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Ultime vestige des Tuileries impériales, l’arc de triomphe du Carrousel prépare sa renaissance

Vue de la face est l'arc de triomphe du Carrousel.

Vue de la face est l'arc de triomphe du Carrousel. © musée du Louvre – Olivier Ouadah

Depuis le mois de novembre 2022, un imposant échafaudage entoure l’arc de triomphe du Carrousel. Le grand chantier de restauration en cours, en partie financé par la campagne « Tous mécènes ! », devrait redonner toute sa magnificence à cet insigne monument élevé par Napoléon en l’honneur de la Grande Armée.

Des chevaux et un char s’élèvent dans le ciel parisien… La restauration de l’arc de triomphe du Carrousel a commencé de manière spectaculaire au début du mois de mars 2023 par la dépose du quadrige. Préparé de longue date, ce chantier complexe est placé sous la maîtrise d’œuvre de l’agence de l’architecte en chef des Monuments historiques Michel Goutal. Le coût des travaux, évalué à 8,3 millions d’euros, a été financé en partie par la campagne « Tous mécènes ! » lancée en 2018 par le musée du Louvre qui a réuni 4 500 donateurs.

« La restauration doit rendre tout son éclat à ce chef-d’œuvre d’architecture et de sculpture qui constitue l’un des plus importants ensembles sculptés réalisés sous le Premier Empire […] »

Un chef-d’œuvre du Premier Empire en péril

La restauration doit rendre tout son éclat à ce chef-d’œuvre d’architecture et de sculpture qui constitue l’un des plus importants ensembles sculptés réalisés sous le Premier Empire, selon Stéphanie Deschamps-Tan, conservatrice au département des Sculptures du musée du Louvre. L’arc se trouve en effet dans un état extrêmement inquiétant. Les multiples matériaux qui le composent (marbres de différentes couleurs, bronze, plomb, dorure…) se sont détériorés au fil du temps. Les plaques de marbre griotte de la frise menacent de se détacher. Les blocs de pierre et les sculptures de marbre ont subi une forte érosion due aux intempéries et à la pollution. Ce phénomène a encore été aggravé par l’oxydation des agrafes métalliques qui a fait éclater les pierres et même les bas-reliefs de marbre qu’elles maintenaient. Les travaux vont donc porter à la fois sur la structure du monument et sur son décor sculpté. Les opérations majeures de consolidation et de reprise d’étanchéité de la maçonnerie, ainsi que de renforcement des ferronneries, permettront de garantir la stabilité du monument. Elles s’achèveront par un méticuleux nettoyage des parements et des ornements de l’arc, et surtout par la pose des copies des célèbres Grognards et le retour du quadrige entièrement restauré.

Le quadrige de la Paix.

Le quadrige de la Paix. © musée du Louvre – Olivier Ouadah

Sculpter des copies des « Grognards »

Ces statues colossales de 2,40 mètres de haut érigées à l’aplomb des colonnes représentent huit corps de la Grande Armée choisis par Napoléon pour figurer sur l’arc : cuirassier, dragon, chasseur à cheval et grenadier à cheval sur la façade est, grenadier d’infanterie, carabinier, canonnier et sapeur sur la façade ouest. Fortement érodées, elles ont perdu tous les détails de leurs visages et de leurs costumes. Leur extrême fragilité oblige à les consolider sur place pendant quatre mois avant d’entreprendre en juillet prochain une périlleuse intervention de manutention pour les détacher de l’arc et les descendre à l’aide de grues dans des caisses spécialement conçues. Les statues seront ensuite transportées à Liévin pour être mises à l’abri dans les réserves du Centre de conservation du musée du Louvre. Elles seront remplacées sur le monument par des copies, réalisées à partir de deux séries de moulages effectuées lors des précédentes campagnes de restauration de l’arc, en 1889 et dans les années 1930, qui apportent un précieux témoignage de leur apparence originelle aujourd’hui perdue. Ces plâtres ont eux-mêmes été restaurés avant d’être numérisés pour fabriquer des équivalents en mousse destinés à servir de modèles aux sculpteurs. Car, depuis le mois dernier, les nouvelles statues commencent à être taillées dans des blocs de marbre de Carrare, à l’intérieur des ateliers spécialement aménagés au pied de l’arc de triomphe. Des fenêtres percées dans les hautes palissades du chantier permettent aux visiteurs du Louvre comme aux promeneurs des Tuileries d’observer le travail des sculpteurs qui devrait se terminer en mars 2024.

Les « Grognards » originels, très abîmés, seront à terme remplacés par des copies.

