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Visages du Grand Siècle (2/2). Hyacinthe Rigaud en majesté à Versailles

Hyacinthe Rigaud, Portrait de Martin Van den Bogaert (1637-1694), dit Desjardins (détail), 1683. Huile sur toile, 139 x 104 cm. Versailles, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon.

Hyacinthe Rigaud, Portrait de Martin Van den Bogaert (1637-1694), dit Desjardins (détail), 1683. Huile sur toile, 139 x 104 cm. Versailles, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon. © Thomas Garnier

Au fil de 150 œuvres le château de Versailles rend hommage à Hyacinthe Rigaud, qui domina l’art du portrait pendant plus d’un demi-siècle. Organisé chronologiquement, le parcours de l’exposition explore toutes les facettes de l’art du maître. Une section entière est dévolue aux portraits du roi Louis XIV, une autre aborde le processus créatif très personnel de l’artiste ou encore la diffusion de son œuvre par le biais de l’estampe. Toute la diversité de la clientèle du peintre est aussi évoquée. Le commissariat de l’exposition est assuré par Laurent Salomé, directeur du musée national des châteaux de Versailles et de Trianon, Ariane James-Sarazin, conservateur général du patrimoine, directrice adjointe du musée de l’Armée et auteur du catalogue raisonné de Hyacinthe Rigaud, et Élodie Vaysse, conservateur à Versailles.

Le portrait de Martin Desjardins par Hyacinthe Rigaud restauré pour l’exposition

Hyacinthe Rigaud fait probablement la connaissance du sculpteur Martin Desjardins peu de temps après son arrivée à Paris vers 1681. Les deux artistes vont nouer une profonde amitié malgré une différence d’âge de plus d’une vingtaine d’années. Lorsque le Catalan arrive dans la capitale pour suivre l’enseignement de l’Académie royale de peinture et de sculpture, Desjardins est au faîte de sa carrière ; il travaille à l’élaboration d’un monument à la gloire du roi qui doit être érigé au centre de la place des Victoires à Paris. Le peintre réalisera quatre portraits du sculpteur dont un posthume. Le tableau de Versailles, daté de 1683, appartient aux premières œuvres connues de Rigaud et témoigne de ses débuts dans le grand format.

Hyacinthe Rigaud, Portrait de Martin Van den Bogaert (1637-1694), dit Desjardins (détail du tableau en cours de restauration), 1683. Huile sur toile, 139 x 104 cm. Versailles, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon.

Hyacinthe Rigaud, Portrait de Martin Van den Bogaert (1637-1694), dit Desjardins (détail du tableau en cours de restauration), 1683. Huile sur toile, 139 x 104 cm. Versailles, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon. © Thomas Garnier

Le tableau

Le sculpteur pose devant le monument de la place des Victoires inachevé (il sera inauguré en 1686). Louis XIV y est représenté en pied sur un piédestal dont le socle est orné de quatre grands captifs en bronze symbolisant les nations vaincues au traité de Nimègue (1679). Vêtu d’un manteau bleu fermé par une agrafe de diamants sur un col de dentelle ouvert, Desjardins appuie la main gauche sur la tête d’un des captifs de bronze symbolisant le Saint-Empire romain germanique, tandis que de la droite il tient une feuille roulée sur laquelle on distingue une colonne.

Hyacinthe Rigaud, Portrait de Martin Van den Bogaert (1637-1694), dit Desjardins (après restauration), 1683. Huile sur toile, 139 x 104 cm. Versailles, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon.

Hyacinthe Rigaud, Portrait de Martin Van den Bogaert (1637-1694), dit Desjardins (après restauration), 1683. Huile sur toile, 139 x 104 cm. Versailles, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon. © Thomas Garnier

Une restauration fondamentale

Dans la perspective de l’exposition, le tableau a été restauré dans les ateliers du Centre de Restauration des Musées de France (C2RMF) par Marie-Ange Laudet-Kraft pour la couche picturale et Ludovic Roudet pour le support. « Il s’agit de la plus importante des restaurations effectuées sur la quinzaine d’œuvres de Versailles présentées dans l’exposition », explique Élodie Vaysse, conservateur au château de Versailles et co-commissaire de l’exposition. « Ce portrait nécessitait une intervention fondamentale : il présentait des problèmes conservatoires liés à un rentoilage ancien entraînant une mauvaise adhérence de la couche picturale, ainsi que des problèmes de présentation dûs à la présence de vernis anciens opaques et de nombreux repeints débordants qui gâchaient l’appréciation de l’œuvre. » L’intervention du C2RMF a également dévoilé des repeints relativement récents, ce qui indique que le tableau avait déjà subi une restauration fondamentale lors de son premier rentoilage. Il a également été bichonné à plusieurs reprises. La radiographie de l’œuvre a révélé que la main de Desjardins appuyée sur la tête du captif était à l’origine plus frontale et plus haute.

