L’intimité retrouvée de Marie-Antoinette à Versailles
Les cabinets intérieurs de la reine, caractéristiques de son goût très sûr tout autant que de sa versatilité, composent un singulier « portrait par les lieux » de Marie-Antoinette. Ces espaces, en perpétuelle évolution, qu’elle fit aménager à partir de 1774, occupaient à la veille de la Révolution une quinzaine de pièces sur deux étages ; ils viennent de rouvrir leurs portes au public, sur réservation, à l’issue d’un important chantier de recherche, de restauration et de restitution.
Boudoirs, bibliothèques, salle-à-manger, grand, arrière et très-arrière cabinets, cabinets en niches, de toilette, des bains, de billard ou de garde-robe… Nichés derrière la Grande chambre de la Reine, les cabinets intérieurs de Marie-Antoinette forment un canevas charmant mêlant des petites pièces, parfois minuscules, à l’extrême élégance, et d’autres, plus simples, aux boiseries simplement « en blanc ». Ces espaces intimes constituaient un monde en soi pratiquement ignoré des courtisans. Leurs accès, gardés de jour comme de nuit, étaient strictement réglementés par les femmes de chambre qui n’y introduisaient que de rares privilégiés dont elles possédaient la liste. Par les croisées donnant sur les cours et les deux petites portes dissimulées dans les plumes de paon et les bouquets de lilas de la tenture d’alcôve de la Grande chambre, chacun pouvait ainsi en deviner l’existence sans jamais pouvoir en dessiner les contours exacts. C’est dans ces écrins précieux, d’un raffinement inouï, que se déploie de manière privilégiée la parfaite harmonie de tous les arts décoratifs français, aux matériaux, tailles et couleurs les plus diverses.
Cadeau de mariage
La cage de cette délicate pendule, dotée d’un mouvement de Jean-Antoine Lépine, est réalisée en ivoire découpé, tourné et guilloché ; elle est flanquée de deux colonnes cannelées et couronnée d’une cassolette brûle-parfum. Elle a été tournée par Louis XV et offerte à Madame Adélaïde. Le roi en offrit un second exemplaire à Marie-Antoinette à l’occasion de son mariage, aujourd’hui conservée au musée de l’Ermitage. Étudiée et restaurée par Sébastien Evain, elle est aujourd’hui présentée sur la cheminée de la salle-à-manger de la reine (restaurée grâce au mécénat de William Iselin, par l’intermédiaire de la Société des Amis de Versailles).
Ces derniers s’équilibrent et se répondent, entrent en résonance : c’est le beau langage des objets d’art. Et l’on songe alors à la brillante formule de Madame de Scudéry dans sa Promenade de Versailles : « Mille objets différents faisaient le plus bel objet qui fut jamais », résumant deux des caractères essentiels de Versailles : une alchimie sublime du Beau, opérant une transsubstantiation permanente de la variété à l’unité ; et le Beau à toutes les échelles, de l’effet d’ensemble, saisissant, à l’infime détail d’un cabinet, poussé à l’extrême du raffinement. Après plusieurs années de chantier, ces cabinets rouvrent aujourd’hui dans leur totalité. Si, au premier étage, les visiteurs pourront découvrir le boudoir de la Méridienne restitué dans le dernier état textile connu avant la Révolution – un pou de soie broché et brodé de couleur lilas soutenue par quatre tons de vert tendre – le deuxième étage, disparu sous Louis-Philippe et reconstruit en 1985, a fait l’objet, grâce à de nouvelles découvertes, d’une restauration et d’un remeublement complet.
