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Un objet à la loupe : de merveilleux outils néandertaliens

Racloir en cristal de roche (détail). Dim. : 6,0 x 3,3 x 1,5 cm. Abri des Merveilles, Sergeac, Dordogne. Fouilles MacCurdy, 1929. MAN 76 595 – 1.

Racloir en cristal de roche (détail). Dim. : 6,0 x 3,3 x 1,5 cm. Abri des Merveilles, Sergeac, Dordogne. Fouilles MacCurdy, 1929. MAN 76 595 – 1. © MAN, Loïc Hamon

Dans les années 1920, un préhistorien américain, MacCurdy, découvre dans les niveaux moustériens de l’abri des Merveilles, en Dordogne, de beaux outils néandertaliens. De quoi révolutionner l’image que l’on se fait à l’époque de l’homme de Néandertal !

L’abri des Merveilles, à Sergeac en Dordogne, se trouve sur la rive gauche de la Vézère, dans le vallon dit de Castel-Merle ou des Roches, qui compte une dizaine de gisements, occupés du Paléolithique moyen (vers – 80 000 ans) à la fin du Paléolithique récent (vers – 10 000 ans).

La grotte aux beignets

Bien qu’orienté au nord, l’abri, large de 17 m et profond de 8,5 m, offrait un lieu favorable à l’occupation humaine, dans un environnement riche et varié. Au XIXe siècle, il est fréquenté par les jeunes de Sergeac, qui y apportent des boissons et des beignets, que l’on appelle des « merveilles »… d’où son nom. Le fait qu’il ait été habité au Paléolithique est constaté dès 1875 par Alain Reverdit, dont le métier dans l’administration des tabacs l’amène à parcourir la région et à prospecter. Cette révélation séduit malheureusement quelques collectionneurs. Vers 1895, Émile Rivière, pionnier de la préhistoire, y réalise des fouilles, très limitées et insuffisamment publiées.

Des fouilles américaines très soignées

Après la Première Guerre mondiale, l’abri des Merveilles attire l’attention de chercheurs américains, qui souhaitent étudier la Préhistoire européenne. La Société archéologique de Washington loue alors le gisement, avec l’autorisation du ministère de l’Instruction publique. L’abri est fouillé par l’École américaine de recherche préhistorique, sous la conduite de son directeur, George Grant MacCurdy, de 1924 à 1930. Les travaux sont particulièrement soignés, comme en témoignent le plan et la coupe figurés dans l’article récapitulatif publié en 1931. Trois niveaux archéologiques sont identifiés : une couche aurignacienne (Paléolithique récent) – en réalité gravettienne – et deux couches moustériennes (Paléolithique moyen). La plus ancienne est attribuée au Moustérien typique et la plus récente au Moustérien de tradition acheuléenne, qui contient des bifaces semblables à ceux de l’Acheuléen (Paléolithique ancien), mais qui correspond paradoxalement à la fin du Paléolithique moyen.

Racloir en cristal de roche. Dim. : 6,0 x 3,3 x 1,5 cm. Abri des Merveilles, Sergeac, Dordogne. Fouilles MacCurdy, 1929. MAN 76 595 – 1.

Racloir en cristal de roche. Dim. : 6,0 x 3,3 x 1,5 cm. Abri des Merveilles, Sergeac, Dordogne. Fouilles MacCurdy, 1929. MAN 76 595 – 1. © MAN, Loïc Hamon

Des outils en cristal de roche étonnants

Entre 1924 et 1929, sept outils en cristal de roche sont mis au jour dans le niveau moustérien inférieur, c’est-à-dire le Moustérien typique. Il s’agit de cinq racloirs, dont un grand racloir transversal, d’une pointe grossière et d’une pièce encochée. Certains sont façonnés dans un cristal d’une grande pureté, alors que d’autres sont plus jaunes ou plus mauves, tirant sur la topaze ou l’améthyste. MacCurdy les décrit abondamment et en publie même une photographie. Surpris par cette matière première peu commune, il s’interroge sur sa provenance. Deux outils laissent entrevoir la forme des galets dont ils sont tirés ; deux autres présentent des traces d’érosion dues à l’eau. Il en déduit que le cristal de roche a été apporté par la Vézère, depuis les régions volcaniques du Massif central. Les Néandertaliens n’ont eu qu’à les ramasser dans le lit de la rivière. La découverte d’éclats de cristal dans le même niveau lui indique que les outils ont été taillés sur place.

Photographie des sept outils (cinq racloirs, une pointe grossière, une pièce encochée) en cristal de roche découverts lors des fouilles MacCurdy à l’abri des Merveilles, Dordogne. MacCurdy, 1931, Bibliothèque MAN.

Photographie des sept outils (cinq racloirs, une pointe grossière, une pièce encochée) en cristal de roche découverts lors des fouilles MacCurdy à l’abri des Merveilles, Dordogne. MacCurdy, 1931, Bibliothèque MAN.

Un sens de la beauté chez les Néandertaliens

La qualité esthétique des outils de cristal de roche, brillants et transparents, n’échappe pas à la sagacité de MacCurdy. Il en tire des conclusions très novatrices sur les Néandertaliens qui les ont fabriqués : ces derniers n’étaient pas dépourvus de sens artistique et doivent être reconnus pour la beauté des matières premières qu’ils utilisaient dans leur industrie. De quoi « réhabiliter » les Néandertaliens, encore considérés à l’époque comme des brutes épaisses !
Après MacCurdy, de nombreux préhistoriens mettent au jour dans des sites moustériens de beaux outils néandertaliens, taillés dans du cristal ou du jaspe, coloré et chatoyant. Il est toujours difficile, à partir de faits matériels, de mettre en évidence des actes totalement immatériels. Mais le constat des choix esthétiques opérés par l’homme de Néandertal a bouleversé notre approche de ses capacités symboliques. Nous savons depuis peu qu’il lui arrivait aussi de graver des motifs géométriques sur des objets ou les parois des grottes…

Pour aller plus loin
SCHWAB C., 2021, « De l’outillage esthétique à l’archéologie cognitive », dans Des choses, DELLEY G. (dir.), catalogue de l’exposition temporaire au Laténium, 28 mai 2021 – 9 janvier 2022, Neuchâtel, Éditions du Laténium, p. 42-53.