Les « Grognards » originels, très abîmés, seront à terme remplacés par des copies. © musée du Louvre – Olivier Ouadah

Une construction à la gloire de la Grande Armée

À son retour de la campagne d’Allemagne marquée par la victoire d’Austerlitz en 1805, Napoléon Ier décide de faire construire un arc de triomphe à la gloire de la Grande Armée. Il en confie la réalisation à ses deux architectes attitrés, Pierre Fontaine et Charles Percier, qui s’inspirent des arcs antiques de Septime Sévère et de Constantin à Rome. Dominique-Vivant Denon, directeur du musée du Louvre (nommé alors « musée Napoléon ») se voit chargé de la conception du décor sculpté. Il décide d’un programme composé de scènes historiques et d’allégories mythologiques, et fait appel au peintre Charles Meynier pour la réalisation de dessins préparatoires qui sont transmis comme modèles aux sculpteurs. Cette organisation efficace permet une grande rapidité d’exécution. Alors que les travaux commencent en avril 1806, le gros œuvre est achevé l’année suivante, et l’arc est inauguré le 15 août 1808. Les dernières sculptures sont posées au tout début de l’année 1809. Le monument, avec ces trois arcades rythmées par les imposantes colonnes de marbre rose, devient l’entrée triomphale de la cour du palais des Tuileries où réside l’empereur. Il tire son nom de son emplacement au cœur de ce lieu qui garde la mémoire du Grand Carrousel, spectacle équestre donné par Louis XIV en 1662. La préciosité des matériaux (marbre blanc de Carrare, marbre blanc veiné, marbre rose du Languedoc, marbre griotte,…) et la qualité des sculptures l’ont souvent fait comparer à un véritable objet d’art. 

Joseph Louis Hippolyte Bellangé (1800-1866), Adrien Dauzats (1804-1868), Un jour de revue sous l'Empire (1810). Au fond, l'arc de triomphe du Carrousel et les Tuileries, 1862. Huile sur toile, 101 x 161 cm. Paris, musée du Louvre.

Joseph Louis Hippolyte Bellangé (1800-1866), Adrien Dauzats (1804-1868), Un jour de revue sous l'Empire (1810). Au fond, l'arc de triomphe du Carrousel et les Tuileries, 1862. Huile sur toile, 101 x 161 cm. Paris, musée du Louvre. © RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Franck Raux

Restaurer le quadrige de la Paix

Le même dispositif permet également de suivre la restauration en cours du quadrige. Les sculptures en bronze de la Paix, des chevaux et du char, qui présentent de larges fissures, sont traitées dans un atelier spécifique à l’ombre de l’arc de triomphe. Les œuvres sont encore partiellement remplies de sable de fonderie, ce qui provoque une altération des parois. Elles doivent donc être soigneusement nettoyées et consolidées. Le quadrige sera même équipé d’un système de paratonnerre. Quant aux allégories en plomb doré de la Paix et de la Victoire, elles sont restaurées à la fonderie de Coubertin en raison des précautions qui s’imposent pour travailler ce matériau toxique. La reprise des dorures leur rendra ensuite tout leur éclat. À la fin du chantier, prévue pour le début de l’été 2024, ce sera donc un arc de triomphe à la polychromie retrouvée qui sera dévoilé de manière très symbolique à la veille des Jeux olympiques. 

Dépose d'un cheval du quadrige en mars 2023.

Dépose d'un cheval du quadrige en mars 2023. © Thierry Malty pour la Fondation de Coubertin

Une histoire mouvementée

Le décor sculpté de l’arc de triomphe a connu bien des vicissitudes, et ce, dès le Premier Empire. La première concerna la monumentale statue en plomb de Napoléon Ier réalisée par François Frédéric Lemot qui devait prendre place dans le quadrige. À peine installée au sommet de l’arc, elle fut déposée car elle déplut à l’Empereur. Le char demeura donc vide. À la chute de l’Empire, le monument fut dépouillé de ses éléments majeurs. Les quatre chevaux qui provenaient de la basilique Saint-Marc de Venise où ils avaient été saisis par les troupes révolutionnaires en 1797 furent restitués. On enleva également les bas-reliefs célébrant les victoires napoléoniennes. Et la destruction de l’arc fut même envisagée. Louis XVIII décida alors de faire du monument un symbole de la gloire de la dynastie des Bourbons rétablie sur le trône. Il commanda six nouveaux bas-reliefs célébrant la récente campagne d’Espagne qui avait permis la restauration du roi Ferdinand VII. Et chargea François Joseph Bosio de réaliser un nouveau quadrige conduit par l’allégorie de la Restauration tenant un sceptre orné à l’origine du portrait de Louis XVIII. Cette statue fut renommée allégorie de la Paix de manière plus consensuelle sous la monarchie de Juillet. La politique de réconciliation nationale entreprise par Louis-Philippe le conduisit à faire remplacer les bas-reliefs de la campagne d’Espagne par les bas-reliefs napoléoniens originaux. Sous le Second Empire, l’arc de triomphe reprit toute sa symbolique napoléonienne. Hector Lefuel, architecte de Napoléon III, le fit même illuminer en installant des becs de gaz tout le long de la corniche. Mais l’incendie des Tuileries lui fit perdre à la fois sa fonction de porte triomphale du palais et son sens politique. Il reste néanmoins aujourd’hui le premier jalon de la grande perspective conçue par André Le Nôtre à travers le jardin des Tuileries qui se prolonge par les Champs-Élysées et structure l’ouest de Paris. Il est ainsi relié visuellement à son grand frère, l’Arc de Triomphe de la place de l’Étoile, et à sa version contemporaine, la Grande Arche de la Défense.

Le quadrige de la Paix avant sa dépose en mars 2023.

Le quadrige de la Paix avant sa dépose en mars 2023. © musée du Louvre – Olivier Ouadah