Un objet à la loupe : les dés dans les collections du musée d’Archéologie nationale

Ensemble d’osselets et de dés en os, bronze et ambre. Provenances diverses. © MAN, Valorie Gô
Le mot latin alea se caractérise par une double signification : le dé, comme jeu, et le sort, avec une éventualité heureuse ou malheureuse. Ainsi, la célèbre expression alea jacta est, ou « le sort en est jeté », est associée à Jules César et à l’épisode où il franchit le Rubicon avec une armée, en 49 avant notre ère, précipitant la fin de la République romaine. Cette polysémie témoigne de la place singulière de ce mot, et de cet objet, dans la société romaine.
La collection du musée d’Archéologie nationale est représentative de la variété des matériaux utilisés dans la fabrication des dés.
Un objet de série
Si l’os est le plus fréquent, l’ivoire, le bronze, l’ambre, le cristal de roche et la terre cuite ont également été façonnés pour créer ces petits cubes. Quand ils sont en os, leur taille, généralement comprise entre 0,5 et 2 cm, est tributaire de celle du fût sélectionné. Les os longs, le plus souvent des métapodes de bœuf, constituent une matière première abondante, permettant une production en série et donc bon marché. Pour réaliser ces objets, l’artisan devait isoler la partie centrale d’une diaphyse animale et scier le fût dans le sens longitudinal. La baguette de section triangulaire ainsi obtenue pouvait alors être taillée pour de nombreux usages. Les dés à jouer étaient fabriqués dans des ateliers de tabletterie, à l’image de celui mis au jour à Reims (Marne), où de nombreux vestiges liés à la toilette, à l’ameublement ainsi qu’au travail du textile ont aussi été retrouvés.
Dés cubiques et dés parallélépipédiques
Les numéros reportés sur les six faces prennent la forme d’ocelles, un double cercle gravé à l’aide d’un fin touret métallique. Pour accroître sa visibilité, cette gravure était comblée par un mélange de cire et de charbon. L’organisation des chiffres reprend systématiquement le même modèle, dénommé type Sevens à la suite de l’étude de J. W. Eerkens et d’A. de Voogt, où la somme des faces opposées doit toujours être égale à sept. L’un des dés de la collection du musée présente la particularité d’avoir ses arêtes biseautées, une pratique destinée à faciliter le roulement et donc un tirage plus aléatoire…
Cette collection comprend également deux dés parallélépipédiques en os. Pour une raison inconnue, seuls les chiffres 3 et 6 sont gravés sur les faces longitudinales de l’un d’entre eux. Si leur mode d’utilisation demeure énigmatique, il pourrait s’agir de formes apparues à l’Âge du fer et disparaissant au début de notre ère pour être remplacées par le dé cubique de tradition méditerranéenne. Enfin, l’un des exemplaires est pipé par le percement du cube afin d’introduire le métal, dans la plupart des cas du plomb. En fonction du positionnement du poids, le chiffre souhaité pouvait être obtenu plus facilement.
Du jeu…
Le dé à jouer fait vraisemblablement partie des objets ludiques ayant le moins évolué depuis leur apparition, que l’on peut situer à la fin du Ve millénaire avant notre ère. Il est précédé de peu par les osselets, dont un exemplaire en or a été exhumé dans la tombe chalcolithique de Varna, en Bulgarie. De la vallée de l’Indus à l’Égypte, les dés cubiques à numéros de 1 à 6 sont produits à partir du IIIe millénaire. On les rencontre en Égypte dans les jeux de hasard dès l’époque ptolémaïque (entre 323 et 30 avant notre ère), quand la règle du chiffre 7 est standardisée. Dans l’Empire romain, les jeux de plateaux, et en particulier ceux qui utilisent des dés, sont pratiqués dans toutes les couches sociales. Les empereurs Auguste et Claude ont la réputation d’avoir été des grands joueurs. Selon Suétone, ce dernier est même l’auteur d’un livre sur cet art (Vie de Claude, XXXIII, 5).
… à la divination
Les dés à jouer se rencontrent dans les contextes les plus divers, aussi bien dans les bâtiments publics, comme les amphithéâtres, que dans les habitats. Quelques exemplaires sont connus dans les camps légionnaires, comme celui de Vindonissa (Allemagne). L’un des dés du musée d’Archéologie nationale provient du castrum de Mongotiacum, la ville actuelle de Mayence sur le Rhin. Cette collection comprend enfin une petite série d’osselets de provenances diverses. Cet os du pied, dénommé l’astragale, a servi avant le dé dans le monde méditerranéen pour le jeu, mais également pour la divination, l’astragalomancie. Au IIe siècle, Pausanias le Périégète (vers 115-180) décrit comment des osselets permettaient de consulter des oracles dans le sanctuaire d’Héraclès à Boura en Achaïe (Description de la Grèce, VII, 25,10). Associés notamment à Apollon, les arts divinatoires occupent une place importante dans le monde méditerranéen. Les osselets ainsi que les dés font partie des moyens employés pour connaître son destin. Qu’il s’agisse de prédire l’avenir ou de jouer, la manière dont ils retomberont n’est pas l’affaire des humains mais celle des dieux, Alea…