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Notre-Dame de Paris restaurée (5/12). Le trésor de la cathédrale

Placide Poussielgue-Rusand, d’après Eugène Viollet-le-Duc et d’après le sculpteur Adolphe Victor Geoffroy-Dechaume pour les figures de Saint-Louis, sainte Hélène et du roi Baudouin, reliquaire de la Couronne d’épines (détail), 1862. Argent doré, pierres semi-précieuses et précieuses, H. 88 ; L. 49 cm. Paris, Trésor de Notre-Dame.

Placide Poussielgue-Rusand, d’après Eugène Viollet-le-Duc et d’après le sculpteur Adolphe Victor Geoffroy-Dechaume pour les figures de Saint-Louis, sainte Hélène et du roi Baudouin, reliquaire de la Couronne d’épines (détail), 1862. Argent doré, pierres semi-précieuses et précieuses, H. 88 ; L. 49 cm. Paris, Trésor de Notre-Dame. © Musée du Louvre, dist. RMN – G. Benoit

Si l’on sait que Notre-Dame a été restaurée par Viollet-le-Duc, on connaît mal le trésor, qui est pourtant l’une de ses créations les plus originales. Ayant conçu, avec Lassus, la sacristie qui l’abrite et son ameublement, il en dessina aussi une partie des objets liturgiques et des reliquaires. Le trésor de Notre-Dame, reconstitué dans son contenu au XIXe siècle, est donc un exemple rare d’application des principes de l’architecte dans une œuvre d’art totale.

Il importe de comprendre par quel processus l’occasion a été offerte à Viollet-le-Duc de mettre en œuvre cette réalisation. Lorsque le Concordat autorise en 1801 le rétablissement du culte, le trésor reprend place dans le bâtiment rectangulaire construit entre 1758 et 1760 par Soufflot pour remplacer la sacristie médiévale trop vétuste. Il s’inscrit entre le déambulatoire sud de la cathédrale et la tour-prison de l’Officialité, contiguë au palais épiscopal. Ce bâtiment ne satisfait pas les besoins du clergé. Ainsi, en 1811, l’archevêque, le cardinal Maury, se plaint de l’absence de réelle sacristie à Notre-Dame, le local, « étroit et mesquin », servant de passage à l’archevêque pour venir à la cathédrale1. En 1827-1828, monseigneur de Quelen, désormais archevêque, obtient que soit étudié l’agrandissement de la sacristie pour créer une salle capitulaire et une salle du trésor ; les projets des architectes Adrien Louis Lusson et Hippolyte Godde sont néanmoins rejetés par le conseil des bâtiments civils2.

Jean Alexandre Chertier, d’après Eugène Viollet-le-Duc, chrémier en forme de colombe, 1866. Argent doré, émail champlevé, H. 27,8 ; L. 17,8 ; P. 15 cm. Paris, Trésor de Notre-Dame.

Jean Alexandre Chertier, d’après Eugène Viollet-le-Duc, chrémier en forme de colombe, 1866. Argent doré, émail champlevé, H. 27,8 ; L. 17,8 ; P. 15 cm. Paris, Trésor de Notre-Dame. © Musée du Louvre, dist. RMN – G. Benoit

Du bâtiment de Soufflot à la nouvelle sacristie

Le double pillage dont est victime le palais de l’archevêché, et par ricochet la sacristie et son trésor, lors de la révolution du 29 juillet 1830 puis lors de l’insurrection anticléricale de février 1831, décide du sort du bâtiment de Soufflot. Dès février 1832, le préfet prévient de sa destruction inévitable. Le palais de l’archevêque est détruit en 1837 et remplacé par un jardin. On évoque alors le projet d’une nouvelle sacristie et d’une salle capitulaire au chevet de la cathédrale, « mise en harmonie avec le style du bâtiment3 ». La rupture esthétique entre le bâtiment de Soufflot et la cathédrale gêne en effet à cette date, d’autant que son isolement sur le flanc sud le rend plus visible. En mai 1838, un projet de l’architecte en charge de la cathédrale, Hippolyte Godde, reste sans suite.

Le projet de Lassus et Viollet-le-Duc

C’est pourquoi le concours ouvert pour la restauration de Notre-Dame en 1843 inclut la construction d’une nouvelle sacristie. Le projet de restauration de Lassus et Viollet-le-Duc l’emporte, mais les architectes doivent amender celui de la sacristie. Dans le plan revu de 1845, deux galeries parallèles, reliées par une cour à la manière d’un cloître, desservent respectivement la sacristie de la paroisse et la sacristie des chanoines contiguë à la salle capitulaire. Le trésor est prévu à l’étage, au-dessus de cette dernière. Ce n’est finalement que la commodité d’usage qui fera utiliser la grande sacristie des chanoines pour le trésor, plus facile d’accès notamment pour les visites.

