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Un objet à la loupe : une industrie du sel d’époque celtique en Lorraine

Coupe en céramique, moule à sel en terre cuite, pic en os, anneau en roche noire et fusaïole en terre cuite. Fouille de La Digue à Marsal.

Coupe en céramique, moule à sel en terre cuite, pic en os, anneau en roche noire et fusaïole en terre cuite. Fouille de La Digue à Marsal. © MAN, Baptiste Simon

Un programme de recherches pluridisciplinaire, conduit sous l’égide du musée d’Archéologie nationale (MAN), révèle les conditions de vie des sauniers celtiques de la vallée de la Seille en Moselle. Leur production avait, en effet, atteint un stade industriel six siècles avant notre ère.

Les déchets de la vallée de l’or blanc

En Lorraine, la vallée de la Seille recèle les vestiges colossaux d’une ancienne industrie d’extraction du sel, constitués de débris de fourneaux et de moules en terre cuite. Ces déchets de production, connus sous l’appellation de Briquetage de la Seille, constituent des monticules pouvant atteindre plus de 10 m de haut, sur des extensions de plusieurs dizaines d’hectares. Accumulés entre le VIe et le Ier siècle avant notre ère, ces rejets de briquetage forment une masse totale de quelques millions de mètres cubes, disséminés sur près de 11 km de long.

Une activité hautement spécialisée

L’eau salée remontant d’un banc souterrain de sel gemme était puisée pour être conduite dans une série de bassins, où elle décantait. La concentration en sel de cette saumure était enrichie par le lavage des sédiments environnant les sources salées. Parvenu à saturation, le liquide était transporté dans des réservoirs distribués auprès des fourneaux. Dans une seconde phase de travail, la saumure était chauffée à une température d’environ 120° dans de grandes bassines en terre cuite d’une contenance d’une trentaine de litres. Des centaines de kilos de sel pouvaient être extraits à chaque « cuite », complétée par l’apport de nouvelles quantités de saumure. Les fourneaux pouvaient fonctionner ainsi en continu des semaines durant, pendant la période d’activité des ateliers, en été. À partir de la seconde moitié du VIe siècle, les sauniers conditionnaient le sel extrait des fourneaux à saumure dans des moules permettant d’obtenir des pains de formats et de poids normés. Ces produits partaient ensuite à l’exportation, alimentant un large bassin de consommation, de dimension inter-régionale. La production des ateliers de sauniers celtiques de la vallée de la Seille peut être estimée en effet à un volume de plusieurs milliers de tonnes par an.

Qui étaient les sauniers ?

Cette production, essentielle aux communautés agricoles de cette période, occupait une population de plusieurs milliers de personnes. Le sel était en effet indispensable à l’alimentation du bétail comme à la conservation des aliments. Les salines étaient aux mains d’une classe de privilégiés, qui pratiquaient une division genrée du travail : alors que les femmes contrôlaient l’enrichissement de la saumure, les hommes construisaient les fourneaux et assuraient l’extraction du sel. Ces exploitants disposaient par ailleurs d’une main-d’œuvre obligée, affectée aux tâches les moins spécialisées, comme l’alimentation des fourneaux en combustible et l’évacuation des déchets. Les « maîtresses du sel » ont cassé ou perdu leurs gros bracelets en roche dure dans les bassins tandis que les hommes ont abandonné leurs pics en bois de cerf devenus inutilisables… Des restes osseux humains appartenant à des individus de tous âges ont aussi été découverts épars dans les déchets de consommation des ateliers. Certains ont été décharnés avec des outils tranchants ou brisés à l’état frais, et la plupart ont été trouvés rognés par des animaux. Des fragments d’os longs, récupérés par les sauniers parmi les ordures domestiques, ont été transformés en outils. Ces restes de personnes privées de tous soins funéraires signalent une population dépendante, qui ne bénéficiait pas du statut d’humains véritables : il s’agissait manifestement d’une classe de travailleurs forcés, affectés aux salines.

Une production « proto‑industrielle »

Alors que la population rurale était occupée à la moisson, les sauniers étaient accaparés par leur activité saisonnière. Ils ne pouvaient donc assurer complètement leur subsistance et devaient par conséquent être approvisionnés. Une partie des animaux consommés provenait ainsi de la région des Vosges, à plus de 60 km de la vallée de la Seille, comme l’outillage de mouture des ateliers. Les sauniers formaient donc des communautés à part, fabriquant des pièces d’artisanat de luxe durant la période de repos des ateliers. Leur activité principale, qui reposait sur la production en série de produits standardisés et diffusés à grande échelle, avait dépassé de loin le stade artisanal. L’extraction du sel atteint alors un fonctionnement caractéristique des exploitations « proto- industrielles » bien avant la période romaine.

Pour aller plus loin
OLIVIER L., 2017, « De nouvelles techniques de reconstruction faciale redonnent vie aux Gauloises de Marsal », Dijon, éditions Faton, Archéologia, no 550, janvier 2017, p. 16-17.