Sécurité, finances, acquisitions : que reproche la Cour des comptes au musée du Louvre ?

La cour des Comptes a rendu le 6 novembre son rapport sur la gestion et les flux financiers du musée du Louvre, accompagnant ses constats de nombreuses recommandations. © Mistervlad - stock.adobe.com
Moins de trois semaines après le spectaculaire vol des bijoux de la galerie d’Apollon, la Cour des comptes a remis son rapport concernant la gestion et les flux financiers de l’Établissement public du musée du Louvre entre 2018 et 2024. Acquisitions, investissements dans l’entretien ou la sécurité, projet Louvre Nouvelle Renaissance : quelles sont les conclusions et préconisations de ce rapport pour améliorer la situation financière du plus grand musée de France ?
« Un retard persistant dans le déploiement d’équipements de sûreté pour la protection des œuvres »
C’est le sujet brûlant : le rapport pointe un sous-investissement majeur dans les équipements de sûreté, notamment en matière de caméras de vidéosurveillance, au cœur des débats après le vol commis dans la galerie d’Apollon. Selon le rapport, l’augmentation du nombre de caméras s’est concentrée sur le hall Napoléon et les espaces d’exposition temporaire, alors que seules 60 % des salles de l’aile Sully et 75 % des salles de l’aile Richelieu en disposent. Un audit avait pourtant sonné l’alarme sur cette question dès 2017. Presque neuf ans plus tard, le musée « n’a pas été en mesure de dépasser le stade des études techniques » et annonce le début des travaux relatifs à la sécurité pour le premier semestre 2026, au mieux, ce chantier étant prévu pour s’achever en 2032.
« Au cours de la période sous revue, le musée du Louvre n’est pas parvenu à rattraper son retard dans le déploiement d’équipements destinés à assurer la protection des œuvres. Du fait du report persistant du schéma directeur de modernisation des équipements de sûreté, l’équipement en caméras n’est réalisé pour l’essentiel que dans le cadre des chantiers de réaménagement des salles. »

Dans l’aile Richelieu, où se trouve la cour Marly, 75 % des salles ne sont pas équipées de caméras de vidéosurveillance. © Photogolfer – stock.adobe.com
Vol des bijoux de la galerie d’Apollon : le point sur l’enquête
L’enquête sur le vol commis dimanche 19 octobre dans la galerie d’Apollon a permis d’interpeller sept personnes, dont trois ont été remises en liberté, et d’en mettre quatre en examen. Un homme de 37 ans a été mis en examen pour « vol en bande organisée », deux hommes de 34 et 39 ans pour « vol en bande organisée » et « association de malfaiteurs en vue de commettre un crime », et une femme de 38 ans pour « complicité de vol en bande organisée » et « association de malfaiteurs ». Une autre personne au moins est toujours recherchée. Laure Beccuau, procureure de Paris, a par ailleurs précisé sur France Info qu’« en l’état du dossier », les éléments ne permettent pas d’affirmer « l’existence d’une complicité » au sein du musée. Les bijoux, eux, demeurent introuvables.

Alexandre Gabriel Lemonnier, diadème de l’impératrice Eugénie, Paris, 1853. 212 perles, 2 990 diamants dont 1 998 brillants et 992 roses, argent doublé d’or, H. 7 ; L. 19 ; P. 18,5 cm. Paris, département des Objets d'art du Moyen Age, de la Renaissance et des temps modernes du musée du Louvre, volé le 19 octobre 2025. Photo service de presse. © RMN (musée du Louvre) – S. Maréchalle
« La nécessité de passer d’une fréquentation subie à une fréquentation maîtrisée »
Le constat était connu : la fréquentation du musée dépasse les capacités d’accueil prévues à l’inauguration de la pyramide, en 1989. Dimensionnés pour 4 à 5 millions de visiteurs par an, les équipements d’accueil du public en voient aujourd’hui passer 9, non sans conséquences sur le confort de visite, les conditions de travail des salariés du Louvre et la conservation des œuvres. Remarquant que l’élévation du prix d’entrée n’est pas dissuasive, la Cour des comptes préconise une étude approfondie des publics, voire la révision de la jauge de 30 000 visiteurs par jour, qui ne se justifie, selon elle, que dans l’aile Denon, la plus fréquentée.
« Le musée doit en premier lieu améliorer sa connaissance des visiteurs accueillis qui reste parcellaire tant sur le plan qualitatif que quantitatif, en fiabilisant les chiffres de fréquentation, en menant des études socio-démographiques, ainsi que des analyses sur les flux à l’intérieur du musée. »