Eugène Viollet-le-Duc, Sacristie de Notre-Dame de Paris, plan du rez-de-chaussée, extrait del’Encyclopédie d’architecture, pl. 2 p. 52, 4e année, 1854. Paris, Bibliothèque nationale de France.

Eugène Viollet-le-Duc, Sacristie de Notre-Dame de Paris, plan du rez-de-chaussée, extrait del’Encyclopédie d’architecture, pl. 2 p. 52, 4e année, 1854. Paris, Bibliothèque nationale de France. Photo BnF

Décor et ameublement

Le style adopté est le gothique rayonnant du XIIIe siècle, dans la continuité de l’architecture du transept. Le décor intérieur est extrêmement soigné. La sculpture décorative revient à Auguste Lechesne. La verrière centrale de la grande sacristie, confiée à Charles Laurent Maréchal de Metz, montre les évêques et archevêques de Paris, dont saint Denis et Maurice de Sully, sur deux registres de lancettes, au-dessus de monseigneur Affre sur son lit de mort.

Eugène Viollet-le-Duc, Sacristie de Notre-Dame de Paris, mobilier de la sacristie du chapitre, extrait de l’Encyclopédie d’architecture, p. 35, 4e année, 1854. Paris, Bibliothèque nationale de France.

Eugène Viollet-le-Duc, Sacristie de Notre-Dame de Paris, mobilier de la sacristie du chapitre, extrait de l’Encyclopédie d’architecture, p. 35, 4e année, 1854. Paris, Bibliothèque nationale de France. Photo BnF

Alors que dès février 1849 une commission avait été chargée par le chapitre de s’entendre avec les architectes sur la composition du mobilier et sa disposition, et que le nouveau bâtiment est achevé en 1851, l’ameublement intérieur tarde. Lorsque les travaux reprennent sous le Second Empire, le chapitre en presse l’achèvement en février 1853. Il examine le 19 avril le plan soumis par Lassus et Viollet-le-Duc, demande quelques modifications pour la sacristie des messes, une armoire pour les archives de la salle capitulaire. Le menuisier Pierre Charles Caffin (Paris, 1791-Pontoise,1871) établit son devis le 7 juin, mais le clergé exige encore des amendements lors de la réalisation4. La maison Caffin était en charge de tous les travaux de menuiserie de la cathédrale. Le fils, Frédéric Caffin (Paris, 1813-1852), avait déjà réalisé en 1849 les portes5, parquets et lambris de la sacristie, mais sa mort prématurée avait obligé son père à reprendre la tête de l’entreprise6.

Vue de la sacristie aménagée parLassus et Viollet-le-Duc.

Vue de la sacristie aménagée parLassus et Viollet-le-Duc. © P. Lemaître. All rights reserved 2024 / Bridgeman

La Couronne d’épines, au cœur de l’histoire du trésor

Jusqu’à la Révolution, la Couronne d’épines du Christ était conservée à la Sainte-Chapelle, construite à cette fin à l’instigation de Saint-Louis qui l’avait acquise en 1239 de l’empereur latin de Constantinople, Baudouin II. Sous la Révolution, extraite de son reliquaire, elle entre à la bibliothèque nationale, et c’est en vue du sacre de Napoléon que l’archevêque de Paris en obtient la remise en octobre 1804. Un grand reliquaire néoclassique est commandé en 1806 à l’orfèvre Jean-Charles Cahier pour l’abriter. Les tribulations de l’insigne relique ne sont pas achevées. Devant la menace d’un pillage en juillet 1830, la Couronne est mise à l’abri, d’abord dans un château de l’Eure, puis au couvent de la Charité de la rue du Bac. Les reliques de la Passion ne sont présentées à Notre-Dame que lors de la semaine sainte. En 1845, en même temps qu’est adopté le projet de reconstruction de la sacristie, il est décidé de commander un nouveau reliquaire sur le modèle de celui de la Sainte-Chapelle, mais il faut attendre 1859 pour que ce projet se concrétise. Viollet-le-Duc en donne le dessin, et l’objet est achevé en 1862 par Poussielgue-Rusand. Il s’inspire, pour sa partie supérieure, du reliquaire médiéval de la Sainte-Chapelle, et raconte l’histoire des reliques de la Passion dans sa partie inférieure. Une nouvelle châsse reliquaire a été commandée, pour la réouverture de Notre-Dame en 2024, à Sylvain Dubuisson.

