Les bracelets romantiques de la première reine des Belges
Acquis pour le musée Condé de Chantilly lors de la dernière grande foire de la TEFAF à Maastricht, deux exceptionnels bracelets viennent illustrer les goûts modernes et sensibles des princes romantiques européens. Provenant des collections royales belges, ils sont présentés pour la première fois dans le cadre d’une exposition inédite, organisée à Chantilly puis à Namur, consacrée à la première reine des Belges, Louise d’Orléans (1812-1850).
Fille aînée du roi des Français Louis-Philippe et de la reine Marie-Amélie, Louise est une figure incontournable quoiqu’oubliée de l’Europe romantique. Son éducation soignée l’avait préparée à pouvoir endosser le destin d’une tête couronnée.
Une princesse française au plat pays
Princesse de France puis reine des Belges à la faveur de son mariage en 1832 avec Léopold de Saxe-Cobourg, premier roi du tout jeune royaume de Belgique créé deux ans plus tôt, Louise d’Orléans devint l’actrice d’une épopée romanesque : celle de l’émergence d’un royaume improbable dont la voix se joignit pourtant au concert des nations européennes. Aînée d’une fratrie moderne et unie, Louise nourrit des goûts communs avec ses frères et sœurs, princes et princesses artistes, mécènes de la nouvelle génération des artistes romantiques, comme en témoignent les nombreuses œuvres inédites, issues de la Collection royale de Belgique, présentées aux expositions de Chantilly et de Namur. Férue de politique et épistolière prolifique, fille loyale et mère attentive, c’est avec application que Louise construisit ce qui devint la vie de cour, la vie politique et diplomatique, la vie culturelle, mais aussi les instants familiaux d’une toute nouvelle dynastie.
« Comme les autres membres de sa famille, la reine des Belges appréciait particulièrement les médaillons à l’œil : partie la plus évocatrice du visage, l’œil était considéré comme “la voix de l’âme”. »
Porter sa famille au poignet
Les débuts de la première reine des Belges ne furent pas des plus heureux et la jeune princesse vécut comme un déchirement le départ pour la Belgique et la séparation avec sa famille. Pour se consoler de cette distance et démontrer son attachement viscéral à ses proches, Louise s’adonnait à une correspondance quotidienne frôlant l’obsession mais cultivait aussi passionnément son goût pour les bijoux de sentiment. Ils lui permettaient en effet de conserver perpétuellement auprès d’elle le souvenir de ses êtres chers. Les deux bracelets récemment acquis par le musée Condé la placent ainsi au premier rang des amatrices de ce type de bijoux, les plus romantiques qui soient, rappelant par les images ou les cheveux qu’ils contenaient les proches parfois éloignés.
Des petits-enfants en or
Sa mère Marie-Amélie, qui faisait monter toutes sortes de portraits en bijoux, fut incontestablement son modèle en la matière1. L’exemple le plus spectaculaire est sans doute formé par les quatre bracelets en or attribués à Mellerio et dus à François Meuret, Robert Theer et sir William Charles Ross, comportant chacun six miniatures avec les portraits de tous ses petits-enfants2. Entre 1830 et 1845, la reine des Français commanda près d’une quarantaine de bracelets-portraits à la maison Mellerio3, notamment des médaillons dits à l’œil ; sa fille fut également une grande cliente de la maison.
« La voix de l’âme »
L’inventaire des bijoux dressé à la mort de Louise signale pour sa part des bracelets comportant les portraits en miniature de son frère Ferdinand-Philippe, Prince Royal, et de sa sœur adorée, Marie d’Orléans, ou encore un médaillon avec le portrait du roi Léopold, que ce dernier lui avait offert en cadeau de mariage4. Comme les autres membres de sa famille5, la reine des Belges appréciait particulièrement les médaillons à l’œil : partie la plus évocatrice du visage, l’œil était considéré comme « la voix de l’âme ».
La famille à l’œil
Son testament témoigne de ce goût : Louise y signale posséder un médaillon en cœur avec l’œil de son père peint par William Charles Ross, qu’elle lègue à sa fille Charlotte, la future malheureuse impératrice du Mexique6. L’un des inventaires après décès de la reine des Belges dénombre « trois médaillons en or enrichis de pierreries contenant l’œil de chacun des Princes Royaux », « un médaillon en or, contenant l’œil et des cheveux de S. M. Louis Philippe », « un médaillon en or contenant un œil peint en miniature », « un médaillon en or contenant l’œil du prince Alf. d’Angleterre » et « un médaillon en or contenant l’œil de la Reine Victoria »7. L’œil de ce dernier médaillon était semblable à celui inséré dans la plaque d’un bracelet offert à Louise le 25 août 18418. Sir Charles William Ross s’était d’ailleurs fait une spécialité de ces miniatures9.