La passion du décor
Créer, ordonner, décorer, embellir, démolir et reconstruire, tout « culbuter » pour reprendre une formule de Mercy-Argenteau, voilà la grande passion de la reine et dans le domaine de l’aménagement et du décor, elle fait preuve d’un instinct très sûr, d’un goût et d’une audace remarquables. Quelques mois à peine après son arrivée à Versailles, trouvant l’appartement royal démodé, elle ordonne, avec sa toute-puissance infantile et sans même passer par le roi, de grands travaux à Ange-Jacques Gabriel qui s’en étrangle, refuse et s’en plaint au souverain. Le ton est donné ! Par la suite, cette passion se poursuit de manière croissante et il n’y eut que la Révolution, au fond, pour mettre un terme à sa frénésie de travaux. Durant les dix-huit années de son existence à Versailles, Marie-Antoinette n’aura de cesse de développer ses espaces privés, procédant par un double principe d’extension et de colonisation. C’est en 1779, après les grands travaux menés dans les jardins du Petit Trianon, que la reine procède au remaniement général de ses cabinets intérieurs et, comme à Trianon, son implication dans les travaux fut totale : pas une pièce de décor ou de mobilier ne fut exécutée avant qu’elle ne l’eût examinée sur modèle et fait modifier plusieurs fois.
Comme en témoigne l’étude des plans, les espaces disponibles dans le corps central n’étant pas extensibles, elle récupère progressivement à son compte des pièces auparavant dévolues aux valets de chambre du roi, à sa dame d’honneur, à ses femmes de chambre et même au Premier valet de chambre de son fils, d’où l’aspect labyrinthique et enchevêtré de ces petites pièces se déployant sur deux étages, desservies par une foule de portes feintes, passages, corridors étroits et escaliers dérobés. Ces cabinets racontent aussi la grande histoire des « petits chantiers » de Versailles, ceux des intérieurs, qui furent continuels pendant près de 150 ans et exécutés dans une effervescence extraordinaire pendant les « petits voyages » de la Famille royale à Marly, Fontainebleau ou Compiègne. L’étude de leur évolution laisse souvent l’historien sans voix tant il est difficile de ne pas perdre le fil de ces pièces changeant de destination, de forme et de décor à la vitesse de l’éclair. Tous les jours, on modifiait les cloisons, les portes, on recentrait les cheminées, on condamnait d’anciennes entrées, on supprimait et on ouvrait de nouveaux escaliers, on relevait les plafonds et changeait les croisées… Et c’est tout un peuple d’artisans et d’entrepreneurs qui surgit alors sur le papier, ces derniers redoublant les effectifs et veillant, c’est-à-dire se relayant jour et nuit, pour se plier aux désirs changeants de Marie-Antoinette. Dans une note adressée en 1785 au comte d’Angiviller, l’architecte et inspecteur des Bâtiments du Roi Jean-François Heurtier ose conclure, après un nouveau contrordre de la reine : « Il y a de quoi perdre la tête ! »
« Quelques mois à peine après son arrivée à Versailles, trouvant l’appartement royal démodé, elle ordonne, avec sa toute-puissance infantile et sans même passer par le roi, de grands travaux à Ange-Jacques Gabriel qui s’en étrangle, refuse et s’en plaint au souverain. »
Dans le boudoir de la reine
Les deux fauteuils attribués à Georges I Jacob, furent livrés pour le Grand appartement de Marie-Antoinette aux Tuileries. Auparavant conservés dans les réserves, leur structure en hêtre peint a été restaurée par Marie Dubost, puis ils ont été garnis et couverts par l’atelier tapisserie du château de Versailles (dépôt du Mobilier national). Au centre, la délicate table en chiffonnière acquise en 2023, exécutée en 1784-1785 par Adam Weisweiler et ornée d’une entretoise et d’un plateau en porcelaine tendre de Sèvres à décor de roses et barbeaux, est un achat personnel de la comtesse de Provence auprès du marchand Daguerre pour son appartement de Versailles. À droite, le coffre à bijoux de campagne attribué à Jean-Henri Riesener, réalisé vers 1785, orné de beaux bronzes par Étienne Martincourt, d’un placage d’acajou, d’encadrements en amarante et sycomore et d’une marqueterie de losanges ceinturés d’un triple filet d’ébène, de buis et de houx teinté vert, a été classé trésor national en 2005. Ancienne collection de Marie-Antoinette, le coffre fut remis par la reine à Pierre-Charles Bonnefoy du Plan qui l’offrit à la duchesse d’Angoulême.