Placide Poussielgue-Rusand, d’après Eugène Viollet-le-Duc et d’après le sculpteur Adolphe Victor Geoffroy-Dechaume pour les figures de Saint-Louis, sainte Hélène et du roi Baudouin, reliquaire de la Couronne d’épines, 1862. Argent doré, pierres semi-précieuses et précieuses, H. 88 ; L. 49 cm. Paris, Trésor de Notre-Dame.

Placide Poussielgue-Rusand, d’après Eugène Viollet-le-Duc et d’après le sculpteur Adolphe Victor Geoffroy-Dechaume pour les figures de Saint-Louis, sainte Hélène et du roi Baudouin, reliquaire de la Couronne d’épines, 1862. Argent doré, pierres semi-précieuses et précieuses, H. 88 ; L. 49 cm. Paris, Trésor de Notre-Dame. © Musée du Louvre, dist. RMN – G. Benoit

La sacristie et son mobilier

En avril 1854, la sacristie est enfin bénie, et le trésor ouvert aux visiteurs. L’Encyclopédie d’architecture publie en 1854 plusieurs planches sur la sacristie, d’après des dessins de Viollet-le-Duc ou sous sa direction. Le plan publié montre bien l’implantation du mobilier. Dans la grande sacristie, les deux grands chapiers qui se font face, puis les armoires – au fond, l’armoire en trois parties, dont une planche donne le détail, avec son couronnement gothique et son fronton sculpté d’une Annonciation, d’une Crucifixion et d’une Visitation. Dans la salle capitulaire, les dix-huit stalles et leurs pupitres, le trône de l’archevêque, le bureau. Les armoires scellées de fer les plus sécurisées sont à l’étage. Le chapitre, cependant, ne tire pas parti de cette salle. C’est pourquoi sans doute des vitrines s’ajoutent très vite au rez-de-chaussée. La salle capitulaire est dotée en 1867 d’une grande armoire néogothique à deux vantaux, rehaussés de peintures de Perrodin illustrant la vie de saint Louis, dans laquelle trouvent place les châsses. Peut-être les vitrines en tôle peinte en rouge sur chemin de fer, posées sur les chapiers de la sacristie, qui sont mentionnées dans un inventaire de 1869 mais pas en 1854, se sont-elles ajoutées alors. 

« […] par l’octroi des reliques de la Passion et de Saint-Louis, Notre-Dame supplante la Sainte-Chapelle dans son rôle de gardienne de ces reliques insignes. »

Les souverains au secours de Notre-Dame

Le trésor de Notre-Dame doit être entièrement reconstitué au début du XIXe siècle quand il faut pourvoir aux besoins de la liturgie lors du rétablissement du culte. Le dénuement est total depuis la fonte en 1791 de l’argenterie inutile au culte, et en août 1792 du reste du trésor, suivie en octobre suivant de la fonte de la célèbre châsse gothique de saint Marcel. L’exposition organisée au Louvre en 2023 a évoqué ce très riche trésor perdu, bénéficiaire depuis le Moyen Âge des libéralités des princes et des chanoines7. La décision de Napoléon de célébrer son sacre à Notre-Dame donne à l’église métropolitaine une importance politique nouvelle, aux dépens de Reims et de Saint-Denis. En outre, par l’octroi des reliques de la Passion et de Saint-Louis, Notre-Dame supplante la Sainte-Chapelle dans son rôle de gardienne de ces reliques insignes. La Maison de l’empereur finance pour la cérémonie l’acquisition d’un ensemble d’objets et de vêtements liturgiques dont quelques reliquats ont pu être récemment identifiés : chapes de Périgne-Desmarais, orfèvrerie de Loque ou de Cahier. Une garniture d’autel du XVIIIe siècle, acquise en 1802 pour la célébration de la promulgation du Concordat, est alors dorée. Pour étoffer le trésor, Napoléon lui attribue des objets confisqués durant ses guerres, en Italie, en Allemagne ou en Espagne. Si beaucoup sont restitués en 1815, certains y demeurent encore, comme un beau calice espagnol de la Renaissance et un du XVIIe siècle attribué à Andrés de Villarroel.