Précieux acrostiches
Une partie de ces médaillons (Charlotte et Louis-Philippe) furent employés après la mort de la reine dans un des deux bracelets offerts au musée Condé, réunissant les miniatures des yeux des parents, de l’époux, des enfants, de la reine Victoria et de la reine des Belges elle-même, d’après Winterhalter, réalisées entre 1843 et 1855, sans doute pour le futur Léopold II, fils aîné de Louise. Certains médaillons sont ornés de pierres précieuses acrostiches correspondant au prénom du proche dont l’œil est figuré à l’intérieur. Louise avait ainsi reçu en cadeau des bijoux de ce type de la part de la duchesse de Kent, sœur du roi Léopold et mère de la reine Victoria10 ; elle en commanda d’autres auprès de la maison Mellerio11 ou un bracelet, œuvre de Bapst, écrivant en pierreries le nom d’Auguste de Saxe-Cobourg, époux de sa sœur Clémentine d’Orléans12.
Un cadeau de la reine Victoria
Les princesses romantiques s’offraient régulièrement ce type de bijoux. La souveraine britannique Victoria en usa largement, comme en témoigne le second bracelet, aux pendants en forme de cœur, qui a intégré les collections du musée Condé. La date apposée sur le fermoir permet de retrouver le contexte de sa création. Le 3 avril 1844, Louise était en effet à Buckingham Palace pour son 32e anniversaire : « Ce matin, dès 8h1/2, le Leopich [surnom affectueux donné par Louise à son époux Léopold] a eu la bonté de venir me souhaiter ma triste fête, et m’a dit des choses qui m’ont bien touché ; nous avons ensuite déjeuné avec Victoria qui a été bien bonne aussi et bien comprenant tous mes sentiments. Elle m’a donné un charmant bracelet avec des cœurs pour mettre des cheveux de toute la famille »13. Grâce aux initiales gravées à l’intérieur des cœurs, nous avons pu identifier les membres de la famille de Louise concernés, avec leurs époux à date : ses frères et sœurs Nemours (et son épouse), Clémentine, Joinville (et son épouse), Aumale et Montpensier, les enfants de Ferdinand-Philippe alors décédé, le comte de Paris et le duc de Chartres, ainsi que le fils de sa sœur Marie d’Orléans également disparue, Philippe de Wurtemberg.
Le culte du cheveu
Ce bracelet, comportant de fines mèches emprisonnées dans des compartiments vitrés logés au sein de pendants en forme de cœur, correspondait au véritable culte du cheveu qui sévissait à la période romantique en général, et chez la reine Victoria en particulier14. À la naissance de leur première fille, le prince Albert lui avait par exemple offert un bracelet doté de pendants ajoutés au fur et à mesure de chacune des naissances du couple, jusqu’en 185715. Fourni par la maison Garrard, il présente des pendants en forme de cœur évoquant ceux de la reine des Belges.
La folie du cheveu toucha semblablement cette dernière, comme l’illustre son inventaire après décès où l’on trouve entre autres : « un bracelet en forme de chaîne, en or, ayant pour pendant un cœur pour enfermer des cheveux dans l’intérieur est gravé donné par le Roi 1er Mai 1849 », « une bague en or, gothique, émail noir usé, avec cheveux », « une broche formée d’un médaillon contenant des cheveux, entourée de demi-perles fines et rubis », « deux bracelets en cheveux, avec fermoirs en or, ornés l’un du portrait en miniature de feu Sa Majesté le Roi Louis Philippe & l’autre de Sa Majesté la Reine Marie-Amélie »16. La correspondance de la reine comporte d’autres témoignages de cette obsession. Le 1er février 1840, elle dit à sa mère avoir fait réaliser un petit cœur en diamant pour la reine Victoria et lui envoie le lendemain un petit cœur de verre avec les cheveux mêlés de Victoria et de la duchesse de Nemours, sa belle-sœur17.
« C’est une autre histoire du XIXe siècle monarchique, intime, tendre et romantique, qui surgit à travers ces objets aussi précieux que personnels. »
Une sensiblité nouvelle
C’est une autre histoire du XIXe siècle monarchique, intime, tendre et romantique, qui surgit à travers ces objets aussi précieux que personnels. Ils forment la parfaite illustration de l’avènement d’une sensibilité nouvelle et le témoignage concret des relations diplomatiques et familiales intenses qui parcouraient notre continent. Les extraordinaires bracelets acquis par le musée Condé montrent que la discrète reine Louise se trouvait au cœur de ces échanges et que son rôle et sa collection méritent à présent d’être réhabilités.