« La douceur d’une vie privée »
Dans ces lieux aménagés pour les besoins de sa vie quotidienne, familiale et amicale, Marie-Antoinette pouvait goûter, selon Madame Campan, « la douceur d’une vie privée ». Elle s’y isolait pour se reposer, ne souhaitant pas être « dérangée », comme le précise une note de Richard Mique concernant l’aménagement de la Méridienne, discuter d’un livre avec son lecteur ou écrire sa correspondance. Elle s’adonnait parfois à un ouvrage de tapisserie ou de broderie, une activité qu’elle pratiquait depuis son enfance avec dextérité. C’est également là qu’elle dînait « en société » dans la petite salle-à-manger du second étage donnant, à l’époque, sur une terrasse d’agrément, conviait ses compositeurs favoris, organisait les après-midis des récitals privés, posait pour les rares artistes admis à faire son portrait d’après nature, ou recevait Rose Bertin pour de longs entretiens lors desquels elle étudiait les étoffes, les derniers accessoires et les divers ajustements de sa parure. L’occupation favorite restait le jeu, mais surtout la conversation qui était, chez la reine, toujours légère, décousue, voltigeant d’objet en objet.
« C’est également là qu’elle dînait “en société” dans la petite salle-à-manger du second étage donnant, à l’époque, sur une terrasse d’agrément […] » « Cela a été l’occasion de rassembler le mobilier livré pour la dauphine et pour la reine, et de présenter un grand nombre d’œuvres auparavant conservées dans les réserves, ainsi que de nouvelles acquisitions. »
Toile de Jouy « au Grand Ananas »
Comme le boudoir, les murs de la salle-à-manger ont été garnis de la toile de Jouy « au Grand Ananas », ainsi que les quatre parties de rideaux et les six portières. Autour de la table de Riesener, un ensemble de huit chaises de salle-à-manger réalisées par Georges I Jacob, conservé auparavant en réserve, a été garni et couvert par l’atelier tapisserie du château de Versailles. La restauration des bois peints opérée par Jean-Pierre Galopin et Marie Dubost a révélé, sur deux chaises, une peinture du XVIIIe intacte absolument prodigieuse.
C’est aussi dans ces espaces qu’elle passait du temps avec ses jeunes enfants amenés chaque jour du rez-de-chaussée par leur gouvernante, son amie la duchesse de Polignac. Les archives gardent la mémoire de deux rampes de cordes dans les petits escaliers, dont une à hauteur d’enfant, et l’inventaire du marchand mercier Lignereux, réalisé le 10 octobre 1789, mentionne « la lanterne magique et les jouets de M. le Dauphin » gisant encore au sol de la Méridienne après le départ précipité de la Famille royale. Ces cabinets ont conservé bon nombre de leurs entresols, hauts et bas, souvent sacrifiés à l’occasion des réaménagements de Louis-Philippe. Ces toutes petites pièces de service, chambrettes et autres « cuisines d’en haut », au plafond si bas qu’il imposait la chandelle dès l’après-midi, sont aujourd’hui les dernières traces visibles de la domesticité, cette Petite Cour, pour reprendre le titre du célèbre ouvrage de l’historien William Ritchey Newton. Si les visiteurs d’aujourd’hui découvrent un décor sans acteurs, il faut imaginer cette multitude de pièces et passages encombrés par les allées et venues d’une armée de domestiques, valets, garçons et femmes de chambre qui, jour et nuit, s’activaient sans relâche au service de la reine.
