Le livre de la semaine : Iconothèques

Détail de la couverture du livre Iconothèques.
Issu d’un programme du Conseil européen de la recherche, ce livre est le résultat d’études sur la constitution des iconothèques, depuis le XIXe siècle jusqu’à nos jours. Le sous-titre en précise le programme : « Collecte, stockage et transmission d’images chez les écrivains et les artistes ».
Le sujet peut paraître marginal. En réalité, il est central : les images agissent comme un puissant aiguillon pour les créateurs. Et l’un des enseignements les plus intéressants et les plus étonnants de l’ouvrage est que les écrivains et les artistes sont de ce point de vue logés à la même enseigne, alors même qu’on aurait cru les hommes de lettres plus attachés à un imaginaire personnel.
« Si les gravures, les photographies, les cartes postales […] peuvent être rangées dans des cartons ou des boîtes, manipulées lors de rangements concertés, elles sont encore exposées sur les murs et font l’objet d’expositions très spectaculaires. »
Des éclairages multiples
Très complet, ce livre collectif propose une myriade de points de vue. Il renferme des entretiens d’artistes et d’écrivains contemporains, contrepoints bienvenus aux développements historiques. Les parties ne sont pas chronologiques, mais thématiques, ce qui permet d’avancer sans s’égarer dans le maquis des différentes collections d’images. Avec Gustave Moreau, les frères Goncourt, Jean Cocteau ou André Breton, l’iconothèque assume une fonction assez conventionnelle : elle est une matrice pour la composition de tableaux ou pour l’écriture.
De précieuses archives
La collection de papier peut aussi avoir été constituée comme un stock d’archives destiné à la postérité, qu’il convient aujourd’hui de conserver. On peut citer les fameux albums de Jules Maciet, véritable encyclopédie d’images de tous ordres découpées et collées, devenue un des trésors de la Bibliothèque des Arts décoratifs, à Paris. Si les gravures, les photographies, les cartes postales (achetées au gré des pérégrinations de leurs possesseurs, de ventes ou récupérées) peuvent être rangées dans des cartons ou des boîtes, manipulées lors de rangements concertés, elles sont encore exposées sur les murs et font l’objet d’expositions très spectaculaires. Que l’on pense aux appartements de Paul Éluard ou de Louis Aragon, dont les murs ont été immortalisés respectivement par les photographes Brassaï et Claude Bricage. Les scénographies du bureau du romancier Hervé Guibert, mort en 1991, qui en a lui-même pris des clichés, sont encore représentatifs du rôle de l’esthétique dans l’invention littéraire.
Le tournant numérique
Par ailleurs, si la question des iconothèques a été essentielle dès l’apparition de la reproduction mécanique au XIXe siècle, elle s’est développée de manière exponentielle à partir du tournant numérique. Les derniers chapitres explorent avec bonheur les problématiques liées à la prolifération des images sur les sites web, dans les bases de données ou sur les réseaux sociaux (notamment Instagram ou YouTube pour ne citer que ceux-là). Comment conserver ces montages numériques et virtuels ? Faut-il du reste tout collecter ? Les iconothèques sont-elles remplacées par des vidéothèques et jouent-elles le même rôle ? Le multimédia est-il l’avenir de l’art et même de nouvelles formes d’écriture ?
Un propos clair et bien illustré
Autant de questions essentielles, auxquelles les auteurs donnent des réponses différenciées, selon des éclairages stimulants. Des illustrations choisies émaillent les textes pour mieux en préciser le propos ; une table des matières très claire, un index et un résumé des articles permettent au lecteur de naviguer selon ses envies dans le volume, qui pourra intéresser autant les historiens de l’art, les passionnés de littérature que les internautes avertis.
Jessica Desclaux, Bertrand Gervais, Corentin Lahouste, Anne Reverseau et Marcela Scibiorska (dir.), Iconothèques, Presses universitaires de Rennes, 2024, 476 p., 29 €.