« Louise d’Orléans, première reine des Belges. Un destin romantique », du 19 octobre 2024 au 16 février 2025 au musée Condé, château de Chantilly, 60500 Chantilly. Tél. 03 44 27 31 80. www.chateaudechantilly.fr
L’exposition sera ensuite présentée au TreM.a, musée des Arts anciens du Namurois à Namur, du 14 mars au 16 juin 2025.
À lire : catalogue, coédition château de Chantilly / TreM.a musée des Arts anciens du Namurois / In Fine éditions d’art, sous la direction de Mathieu Deldicque et Julien de Vos, 208 p., 35 €.
Notes
1 Diana Scarisbrick, Bijoux à portrait. Camées, médailles et miniatures des Médicis aux Romanov, Londres, Thames & Hudson, 2011, pp. 268-269.
2 Vente des collections du comte de Paris, Christie’s Paris, 14 octobre 2008, lot 466, vers 1846-1860.
3 Raphaël Dargent, Marie-Amélie : la dernière reine, Paris, Tallandier, 2021, p. 270. Sur les liens entre la maison Mellerio et la famille d’Orléans, voir Vincent Meylan, Mellerio dit Meller : joaillier des reines, Paris, SW Télémaque, 2013, pp. 101-132. Par exemple, archives de la maison Mellerio, décembre 1832, mars 1841.
4 Bruxelles, archives du Palais royal (APR), fonds Conway, 114 : inventaire des biens meubles (1850), n° 113 ; APR, fonds Conway, 115 : inventaire des biens meubles (s.d.), n° 117.
5 La collection du duc d’Aumale en comportait : Chantilly, musée Condé, OA 1724 et 1726, attribués à Ross. Voir Nicole Garnier-Pelle, Nathalie Lemoine-Bouchard et Bernd Pappe, Portraits des maisons royales et impériales de France et d’Europe : les miniatures du musée Condé à Chantilly, Paris, Somogy, 2007, cat. 169 et 174.
6 APR, fonds Conway 113 : testaments (…), 10e feuillet article n° 11 : « un cœur en or avec l’œil du Roi peint en miniature par Ross ». Les inventaires indiquent qu’il s’accrochait comme pendant à une broche en forme de nœud. APR, fonds Conway, 114 : Inventaire (…) (1850), n° 16 ; APR, fonds Conway, 115 : Inventaire (…) (s.d.), n° 16.
7 APR, fonds Conway, 115 : Inventaire (…) (s.d.), n° 267-271. L’inventaire Conway 114, n° 267-271 précise les dates gravées dans ces médaillons : 3 juillet 1841 pour le prince Léopold, janvier 1842 pour Philippe, 1844 pour Charlotte et 1845 pour Louis-Philippe.
8 APR, fonds Conway, 114 : Inventaire (…) (1850), n° 198 : « Une plaque de bracelet en or gravé attachée à un ruban de velours noir ; cette plaque est ornée de huit pierres précieuses dont les initiales forment le nom de “Victoria”, cette plaque contient à l’intérieur l’œil de la Reine d’Angleterre & au revers se trouve gravé VR 25th August 1841 ».
9 Voir Royaume-Uni, Royal Collection, RCIN 422252.
10 APR, LI-LM, 407, Louise à Marie-Amélie (3 septembre 1840) : « Les épingles-boules sont maintenant la grande mode en Angleterre. La duchesse de Kent m’en a données qui écrivent en pierre les noms de Victoria et d’Albert ».
11 Archives de la maison Mellerio, p. 281. 4 août 1847 : « 9 pierres formant le nom Charlotte ».
12 Bruxelles, Archives générales du royaume, fonds Vendôme-Nemours, 917 : lettre de Louise à sa belle-sœur Victoire (4 septembre 1843).
13 APR, LM-LI, 407, Louise à Marie-Amélie (3 avril 1844) ; Mia Kerckvoorde, Louise d’Orléans : reine oubliée, 1812-1850, Louvain-la-Neuve, Duculot, 1991, p. 227.
14 Charlotte Gere et Judy Rudoe, Jewellery in the Age of Queen Victoria : a mirror to the world, Londres, British Museum Press, 2010, pp. 164-170.
15 Royal Collection, RCIN 65293. Voir également le bracelet à neuf pendeloques, certaines en forme de cœurs, d’autres contenant des cheveux et l’un avec l’œil en miniature de la princesse Charlotte de Galles (Royal Collection, RCIN 10919).
16 APR, fonds Conway, 114 : Inventaire (…) (1850), n° 37, 71, 105 et 106 ; APR, fonds Conway, 115 : Inventaire (…) (s.d.), n° 37, 71, 105 et 10.
17 APR, LI-LM, 407, Louise à Marie-Amélie (1er et 2 février 1840).