hercule et Omphale à la période napolitaine d’Artemisia Gentileschi, durant laquelle elle était à la tête d’un atelier important, qui lui permit de répondre à des commandes ambitieuses. L’œuvre illustre l’épisode où Omphale, reine de Lydie, donne ses propres attributs à Hercule, tandis qu’elle revêt la peau du lion de Némée rapportée par le héros. Ce thème de l’inversion des rôles ne dépare pas dans le corpus de l’artiste, amatrice des sujets montrant les femmes prendre leur revanche sur les hommes. Après l’exposition du Getty, le tableau sera présenté au Columbus Museum of Art, dans l’Ohio, du 31 octobre 2025 au 30 mai 2026, avant de retourner à Los Angeles à l’été 2026, dans le cadre d’un prêt à long terme, avant son retour au palais Sursock.
Un premier Gentileschi au Getty en 2021
En 2021, le J. Paul Getty Museum avait acquis une œuvre inédite d’Artemisia Gentileschi : longtemps conservée dans une collection lyonnaise, cette Lucrèce, adjugée plus de 4,6 millions d’euros chez Artcurial le 13 novembre 2019 au marchand londonien Patrick Matthiesen, auprès duquel le musée l’avait négociée, était devenue la première toile de l’artiste à rejoindre ses cimaises. Elle date de la fin des années 1620, lorsque l’artiste travaillait à Venise, et illustre un sujet dont elle a réalisé plusieurs versions.
Artemisia Gentileschi (1593-1654), Lucrèce, vers 1627. Huile sur toile, 92,9 x 72,7 cm. Los Angeles, J. Paul Getty Museum. Photo service de presse. © 2025 J. Paul Getty Trust