« Beaucoup d’objets liturgiques sont renouvelés entre 1866 et 1869 dans un style médiéval : ostensoirs, baisers de paix, vases pour les saintes huiles, reliures, canons d’autel, croix de procession, lutrin… »

La Vierge de Charles Nicolas Odiot

Sous la Restauration, les liens restent étroits entre l’archevêché et le roi. On pourrait évoquer l’ensemble de vêtements liturgiques offert par Charles X à l’occasion du sacre, célébré à Reims, mais l’objet le plus emblématique est sans doute la grande Vierge d’argent repoussé. Louis XVIII renoue avec la tradition du vœu de Louis XIII et souhaite offrir une Vierge en argent pour les processions. C’est Charles X qui concrétise ce projet en 1826 en offrant une statue exécutée par Odiot ; endommagée lors du sac de 1831, elle est restaurée en 1856 pour le baptême du prince impérial. Les pillages et destructions de 1830 et 1831 sont en effet une nouvelle épreuve pour le trésor nouvellement reconstitué. Les pertes des deux sacs conjugués sont estimées à la somme considérable de 127 000 francs.

Charles Nicolas Odiot, Vierge à l’Enfant, d’après une Vierge de Charles-Antoine Bridan de l’église Saint-Séverin, 1826. Argent repoussé et ciselé, H. 156 ; L. 60 ; P. 55 cm. Paris, Trésor de Notre-Dame.

Charles Nicolas Odiot, Vierge à l’Enfant, d’après une Vierge de Charles-Antoine Bridan de l’église Saint-Séverin, 1826. Argent repoussé et ciselé, H. 156 ; L. 60 ; P. 55 cm. Paris, Trésor de Notre-Dame. © Musée du Louvre, dist. RMN – G. Benoit

Un trésor renaît de ses cendres

L’absence de sacristie à partir de 1846 contraint à un repli partiel du trésor dans des chapelles du déambulatoire et surtout à un dépôt dans des établissements religieux parisiens. Lorsque la nouvelle sacristie est enfin prête, le désir d’harmoniser le mobilier avec la cathédrale restaurée et la nouvelle sacristie suscitent la commande à Viollet-le-Duc de dessins pour de nouveaux reliquaires et objets de culte. En prévision de l’Exposition universelle de 1867, la fabrique prévoit un budget pour deux grands ornements et l’achat de châsses et de reliquaires. Beaucoup d’objets liturgiques sont renouvelés entre 1866 et 1869 dans un style médiéval : ostensoirs, baisers de paix, vases pour les saintes huiles, reliures, canons d’autel, croix de procession, lutrin… L’exécution est partagée entre les orfèvres Placide Poussielgue-Rusand (1824-1889) et Jean Alexandre Chertier (1825-1890). Les objets dont le décor imite les émaux de Limoges sont plutôt confiés à Chertier, telle l’étonnante colombe inspirée de l’aigle de l’abbé Suger, tandis que les objets les plus monumentaux reviennent à Poussielgue. On peut citer le chandelier pascal, haut de 2,50 mètres, formé de trois panneaux ajourés exécutés chacun d’une seule pièce, ou le spectaculaire lutrin, qui témoigne par son dynamisme de l’étonnante créativité de Viollet-le-Duc.

Depuis, le trésor n’a cessé de s’enrichir par des dons ou des commandes de créations contemporaines. Remis en scène par Nathalie Crinière pour sa réouverture, il garde le souvenir de ces grandes heures de Notre-Dame.

Placide Poussielgue-Rusand,d’après Eugène EmmanuelViollet-le-Duc, grand lutrin, 1868-69. Bronze patiné, fer doré, H. 279 ; L. 93,5 cm. Paris, Trésor de Notre-Dame.

Placide Poussielgue-Rusand,d’après Eugène EmmanuelViollet-le-Duc, grand lutrin, 1868-69. Bronze patiné, fer doré, H. 279 ; L. 93,5 cm. Paris, Trésor de Notre-Dame. © akg-images / Godong – P. Deliss

Notes

1 AN, AF IV 1048, 24 février 1811.

2 AN, F19 7803. Plan de Lusson conservé.

3 Moniteur universel, 25 juillet 1837.

4 AN, F19 7799 et 7806. Devis de 28 919,17 francs.

5 Les pentures, détaillées dans les planches de l’Encyclopédie d’architecture de 1854, peuvent être attribuées à Pierre François Boulanger (1813-1891).

6 D’août 1854 à 1861, il sera associé à Octave Samuel François Mirgon (Paris, 1809-1902), qui poursuivra seul ensuite.

7 Outre le catalogue de l’exposition, vous pourrez à ce sujet lire le numéro des Dossiers de l’Art publié à cette occasion (il s’agit du n° 312, « Le trésor de Notre-Dame »).