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Le Louvre préempte une paire de bassins d’huiliers du service Penthièvre-Orléans

Edme-Pierre Balzac, paire de bassins d’huiliers provenant du service royal Penthièvre-Orléans, Paris, 1762-1763. Argent, 11,5 x 32,5 x 18 cm ; poids brut : 2,226 kg et 2,175 kg.

Edme-Pierre Balzac, paire de bassins d’huiliers provenant du service royal Penthièvre-Orléans, Paris, 1762-1763. Argent, 11,5 x 32,5 x 18 cm ; poids brut : 2,226 kg et 2,175 kg. Photo service de presse. © Artcurial

Quintessence de l’art rocaille, le service Penthièvre-Orléans est l’un des très rares services d’argenterie d’Ancien Régime à avoir échappé aux fontes révolutionnaires. Grâce à l’acquisition de deux nouvelles pièces, le musée du Louvre confirme que la réunion de cet ensemble désormais dispersé, du Metropolitan Museum of Art de New York à la Fondation Gulbenkian de Lisbonne, est une priorité pour le département des Objets d’art.

L’institution a en effet récemment préempté1 – pour 314 880 € (frais inclus) – une sublime paire de bassins d’huiliers en argent, issus du légendaire service Penthièvre-Orléans. Exécutés par Edme-Pierre Balzac autour de 1762-1763, ils font partie d’une suite de quatre, parmi les derniers éléments du service encore conservés en mains privées.

Edme-Pierre Balzac (1705-après 1781), détail d'un bassin d’huilier (d’une paire) provenant du service royal Penthièvre-Orléans, Paris, 1762-1763. Argent, 11,5 x 32,5 x 18 cm ; poids brut : 2,226 kg et 2,175 kg. Adjugé : 314 880 € (frais inclus) chez Artcurial, Paris, le 17 décembre 2024.

Edme-Pierre Balzac (1705-après 1781), détail d'un bassin d’huilier (d’une paire) provenant du service royal Penthièvre-Orléans, Paris, 1762-1763. Argent, 11,5 x 32,5 x 18 cm ; poids brut : 2,226 kg et 2,175 kg. Adjugé : 314 880 € (frais inclus) chez Artcurial, Paris, le 17 décembre 2024. Photo service de presse. © Artcurial

Une préemption très attendue

Preuve que cette acquisition était sinon nécessaire, du moins très attendue, l’un de ces bassins était déjà reproduit dans le nouveau catalogue raisonné de la collection d’orfèvrerie du Louvre, paru en 2022 grâce aux efforts conjugués de Michèle Bimbenet-Privat, Florian Doux et Catherine Gougeon2. Cette préemption est donc une formidable nouvelle pour tous ceux qui s’inquiétaient de voir d’autres pièces majeures échapper au musée : le pot à oille de la collection Robert de Balkany s’était envolé en 2016 pour 243 000 €3, et les deux cloches emblématiques inspirées par Oudry – pourtant classées trésor national en 2010 – avaient finalement vu leur certificat d’exportation accordé en 2013. C’est ainsi que le « renard dévorant une poule »4 et la « fouine saignant un pigeon » étaient partis pour l’Amérique, laissant le « cerf aux abois » du Louvre en bien mauvaise posture.

Edme-Pierre Balzac (1705-après 1781), détail d'un bassin d’huilier (d’une paire) provenant du service royal Penthièvre-Orléans, Paris, 1762-1763. Argent, 11,5 x 32,5 x 18 cm ; poids brut : 2,226 kg et 2,175 kg. Adjugé : 314 880 € (frais inclus) chez Artcurial, Paris, le 17 décembre 2024.