9 millions de visiteurs franchissent chaque année le seuil de la pyramide, se pressant devant les principaux chefs-d’œuvre du musée, telle La Liberté guidant le peuple d’Eugène Delacroix, accrochée comme La Joconde dans l'aile Denon, la plus fréquentée. © Emanuel – stock.adobe.com
« Un budget d’acquisition qui doit être redimensionné »
Entre 2018 et 2024, 2 754 œuvres ont été acquises par le Louvre, « dont moins d’une sur quatre sont exposées ». 145,2 millions d’euros y ont été consacrés, des « moyens financiers considérables » qui se sont accrus en même temps que les recettes de billetterie, 20 % de celles-ci étant statutairement fléchées vers les acquisitions. Revers de la médaille : le musée est connu sur le marché comme étant solvable, ce qui pousserait les prix à la hausse. Le rapport propose de supprimer la règle affectant 20 % des recettes de billetterie aux acquisitions et d’empêcher la mobilisation d’autres fonds, dont la licence de la marque Louvre Abu Dhabi, pour que ceux-ci soient utilisés autrement.
« L’affectation de ces ressources propres aux acquisitions vient en concurrence avec les besoins de financements de l’établissement dans d’autres domaines, en particulier pour la rénovation du patrimoine immobilier. »

La Vierge à l’Enfant, dite Vierge de La Carte, de Michel Colombe (vers 1430-1512) a été acquise en 2022 par préemption pour 4,7 millions d’euros (frais inclus). Photo service de presse. © GrandPalaisRmn (musée du Louvre) / Abdou Diouri
« Un sous-investissement dans les travaux d’entretien et de mise aux normes »
Le vieillissement des équipements et le manque de travaux d’entretien est souligné par les rapporteurs. Ils ont pris acte de la création de nouvelles réserves externalisées à Liévin, de la réaffectation partielle des espaces ainsi libérés et de la rénovation des espaces muséographiques et d’exposition – qu’ils jugent d’ailleurs coûteuse –, mais estiment que « les travaux de mise aux normes technique et de restauration du palais ont pris un retard important malgré la multiplication des avaries ».
« Faute d’un provisionnement adéquat des dépenses de gros entretien, les installations techniques, héritées du Grand Louvre ou parfois plus anciennes, sont arrivées en fin de vie et nécessitent désormais une remise à niveau urgente. Il en est de même pour les campagnes de restauration sur le clos et le couvert des bâtiments, qui ont pris un retard important. »

Le projet « Pyramide » a permis, avec le réaménagement des espaces d’accueil, d’améliorer l'accueil des visiteurs et les conditions de travail des salariés du musée, mais n’a pas réglé le problème structurel : ces espaces ont été conçus pour accueillir 4 à 5 millions de visiteurs par an, et non 9 à 10 comme aujourd’hui. © Fiore26 – stock.adobe.com
« Un défaut de hiérarchisation de ses nombreux projets »
Le rapport évoque en outre le projet phare du musée, porté par le président de la République et la présidente-directrice du Louvre, Laurence des Cars : Louvre Nouvelle Renaissance, qui comprend deux volets. L’un, « Louvre demain », entend résoudre les problèmes d’obsolescence des infrastructures techniques et leur inadaptation au changement climatique ; l’autre, « Louvre Nouvelle Colonnade », prévoit une nouvelle entrée et de nouvelles salles destinées à l’accueil des publics, aux expositions et à La Joconde. Problème : « Son coût total, d’un montant estimé à plus de 1,15 Md€, n’est pas financé à ce stade », selon les rapporteurs, qui soulignent par ailleurs que ce second volet « n’a pas fait l’objet, dans sa conception, d’études préalables approfondies par le musée ». Pour la Cour des comptes, il s’agit d’une illustration parmi d’autres d’un défaut de hiérarchisation des projets que le musée se doit de corriger.
« Le musée doit dès lors se mettre en situation de circonscrire davantage ses projets prioritaires, d’y affecter les ressources propres dont il dispose, et s’engager résolument, pour le reste, dans une démarche de maîtrise de ses dépenses. »

Le projet Louvre Nouvelle Renaissance prévoit la création de nouveaux espaces d'exposition pour la Joconde, plébiscitée par la plupart des visiteurs du musée. © Gioia – stock.adobe.com
« Il ne faut pas opposer les travaux aux acquisitions des œuvres » : le musée du Louvre répond aux critiques
Vendredi 7 novembre, Laurence des Cars, qui s’exprimait pour la première fois dans les médias depuis le vol du 19 octobre, a réagi aux critiques sur France Info. Elle estime que la Cour des comptes « a tort d’être aussi sévère » et défend l’idée selon laquelle « le Louvre est un tout dans lequel il ne faut pas opposer les travaux aux acquisitions des œuvres ». Le conseil d’administration du musée, qui s’est réuni le même jour, a annoncé des mesures d’urgence, parmi lesquelles la création immédiate d’un poste de « coordonnateur sûreté », le déploiement dans les prochaines semaines d’équipements de mise à distance sur les espaces publics sensibles aux abords immédiats du Louvre et le lancement sans délai de différents audits relatifs à la sûreté. « Le projet Louvre Nouvelle Renaissance annoncé par le président de la République en janvier 2025 est une occasion unique pour le Louvre de faire face aux nombreux défis auxquels il est confronté afin d’entrer véritablement dans le XXIe siècle », affirme le musée dans un communiqué.

Laurence des Cars, présidente-directrice du Louvre, a souligné le manque de protection par vidéosurveillance des abords du musée, notamment à proximité des fenêtres de la galerie d’Apollon, côté Seine. © Carlito – stock.adobe.com