Une paire d’encoignures pour les cabinets de la Dauphine
Cette paire d’élégantes petites encoignures en marqueterie de bois de rose et d’amarante réhaussées de houx vert, dont les dimensions correspondent à une livraison pour une pièce entresolée, a été exécutée vers 1770-1772 par Martin Carlin, probablement sous la direction du marchand-mercier Simon Philippe Poirier. Elles furent livrées pour les cabinets de la dauphine Marie-Antoinette, ou pour une pièce dévolue à un membre de sa Maison (marque au feu couronnée GR/W). Ornées d’un décor de filets ombrés avec effet de relief typique du style de Carlin, elles permettent de documenter un pan moins connu de la production de l’ébéniste dont on connaît surtout la grande production constituée de précieux meubles à plaques de Sèvres, tel le serre-bijoux livré la même année et exposé dans la même pièce. Acquises en 2021, elles ont été restaurées par Sébastien Evain et sont présentées dans le boudoir de la reine dont elles épousent parfaitement les proportions (mécénat de la Fondation La Marck).
Le chantier de restauration et de restitution
Le premier enjeu du chantier de restauration et de remeublement des cabinets du second étage fut de comprendre l’organisation et la destination de cette succession de neuf pièces long-temps restées méconnues. Cette recherche était un préalable indispensable au choix des textiles. L’étude de sources diverses (plans, rapports des Bâtiments, registres et inventaires, mémoire de travaux par Bonnefoy du Plan, livraisons des fournisseurs, factures de la Manufacture royale de Jouy) a permis, comme un jeu de piste, de se former une idée fiable du décor et de l’ameublement, du moins en 1784, état le mieux documenté choisi pour cette restitution, car la reine renouvelle tout, tous les trois ans. Il s’agissait de comprendre, par exemple, par le calcul des métrages des toiles, rideaux et portières livrés, que la salle-à-manger et le boudoir formaient cette même pièce nommée « Pièce de retraite du Billard servant de logement à la dame d’honneur lorsque la Reine est malade », et donc voués à être garnis de la même toile. C’est aussi grâce à la retombe n°4 d’un plan de 1779 que nous avons pu préciser la destination des autres pièces, selon deux niveaux hiérarchiques : trois pièces pour les « Premières femmes [de chambre] de la reine », trois autres destinées au « Service de la reine ». Les pièces « à la Reine » étaient meublées d’une grande Perse à fond blanc en toile de Jouy « superfine », payée 1 850 livres à Christophe-Philippe Oberkampf, directeur de la Manufacture.
Un chef-d’œuvre de Joseph Boze
La première Pièce de service expose le portrait au pastel de Madame Campan, vêtue d’une robe de soie, dentelle et mousseline. Véritable chef-d’œuvre de Joseph Boze, ce portrait fut commandé en 1786 par la célèbre femme de Chambre de Marie-Antoinette. Le second étage des cabinets intérieurs était le domaine privilégié des Premières femmes de chambre qui y disposaient de petites pièces d’attente leur permettant de se tenir, dans la journée, à proximité de la souveraine afin de prendre ses ordres. Cette place de confiance était centrale dans la Maison de la Reine : en plus de veiller à l’exécution du service et de régenter les douze femmes de chambre ordinaires ainsi qu’une armée de valets de chambre, la Première femme avait un accès permanent à la reine, avait la garde de la cassette et de ses diamants, et jouait les intermédiaires pour les demandes d’audiences, ce qui en faisait un personnage puissant et respecté à la Cour.
Dans les années 1780, l’engouement pour les « Perses de Jouy » était général. La reine, toujours « au goût du jour », y souscrit naturellement et la Manufacture devint royale en 1783. La production de ces toiles de cotons imprimées était beaucoup moins onéreuse et plus rapide que les riches soieries lyonnaises : cela permettait de s’adonner au goût du moment qui, à cette époque, était de plus en plus changeant, diffusé par les journaux de mode dévoilant chaque trimestre un flux continu de nouveaux motifs.
