Le Judith et Holopherne retrouvé à Toulouse est-il de Caravage ? (3/4). La Judith de Toulouse versus celle de Rome

Michelangelo Merisi dit Caravage, Judith et Holopherne, vers 1600. Huile sur toile, 145 x 195 cm. Rome, Galleria Nazionale d'Arte Antica, Palazzo Barberini. © Lucia Ricciarini / Lemaage
Le 27 juin prochain, une œuvre présumée de Caravage récemment redécouverte, estimée 100/150 M€, sera mise à l’encan à Toulouse. Alors que l’opinion des spécialistes reste très divisée sur son authenticité, la vente tient en haleine l’ensemble du marché de l’art. De nombreux éléments plaident en faveur – ou en défaveur – d’une attribution au maître italien. Un dossier en clair-obscur que vous présente L’Objet d’Art.
Michelangelo Merisi dit Caravage (1571-1610) (?), Judith et Holopherne, vers 1607. Huile sur toile, 144 x 173,5 cm. Estimé : 100/150 M€. © Cabinet Turquin
Si on compare la Judith de Toulouse avec celle du Palazzo Barberini, on constate qu’elle est évidemment plus sombre que la séduisante jeune femme en camisole blanche à la beauté empruntée à la statuaire antique. Elle a vieilli et est habillée en veuve, contrairement à ce que dit le texte biblique qui la décrit parée de ses plus beaux atours.
Elle est l’héroïne qui va sauver le peuple d’Israël et, dans le contexte de la guerre des religions du XVIIe siècle, symbolise l’église catholique tranchant la tête de Martin Luther. Abra la servante devient, elle, une figure plus centrale. Elle participe au meurtre. Il y a des similitudes évidentes entre les deux figures d’Holopherne mais le général assyrien est plus grimaçant dans le tableau de Toulouse. Ce dernier est de façon générale plus contrasté, plus violent et resserré que le tableau romain dont il n’a pas l’amplitude.
La fuite de Rome vers Naples
Si l’on valide l’attribution à Caravage, ce changement stylistique peut s’expliquer par des éléments biographiques. Le peintre a dû précipitamment quitter Rome où son ascension a été fulgurante, après avoir tué un homme dans une rixe en mai 1606. Il se rend alors à Naples, capitale du vice-royaume espagnol. Il y a là-bas peu d’artistes susceptibles de le concurrencer et il devient en quelques mois le peintre le plus important de la ville, enchaînant commandes publiques et privées. C’est une période où il se forge un style encore plus sombre et dramatique alors que le temps s’accélère. En juin 1607, le Caravage s’embarque déjà pour Malte, répondant probablement à une invitation du grand maître de cet Ordre.
Rappel biblique
L’histoire de Judith et Holopherne est un épisode célèbre de l’Ancien Testament. La Judée est envahie et assiégée par les troupes de Nabuchodonosor, conduites par le général Holopherne. Judith, une veuve riche et vertueuse, décide de sauver sa ville de Béthulie. Elle se rend somptueusement parée dans le camp des Assyriens et fait croire à Holopherne que la chute de Béthulie, dépravée, est proche. Holopherne, sans méfiance, tente de la séduire, mais ivre, s’endort devant elle. Judith s’empare alors de son arme et lui tranche la tête… Elle devient ainsi une des héroïnes bibliques les plus célèbres.
Les comparaisons stylistiques avec les autres tableaux du Caravage
Judith
Judith possède le type physique de plusieurs personnages féminins de Caravage : la Madeleine de La Conversion de Marie Madeleine du musée de Detroit, la Judith du tableau du Palazzo Barberini ainsi que la sainte Catherine d’Alexandrie de la Fondation Thyssen-Bornemisza à Madrid. La jeune femme qui a servi de modèle serait la courtisane Fillide Melandroni dont Caravage a réalisé un portrait, détruit à Berlin en 1945.
La servante Abra
Son double goître thyroïdien évoque la servante du Crucifiement de saint André de Cleveland ainsi que celle du Souper à Emmaüs de la Brera. Le goître d’Abra, dont le traitement est jugé trop caricatural, est un des points d’achoppement de l’attribution du tableau de Toulouse à Caravage.
La draperie
La draperie rouge du tableau de Toulouse est à rapprocher de celle de la Madone au rosaire de Vienne ainsi que de celle figurant dans La Mort de la Vierge du Louvre.
Caravage en quelques dates
29 septembre 1571 : Michelangelo Merisi naît à Milan de parents originaires du village de Caravaggio.
Fin 1595 – début 1596 : Il entre probablement dans l’atelier du Cavalier d’Arpin.
1597-1600 : Il travaille pour la noblesse romaine qui gravite autour de la papauté: cardinal Francesco Maria Del Monte, le marquis Giustiniani, Giulio Mancini. Ottavio Costa lui commande vers 1598 la Judith décapitant Holopherne du Palazzo Barberini.
1599 : Il reçoit sa première commande publique : une Vocation de Saint Matthieu et un Martyre de Saint Matthieu dans la chapelle Contarelli de l’église romaine Saint-Louis-des-Français.
1600 : Il réalise la Conversion de saint Paul et le Crucifiement de saint Pierre dans l’église de Santa Maria del Popolo.
28 mai 1606 : Au cours d’une rixe, il blesse Ranuccio Tomassoni, qui meurt le soir même. L’artiste prend la fuite dans le Latium chez les Colonna, puis se rend à Naples.
1607 : Malgré les nombreuses commandes à Naples, il décide de se rendre à Malte.
14 juillet 1608 : Il est admis dans l’Ordre de Malte. Mais quelques mois plus tard, il est emprisonné et radié de l’ordre (sans doute à cause d’un différend avec un chevalier). Il s’évade et se réfugie en Sicile chez son ami Minniti.
1609 : Jusqu’au mois de septembre, il travaille entre Syracuse, Palerme et Messine. Il regagne Naples où il est blessé au visage lors d’une rixe.
18 juillet 1610 : Il meurt à l’hôpital de Porto Ercole, alors qu’il tentait de rejoindre Rome dans l’espoir d’obtenir la grâce du pape pour son meurtre.
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Le Judith et Holopherne retrouvé à Toulouse est-il de Caravage ?
3/4. La Judith de Toulouse versus celle de Rome