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Le Prado accueille le Martyre de saint André de Rubens

Pierre Paul Rubens, Le Martyre de saint André, 1636‑39. Huile sur toile, 306 x 216 cm (cadre original dû aux ébénistes Abraham Lers et Julien Beymar).

Pierre Paul Rubens, Le Martyre de saint André, 1636‑39. Huile sur toile, 306 x 216 cm (cadre original dû aux ébénistes Abraham Lers et Julien Beymar). Photo © Fundación Carlos de Amberes

Pendant les travaux du siège madrilène de la Fundación Carlos de Amberes qui en est propriétaire, les visiteurs du Prado pourront admirer, dans la salle 16 B du bâtiment Villanueva, un impressionnant tableau religieux tardif de Rubens pourvu, ce qui ne gâte rien, de son cadre d’origine.

On ne prête qu’aux riches. Jusqu’en 2026, le Prado, qui possède déjà l’une des plus fastueuses collections de peintures de Rubens (1577-1640) et de ses disciples, accueille en ses murs un grand tableau d’autel commandé au maître flamand par un compatriote établi à Madrid, Jan van Vucht, et que ce dernier légua par testament (24 avril 1639) au Real Hospital de San Andrés de los Flamencos. Toujours surchargé de travail, Rubens ne déclina pas la sollicitation de cet agent de la prestigieuse maison d’édition anversoise connue sous le nom d’Officina Plantiniana. L’hospice madrilène qui reçut le tableau dans sa chapelle avait été fondé, quatre décennies plus tôt, pour secourir les indigents et les pèlerins originaires des Pays-Bas1, dont le souverain était, en droit, le roi d’Espagne Philippe IV. On a conjecturé que la commande adressée à Rubens poursuivait le dessein d’attirer dans l’église des Flamencos (Flamands) la fête de la saint André, patron de l’ancienne maison des ducs de Bourgogne – maison dont les Habsbourg avaient « hérité » les Pays-Bas. La fête, habituellement célébrée, à Madrid, dans la Real Capilla de los Austrias, était liée au très symbolique ordre de la Toison d’or, marquant la continuité entre le duché de Bourgogne et la maison des Habsbourg.

« [Rubens] introduit […] dans la description d’un épisode précis du martyre de l’apôtre un caractère passionné, paroxystique, entièrement absent d’un modèle qui paraît, en comparaison, aussi froid qu’empêché. »​​​​​​

Le « dernier Rubens »

Les admirateurs du maître flamand reconnaîtront sans mal dans ce Martyre de saint André la manière et le chaud coloris des tableaux rubéniens de la deuxième partie des années 1630, que l’on retrouve dans la (pléthorique) série de compositions profanes exécutées, au même moment, pour l’ornement d’un pavillon de chasse de Philippe IV, la Torre de la Parada, situé non loin de Madrid. La réalisation de ces grands tableaux mythologiques (conservés, pour l’essentiel, au Prado, les choses sont bien faites) fut essentiellement le fait de collaborateurs aguerris, chargés de traduire « en grand » les esquisses produites par cet « artiste entrepreneur », chef d’atelier dont la fécondité déconcertante fut fréquemment amplifiée alors par le concours de nombreux assistants. Pour revenir à cette scène de martyre, Rubens semble s’être souvenu dans sa composition d’un retable du même sujet (1599, Anvers, église Saint-André) de son ancien maître Otto van Veen, dit Vaenius. Il introduit cependant dans la description d’un épisode précis du martyre de l’apôtre un caractère passionné, paroxystique, entièrement absent d’un modèle qui paraît, en comparaison, aussi froid qu’empêché. Le retable illustre ainsi, avec une sorte d’emportement, le passage de la Légende dorée de Jacques de Voragine où le saint, résolu à souffrir le martyre, interdit aux païens comme à ses fidèles de le détacher de la croix sanctifiée par l’exemple du Christ, avant qu’une lumière surnaturelle ne le soustraie au regard de tous jusqu’à ce qu’il rende l’esprit.

Pierre Paul Rubens, Le Martyre de saint André, 1636‑39. Huile sur toile, 306 x 216 cm (cadre original dû aux ébénistes Abraham Lers et Julien Beymar).

Pierre Paul Rubens, Le Martyre de saint André, 1636‑39. Huile sur toile, 306 x 216 cm (cadre original dû aux ébénistes Abraham Lers et Julien Beymar). Photo © Fundación Carlos de Amberes

Une synthèse rubénienne

La facture du tableau exposé au Prado, dont on conserve un dessin préparatoire autographe (Rotterdam, musée Boijmans Van Beuningen), se prêterait à maintes observations sans doute. On se bornera à souligner la fusion opérée par Rubens entre les différents modèles artistiques pour lesquels il éprouva une forte prédilection tout au long de sa carrière. Ainsi la physionomie de l’apôtre « transfiguré » renvoie, sans détour, à l’art antique et singulièrement à ce mètre étalon du pathos pour l’art baroque qu’était le Laocoon, ensemble statuaire conservé à Rome, dans les collections pontificales, depuis la Renaissance. Mais le maître-autel de la chapelle de San Andrés de los Flamencos apparaît aussi traversé de fortes réminiscences vénitiennes (avec notamment le souvenir de figures empruntées à Véronèse), l’art rubénien tardif trahissant, de manière générale, un néo-vénétianisme au chromatisme doré très marqué. 

1 L’appellation désigne alors un vaste ensemble comprenant, notamment, la Belgique et les Pays-Bas actuels, ainsi que le nord de la France. Seules les dix provinces les plus méridionales reconnaissaient la souveraineté espagnole à l’époque de Rubens.

Museo Nacional del Prado, Paseo del Prado s/n, 28014 Madrid, Espagne. www.museodelprado.es