Ce fut ensuite une plongée fascinante dans les fonds conservant de la toile de Jouy, principalement au musée de la Toile de Jouy et au musée des Arts décoratifs de Paris, dévoilant un univers visuel fait de variations à l’infini. Ce sont ainsi plus de 10 000 échantillons qui ont été étudiés et classés, le choix s’étant effectué en fonction de la destination de chaque pièce et en la matière, le degré de richesse d’une toile découle du nombre de couleurs utilisées.
Les toiles présentées témoignent toutes de la passion du XVIIIe siècle pour les fleurs au naturel où la rose et l’œillet règnent en maître. Quant à la toile dite « au Grand Ananas », après sa découverte dans les réserves du musée de Jouy, le choix s’est imposé d’emblée comme une évidence tant elle réunissait tous les critères recherchés : un chef de pièce complet (272 x 99 cm), daté quasi exactement de l’année établie pour la restitution, d’un niveau royal puisque la toile comporte le nombre extraordinaire de vingt-cinq couleurs distinctes, ayant conservé ses couleurs d’origine et présentant une qualité de blancheur, de luminosité et de délié merveilleuse. La collaboration finale avec le Royal Ontario Museum de Toronto a été décisive puisque l’institution conservait la grande, la moyenne et la petite bordure correspondante ; il est en effet rarissime de pouvoir restituer la toile avec ses bordures originales, souvent perdues ou dissociées par le temps. Enfin, cet ananas, très à la mode à la cour depuis 1733, mêlé ici à des oiseaux de paradis et autres « fleurs étranges » évoquant un exotisme lointain, résonnait parfaitement avec le goût de Marie-Antoinette puisqu’elle choisit le célèbre Ananas dans un pot du peintre Jean-Baptiste Oudry pour orner l’un des dessus-de-porte de son grand cabinet intérieur, au premier étage.
Une acquisition récente
Autre acquisition récente, cette paire de bras de lumière en bronze ciselé, doré et patiné, dite « petits bras à enfants », se tenant sur une console à décor de feuillages avec cordelettes macaron à marguerite et amortissement de pampres, est attribuée au bronzier François Rémond et fut livrée par Dominique Daguerre en 1789 pour le second cabinet de Marie-Antoinette au château de Marly (acquise avec la participation de la Société des Amis de Versailles). Elle est ici présentée dans le Salon de Compagnie, associé à une paire de chenets aux enfants satyres, également patinés, attribuée à Jean-Pierre Fleuchère ; un exemplaire de ce modèle créé par Bélanger et Dugourc fut fourni par Rémond au garde-meuble privé de Marie-Antoinette en 1785, destiné à l’une des pièces de la maison de la Reine au Hameau de Trianon. La pendule lyre squelette de Charles-Guillaume Manière, qui a trouvé sa place sur la cheminée de marbre, a été sortie des réserves et restaurée pour l’occasion.
De l’excellence des métiers d’art français
Le chantier des cabinets de la reine fut une formidable ruche rassemblant le meilleur des métiers d’art français. La restitution des huit toiles choisies a pu être réalisée grâce au mécénat de compétence de la Maison Pierre Frey, selon la technique d’impression traditionnelle au cadre plat. Les petits défauts qui font vibrer la toile originale, tels les légers décalages de couleur par rapport au dessin, ont également été restitués. Sébastien Ragueneau, tapissier d’art, les a en-suite posées selon la méthode du XVIIIe siècle sur châssis, a confectionné les voilages, rideaux et portières ornées de passementerie composées sur mesure par la Maison Declercq. Mais comme au XVIIIe siècle, la recherche continue et le chan-tier ne s’arrête pas car nous venons de découvrir une nouvelle indication de 1786 concernant des embrasses et un cordon de sonnette de passementerie installés dans ces pièces et que nous allons réaliser l’année prochaine, avec les garnitures textiles des deux salles de bain. La dernière phase du projet a été le remeublement et la restauration de la quasi-totalité des œuvres présentées, ce qui fut une opportunité de les étudier de manière approfondie. Cela a été l’occasion de rassembler le mobilier livré pour la dauphine et pour la reine, et de présenter un grand nombre d’œuvres auparavant conservées dans les réserves, ainsi que de nouvelles acquisitions. La célèbre collection de boîtes en laque japonais de la reine est quant à elle désormais présentée dans la garde-robe, dans une vitrine spécialement conçue pour ces œuvres d’une grande délicatesse particulièrement sensibles à la lumière et aux variation hygrométriques.