Edme-Pierre Balzac (1705-après 1781), détail d'un bassin d’huilier (d’une paire) provenant du service royal Penthièvre-Orléans, Paris, 1762-1763. Argent, 11,5 x 32,5 x 18 cm ; poids brut : 2,226 kg et 2,175 kg. Adjugé : 314 880 € (frais inclus) chez Artcurial, Paris, le 17 décembre 2024. Photo service de presse. © Artcurial

L’extravagance d’un décor aquatique

Ce service fabuleux, dont les grandes pièces de forme ont miraculeusement échappé aux fontes révolutionnaires, se distingue par un somptueux décor « chasse et pêche ». Bien que les fruits et légumes ne soient pas en reste – on compte des prises citron et des pieds céleri –, notre paire de bassins appartient plutôt à la deuxième catégorie citée, d’un rocaille éclaboussant. L’orfèvre Balzac a choisi de représenter, sur un socle d’enroulements sagement orné d’une frise de godrons, une scène à débordement, sorte de vague suscitée par les ébats de dauphins dentus.

Antoine-Sébastien Durand (1740-1785/1787), couverte du service Penthièvre-Orléans, 1754-1755. Argent, 28 x 58 x 45 cm. Lisbonne, Fondation Calouste Gulbenkian.

Antoine-Sébastien Durand (1740-1785/1787), couverte du service Penthièvre-Orléans, 1754-1755. Argent, 28 x 58 x 45 cm. Lisbonne, Fondation Calouste Gulbenkian. © Calouste Gulbenkian Museum / Scala Archives

Alors qu’ils crachent de l’eau dans de ravissantes coquilles, d’où elle s’échappe en cascade, leurs queues s’entortillent dans des remous d’argenterie. Les écailles rugueuses des petits monstres marins en font un bijou de ciselure, tout comme les gerbes d’algues émergées qui, rassemblées en couronnes, servaient de porte-burettes. Ces deux pièces extrêmement virtuoses, fluides, vivantes presque, viennent compléter parfaitement la part du service conservée à Paris, sauvée d’une dispersion tragique qui a commencé dans les années 1930 avant de s’achever après-guerre.

Thomas Germain (vers 1673-1748), paire de boîtes à épices du service Penthièvre-Orléans, Paris, 1734-1736. Argent fondu, ciselé et partiellement doré, 9 x 26,5 x 17 cm. Paris, musée du Louvre.

Thomas Germain (vers 1673-1748), paire de boîtes à épices du service Penthièvre-Orléans, Paris, 1734-1736. Argent fondu, ciselé et partiellement doré, 9 x 26,5 x 17 cm. Paris, musée du Louvre. © Grand Palais Rmn (musée du Louvre) / Martine Beck-Coppola

« Les bassins d’huiliers rejoignent les salières, boîtes à épices, seaux, pots à oille, terrine ou plat à ragoût rassemblés au Louvre où ils constituent, de l’aveu même des conservateurs, “le cœur battant de la collection”. »

Thomas Germain (vers 1673-1748), détail de la paire de boîtes à épices du service Penthièvre-Orléans, Paris, 1734-1736. Argent fondu, ciselé et partiellement doré, 9 x 26,5 x 17 cm. Paris, musée du Louvre.

Thomas Germain (vers 1673-1748), détail de la paire de boîtes à épices du service Penthièvre-Orléans, Paris, 1734-1736. Argent fondu, ciselé et partiellement doré, 9 x 26,5 x 17 cm. Paris, musée du Louvre. © Grand Palais Rmn (musée du Louvre) / Martine Beck-Coppola

Le « cœur battant » de la collection

David David-Weill a ouvert le bal en donnant au musée dès 1947 certaines pièces acquises via Jacques Helft, puis les acquisitions se sont succédé, après une halte dans les meilleures collections, chez Arturo López Willshaw ou Anténor Patiño. Premier enrichissement du service depuis le dépôt d’un couvre-plat, accordé par le musée de la Chasse et de la Nature en 2011, les bassins d’huiliers rejoignent donc les salières, boîtes à épices, seaux, pots à oille, terrine ou plat à ragoût rassemblés au Louvre où ils constituent, de l’aveu même des conservateurs, « le cœur battant de la collection ».

Robert-Joseph Auguste (1723-1805), Edme-Pierre Balzac (1705-après 1781) et Charles-Nicolas Odiot (1789-1869), pot à oille du service Penthièvre-Orléans, 1758-1759. Argent, 32 x 38 x 29,8 cm. Paris, musée du Louvre.

