Louis XV revient à Versailles au grand galop !

Pierre Cartellier (1757-1831), Louis XV au galop, 1817. Maquette en terre cuite patinée, premier projet, 36 x 32 x 14 cm. Vente Audap & Associés, 5 décembre 2024. Estimé : 80 000/100 000 €. Acheté pour 84 000 € (frais inclus) par le château de Versailles. © Audap & Associés
C’est un rare projet original pour une statue équestre de Louis XV au galop que le château de Versailles vient d’acquérir chez Audap & Associés, pour 84 000 € (frais inclus). Réalisée en 1817, cette terre cuite patinée, très aboutie, est le premier projet livré par le sculpteur Pierre Cartellier (1757-1831) pour la prestigieuse commande de statue monumentale que lui avait confiée Louis XVIII. Conservée dans l’atelier du sculpteur, l’œuvre était restée en possession de ses descendants jusqu’à sa vente le 5 décembre dernier.
Utilisant habilement les arts pour célébrer le retour au pouvoir des Bourbons, Louis XVIII s’est attaché à glorifier le règne de ses aïeux. La commande de monuments destinés à orner les places de Paris et des grandes villes du royaume constituent bien sûr la clef de voûte de sa stratégie de légitimation – il s’agit bien souvent de remplacer les statues royales détruites à la Révolution.
Louis XV dans la tourmente révolutionnaire
Commandée en 1816, cette statue équestre du « Bien-Aimé » devait remplacer celle que la Ville de Paris avait fait ériger en 1763 sur la place Louis XV, future place de la Concorde. Commencée par Edme Bouchardon et achevée par Jean-Baptiste Pigalle, cette œuvre monumentale devenue le symbole d’un pouvoir honni fera les frais de la vindicte révolutionnaire : abattue le 20 août 1792, elle sera envoyée à la fonte. Près d’un quart de siècle plus tard, alors que le vent de l’Histoire tourne en faveur des Bourbons, Louis XVIII entend honorer la mémoire de son grand-père. Des difficultés matérielles et techniques, associées à des changements d’emplacement, vont cependant retarder et modifier ce projet en profondeur.
Réductions de différents monuments au « Bien-Aimé » dans l'exposition « Louis XV. Passions d’un roi », organisée à Versailles en 2022. À l'arrière-plan, un fragment du monument de la place Louis XV. © Actu-culture.com / OPM
Une commande prestigieuse
Prix de Rome en 1783, Pierre Cartellier a tôt su démontrer sa capacité à travailler à l’échelle monumentale. S’imposant comme l’un des sculpteurs officiels de la famille impériale (il exécute notamment plusieurs statues de Napoléon Ier), il traverse sans encombre les changements de régimes. Dès l’avènement de la Restauration, l’artiste obtient des commandes publiques et restaure, par exemple, aux Invalides, le portrait équestre de Louis XIV en costume romain, taillé par Guillaume Ier Coustou et mutilé pendant la Révolution. L’année suivante, alors qu’il est nommé professeur à l’École des beaux-arts, Cartellier se voit confier la réalisation de cet ambitieux portrait équestre pour la place de la Concorde, redevenue « place Louis XV ».
Pierre Cartellier (1757-1831), Louis XV au galop, 1817. Maquette en terre cuite patinée, premier projet, 36 x 32 x 14 cm. Vente Audap & Associés, 5 décembre 2024. Estimé : 80 000/100 000 €. Acheté pour 84 000 € (frais inclus) par le château de Versailles. © Audap & Associés
Un cheval au galop
Cette commande s’inscrit dans la tradition des statues équestres, particulièrement prisées des souverains d’Europe, de Louis XIV à Pierre le Grand, en passant par Joseph Ier de Portugal, un sujet récemment mis à l’honneur au château d’Écouen, quelques mois après l’exposition grandiose que Versailles consacrait l’été dernier à la figure du cheval. Alors que François-Frédéric Lemot (1771-1827) représente Henri IV sur une paisible monture au pas (Pont-Neuf, 1818), Cartellier opte, dans ce premier projet, pour un cheval au galop, tout comme son rival François-Joseph Bosio (1768-1845), qui immortalise le Roi-Soleil (place des Victoires, 1822). Les deux sculpteurs néoclassiques se montrent toutefois moins fougueux que Bernin et son fameux Louis XIV sous les traits de Marcus Curtius (Versailles, 1677), ou le prodigieux Cavalier de bronze d’Étienne Maurice Falconet (Saint-Pétersbourg, 1768).
Le « Bien-Aimé », garant de la paix
À l’iconographie volontiers guerrière et conquérante prisée par Napoléon, Louis XVIII privilégie les symboles de paix, de justice et de réconciliation. Dans cette première maquette, Pierre Cartellier propose un portrait du « Bien-Aimé » en monarque victorieux, la tête laurée ; sa monture foule de ses sabots des trophées brisés, tandis que le roi pose un regard apaisé et bienveillant sur les passants qui se presseront au pied du monument. Mais, bien que la statue en pied du sculpteur figurant Louis XV en empereur romain ait été érigée dès 1819 au centre de la place Royale de Reims, remplaçant ainsi celle par Jean-Baptiste Pigalle détruite à la Révolution, son projet pour la place parisienne ne verra jamais le jour, ou presque…
Pierre Cartellier (1757-1831), Louis XV en empereur romain, 1818. Jean-Baptiste Pigalle (1714-1785), Allégories du Citoyen heureux et de la Loi dominant la Force, 1765. Reims, place Royale de Reims. Photo CC0
Les difficultés s’amoncèlent
Face à l’impossibilité d’obtenir un bloc de marbre de Carrare suffisamment grand, Cartellier opte pour le bronze mais doit reprendre et assagir substantiellement la position du cheval. Dans l’intervalle, le nouveau roi Charles X a décidé de consacrer la place à la mémoire de Louis XVI, en commandant au sculpteur Jean-Pierre Cortot (1787-1843) un monument. Qu’à cela ne tienne ! Le monument de Cartellier se dressera sur le rond-point des Champs-Élysées. Mais alors que le grand modèle est achevé en décembre 1829, éclate la Révolution de Juillet. À la mort de l’artiste en juin 1831, seul subiste le cheval dans le moule, le modèle du cavalier ayant été détruit.
Pierre Cartellier (1757-1831) et Louis Petitot (1794-1862), Statue équestre de Louis XIV (en cours de restauration), 1836. Bronze, fonderie Crozatier. Versailles, place d’Armes. © Château de Versailles / T. Garnier
Un curieux assemblage
Modifié au gré des divers modèles, le cheval que laisse Cartellier à sa mort marche désormais sagement au pas. C’est au gendre de l’artiste, Louis Petitot (1794-1862), qu’est finalement confiée la réalisation du cavalier – le Roi-Soleil a remplacé le « Bien-Aimé » à la demande de Louis-Philippe. Fondu en deux temps par Charles Crozatier (1795-1855), ce monument composite prend place dans la cour d’Honneur du château de Versailles, avant d’être déplacé sur la place d’Armes au moment de la recréation de la grille. Elle bénéficie à cette occasion d’une remarquable restauration par la fonderie de Coubertin et accueille à nouveau les visiteurs depuis 2009.
Pierre Cartellier (1757-1831) et Louis Petitot (1794-1862), Statue équestre de Louis XIV (en cours de restauration), 1836. Bronze, fonderie Crozatier. Versailles, place d’Armes. © Château de Versailles / T. Garnier