Précieuses soieries
Vue de l’ancien cabinet du Billard, devenu Salon de Compagnie en 1786-1787. D’un luxe inouï, le lampas broché en velouté et soie nuée et chenille à fond blanc satin, avec médaillons de broderie de soie et décors d’arabesques, composé de 34 couleurs, véritable prouesse technique réalisée par le soyeux lyonnais Jean Charton d’après les dessins de Jacques Gondoin, fut livré en 1779 pour le Grand cabinet intérieur de la reine pour la somme astronomique de 100 000 livres. Après les travaux de 1783, il fut replacé au second étage. Cette précieuse soierie, qui figure parmi les tissages les plus prodigieux réalisés sous l’Ancien Régime, a fait l’objet de deux rééditions textiles : la première lancée par l’Impératrice Eugénie en 1889 pour ses appartements du Palais de Tuileries et réalisée par la manufacture Grand Frères, la seconde, présentée ici, réalisée de 1985 à 1993 par la Maison Tassinari & Chatel, grâce au mécénat de Lady Michelam of Hellingly. Parmi d’autres textiles du XVIIIe siècle présentés dans des vitrines protégées, les visiteurs pourront admirer le lé original de cette tenture. La paire de canapés, livrée vers 1783 par Jacob pour cette pièce, a été acquise par le château de Versailles en 1983.
Une quête éperdue d’intimité
L’investissement personnel de Marie-Antoinette dans les travaux et l’extension sans fin de ses es-paces privés offre le témoignage émouvant d’une quête éperdue d’intimité. D’année en année, on suit la reine se replier davantage dans les entrailles de son petit labyrinthe dont elle tient à contrôler tous les accès. En cela, l’élément sans doute le plus passionnant est moins ce qu’elle faisait dans ces espaces, que comment elle le faisait. Ils dessinent d’elle un portrait en creux, une sorte de portrait par les lieux où se reflètent de manière fidèle tous les traits de sa personnalité : l’audace, l’assurance, l’exigence, l’impatience, l’orgueil et ce goût pour le changement permanent.
Une restauration récente
Cette bergère a été livrée le 20 décembre 1779 pour le Grand cabinet intérieur de Marie-Antoinette à Versailles. Quatre ans plus tard, lorsque l’inconstante souveraine fait entièrement redécorer la pièce avec des boiseries des frères Rousseau, ce meuble est placé dans le cabinet du Billard au second étage. Vendu à la Révolution, il gagne les États-Unis en 1794 ; acquis auprès d’une galerie new-yorkaise en 2019, grâce au legs providentiel de madame Jeanne Heymann, il a regagné Versailles. Sa récente restauration en a révélé l’exceptionnelle qualité de sculpture.
Ce petit univers qu’elle modifie à l’infini était, au fond, son seul univers : pendant les dix-neuf années de son règne, Marie-Antoinette n’a finalement rien vu d’autre du royaume que les décors enchanteurs de ses cabinets à Versailles, Trianon, Marly, Fontainebleau, Saint-Cloud ou Rambouillet. Voilà, jusqu’en 1789, son seul périmètre au-delà duquel la réalité du monde restait brumeuse.
Les cabinets intérieurs de la reine sont accessibles uniquement sur réservation. www.chateauversailles.fr
À lire : Hélène Delalex, Marie-Antoinette, la légèreté et la constance, éditions Perrin, 2021, 312 p., 25 €. Sous la direction de Flavie Leroux et Élodie Vaysse, Versailles, un château au féminin, coédition château de Versailles / RMN, 2022, 176 p., 20 €.