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Un objet à la loupe : le vase au coq, enquête sur un faux chef‑d’œuvre gaulois

Vase en bronze au coq, XIXe siècle. Saint-Germain-en-Laye, musée d'Archéologie nationale.

Vase en bronze au coq, XIXe siècle. Saint-Germain-en-Laye, musée d'Archéologie nationale. © MAN, Valorie Gô

« Ceci ne peut venir que d’un roi ! », se serait exclamé Napoléon III, émerveillé par cette découverte issue d’une supposée tombe de chef gaulois, la première qui lui était présentée. Orné d’un majestueux coq, le vase de Bussy-le-Château s’impose pendant un siècle comme une icône de « l’art gaulois »… jusqu’à ce que l’on découvre enfin la vérité.

Dès l’ouverture au public en 1867, le vase au coq de Bussy-le-Château (Marne) s’impose comme une pièce maîtresse des prestigieuses collections du musée des Antiquités nationales de Saint-Germain-en-Laye.

Trop beau pour être vrai

Mais vers la fin du XXe siècle, on commence à se dire que quelque chose ne va pas. Non seulement le vase au coq n’a aucune espèce d’utilité pratique, mais surtout il ne ressemble à rien. Ou plutôt, il amalgame des choses impossibles pour un vase gaulois. Les anses, avec leurs attaches en forme de croix, sont bien connues, mais sur de petits chaudrons plus anciens d’environ 500 ans par rapport à l’époque des tombes à char gauloises. Puis les éléments du vase sont assemblés par des brasures à l’étain, une technique moderne, inconnue des Gaulois. Enfin, la patine de l’objet, avec ses grandes dégoulinures vertes, n’est pas naturelle : elle a été réalisée à l’acide. Bref, le prétendu « vase en airain doré » est un faux fabriqué à la fin du XIXe siècle.

Vase en bronze au coq, XIXe siècle. Saint-Germain-en-Laye, musée d'Archéologie nationale.

Vase en bronze au coq, XIXe siècle. Saint-Germain-en-Laye, musée d'Archéologie nationale. © MAN, Valorie Gô

À qui profite le crime ?

Nous ignorons l’identité du faussaire inventeur de ce montage, mais nous savons qui l’a présenté à Napoléon III. C’est un ancien commis boucher, gérant la ferme expérimentale du Piémont à Bussy-le-Château pour le compte de l’administration impériale du camp militaire de Châlons – aujourd’hui camp de Mourmelon. Le « chef de culture » Bénoni Le Laurain (1829-1869) a compris que l’empereur s’intéresse aux antiquités trouvées dans les tombes gauloises en cours de découverte dans les campagnes environnantes. Il a surtout saisi que cela constitue un formidable moyen de se distinguer aux yeux du souverain et d’obtenir ainsi de grands avantages. En moins de quatre mois, Le Laurain fait ouvrir une centaine de tombes gauloises dans les terrains de la ferme, parmi lesquelles au moins cinq tombes à char, dont proviendrait le « vase en airain doré », qu’il remet à l’empereur le 25 février 1866. Le Laurain sait se rendre indispensable. Il obtient le privilège de centraliser tous les objets archéologiques découverts à l’occasion de travaux réalisés par l’État dans la région. Bientôt, il se présente comme le représentant officiel du monarque pour l’archéologie et s’attribue le titre ronflant « d’explorateur-archéologue de la Champagne ».

Un parasite de l’archéologie

Mais Le Laurain est jaloux de ses prérogatives. Quinze jours à peine après la présentation du vase au coq à l’empereur, une nouvelle tombe à char gauloise est découverte par un fouilleur d’un village voisin. Il fait alors publier un contre-article dans la presse pour rappeler qu’il est le véritable découvreur de l’archéologie gauloise en Champagne. Et les plaintes commencent bientôt à s’accumuler. Non seulement il délaisse le travail de la ferme, mais on l’accuse aussi d’être impliqué dans des trafics d’objets. Une paire de boucles d’oreilles en or, trouvée par un fouilleur concurrent dans une tombe gauloise, disparaît ainsi bizarrement entre ses mains, après qu’il avait proposé de la transmettre en personne à l’empereur… Une mission du directeur du musée de Saint-Germain est envoyée sur place. Alexandre Bertrand est effaré devant le prétendu « musée » constitué par Le Laurain. C’est un mélange d’objets d’époques différentes, « placés confusément dans des paniers ou sur des planches couvertes de poussière, sans aucune étiquette ou indication de provenance ». Sûr de lui, Le Laurain prétend qu’il a tout gardé en tête. Mais des objets manquent : on sait qu’ils ont été revendus à des collectionneurs. Cette fois, c’en est trop : Le Laurain est licencié. Il retourne à son village, où il mourra bientôt, sans rien laisser à sa femme ni à ses enfants.

L’héritage d’un profiteur

L’histoire ne s’arrête pas là. À la mort de Le Laurain, sa veuve appelle le musée au secours : elle est sans ressources, avec des enfants en bas âge à charge. Monsieur Bertrand ne pourrait-il pas faire un geste et acheter la collection archéologique de son défunt mari ? Ce n’est qu’un amas d’objets orphelins dépourvus de provenances, mais on ne peut tout de même pas abandonner ces pièces qui viennent de sites importants. Alors l’État achète la collection Le Laurain – même si les objets ont été découverts par un ancien agent de l’État en fonction et, pour beaucoup, sur des terrains appartenant à l’État ! Mais on tourne enfin la page des fouilles de Bénoni Le Laurain. Son « vase en airain doré », en revanche, est toujours là, avec ce qui reste du mobilier des sites qu’il a massacrés – pour assouvir son immense soif de reconnaissance.