Robert-Joseph Auguste (1723-1805), Edme-Pierre Balzac (1705-après 1781) et Charles-Nicolas Odiot (1789-1869), pot à oille du service Penthièvre-Orléans, 1758-1759. Argent, 32 x 38 x 29,8 cm. Paris, musée du Louvre. © Grand Palais Rmn (musée du Louvre) / Daniel Arnaudet

Un destin rocambolesque

S’il doit son nom au duc de Penthièvre, le prince prodigue qui avait réuni cet ensemble de seconde main mais de première qualité, le service doit ses cartouches armoriés au jeune Louis-Philippe d’Orléans, futur roi des Français, qui en hérite à la mort de sa mère en 1821. Avant de traverser le siècle suivant dans les placards de la maison d’Orléans, la vaisselle d’argent résiste aux confiscations de 1794 et à la spectaculaire cure d’amaigrissement infligée par l’hôtel de la Monnaie : lorsque le Directoire se prépare à restituer ce « grand service » à la duchesse d’Orléans, en 1797, il ne reste « plus que » 300 des 1 320 kg d’argent saisis chez le duc de Penthièvre5 ! Ce sera tout de même suffisant pour servir la même année au grand dîner, donné au Luxembourg en l’honneur de Bonaparte victorieux, lequel – sûrement effrayé par tant de fantaisie rocaille – n’aurait touché à aucun plat.

Thomas Germain, seau à bouteille (d’une paire) du service Penthièvre-Orléans, Paris, 1728-1729. Argent fondu et ciselé, 22 x 20 x 26 cm. Paris, musée du Louvre.

Thomas Germain, seau à bouteille (d’une paire) du service Penthièvre-Orléans, Paris, 1728-1729. Argent fondu et ciselé, 22 x 20 x 26 cm. Paris, musée du Louvre. © Grand Palais Rmn (musée du Louvre) / Martine Beck-Coppola

Il faudra attendre 1814 et moult tergiversations pour que l’argenterie Penthièvre soit effectivement rendue, complétée par quelques pièces de Claude Ballin II ou Robert-Joseph Auguste, destinées à pallier les pertes accusées. Ces noms viennent s’ajouter aux auteurs du service, Thomas Germain, Edme-Pierre Balzac – l’auteur de nos bassins –, et Antoine-Sébastien Durand, qui font de cet ensemble étonnamment hétérogène (exécuté entre 1727 et 1763), un véritable panorama de l’orfèvrerie parisienne sous le règne de Louis XV. À en croire l’admiration d’Odiot, chargé par Louis-Philippe de la restauration du service, et qui se félicite de posséder encore « les anciens procédés »6, il s’agissait bien d’« un moment de perfection de l’art français ».

Thomas Germain, détail d'un seau à bouteille (d’une paire) du service Penthièvre-Orléans, Paris, 1728-1729. Argent fondu et ciselé, 22 x 20 x 26 cm. Paris, musée du Louvre.

Thomas Germain, détail d'un seau à bouteille (d’une paire) du service Penthièvre-Orléans, Paris, 1728-1729. Argent fondu et ciselé, 22 x 20 x 26 cm. Paris, musée du Louvre. © Grand Palais Rmn (musée du Louvre) / Martine Beck-Coppola

Notes

1 Vente Artcurial du 17 décembre 2024, lot 50.

2 Michèle Bimbenet-Privat, Florian Doux, Catherine Gougeon, avec la participation de Philippe Palasi, Orfèvrerie de la Renaissance et des temps modernes : XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles : la collection du musée du Louvre, éditions Faton, 2022 (voir p. 69, fig. 84.1).

3 Frais inclus.

4 Déposé par la Brookfield Arts Foundation au Boston Museum of Fine Arts.

5 En septembre 1789, le duc de Penthièvre avait déjà fait porter à la Monnaie 462 kg d’argenterie, contribution personnelle aux « dons patriotiques ».

6 Le service complété et modernisé par Jean Baptiste Claude Odiot est présenté lors de l’Exposition des produits de l’Industrie, en 1823.