Détail du tableau en cours de restauration.

Détail du tableau en cours de restauration. © Thomas Garnier

Sous le vernis : repentir et lapis-lazuli

On est donc en présence d’un repentir assez important dans la composition. « Clairement, la représentation de la main avec cette tête de bronze a, dès le départ, beaucoup intéressé Rigaud car sur les trois autres portraits figurant le sculpteur, il en change la position », explique Élodie Vaysse. « Nous avons fait une autre découverte intéressante à propos du manteau qui, avant le nettoyage, était d’un bleu assez sombre. Il apparaît aujourd’hui beaucoup plus clair et très vivant et rappelle les yeux bleus du modèle. Sur une première couche assez claire de bleu ordinaire, le peintre a posé un glacis outremer transparent avec du lapis-lazuli. Ce pigment précieux est présent de manière assez importante sur le tableau. Il est étonnant que Rigaud au début de sa carrière ait eu les moyens de se le procurer. »

Détail du tableau en cours de restauration.

Détail du tableau en cours de restauration. © Thomas Garnier

Le modèle

Originaire de Bréda, aux Pays-Bas, Martin van den Bogaert, dit Desjardins (1637-1694), fait toute sa carrière à Paris où il francise son nom. Il fut recteur de l’Académie royale de peinture et de sculpture et on le compte parmi les sculpteurs de Versailles. Ses œuvres les plus célèbres sont le monument de la place des Victoires à Paris et la statue équestre de Louis XIV place Bellecour à Lyon (aucun de ces deux monuments n’a survécu à la Révolution). Rigaud dit de lui qu’il fut « son meilleur ami » et certainement l’un des plus anciens. Hyacinthe Rigaud a peint ce tableau alors qu’il était âgé de 24 ans et l’année suivante, il réalisait le portrait de son épouse Marie Cadesne en pendant. L’œuvre est rentrée dans les collections nationales après une saisie révolutionnaire, elle est arrivée à Versailles sous Louis-Philippe pour être exposée dans les galeries historiques « à toutes les gloires de la France ». De nos jours, le portrait de Desjardins est présenté dans les salles Louis XIV avec les portraits d’académiciens.

Une scénographie signée Pier Luigi Pizzi

Le grandiose décor néoclassique qu’il avait conçu sous la verrière du Grand Palais pour servir d’écrin à la Biennale des Antiquaires de 1992 demeure encore dans les mémoires. Pour célébrer l’art fastueux du maître du portrait d’apparat, le château de Versailles a fait à nouveau appel à l’architecte italien Pier Luigi Pizzi, internationalement reconnu pour ses mises en scène spectaculaires. Il a accepté de dévoiler à L’Objet d’Art son projet pour l’exposition.

Propos recueillis par Olivier Paze-Mazzi

Vous souvenez-vous de votre première rencontre avec l’œuvre de Hyacinthe Rigaud et que représente-t-il pour vous ?

J’avoue que je connaissais mal ce grand artiste. J’avais bien entendu vu ses œuvres au Louvre et le fameux portrait de Louis XIV à Versailles, mais c’était trop peu. Quand on m’a proposé cette exposition, je me suis plongé dans son travail et j’ai été stupéfait par l’ampleur de son talent.

Il s’agit de votre quatrième collaboration avec le château de Versailles. De quelle manière avez-vous cette fois abordé le sujet ?

Le risque pour cette nouvelle collaboration était justement le sujet : uniquement des portraits ! Je craignais l’effet de répétition et la monotonie, puis j’ai commencé à étudier les œuvres, une par une. J’ai été surpris et ébloui par la qualité et la variété du traitement pictural de Rigaud.

Comment avez-vous tiré parti des volumes existant des salles d’Afrique et de Crimée ?

Depuis l’exposition « Versailles et les tables royales » en 1993, qui était ma première expérience dans ces salles, suivie par « Versailles et l’antique » en 2012 et « Le Roi est mort » en 2015, je me sens parfaitement à l’aise dans ces espaces, pourtant si éloignés des sujets sur lesquels j’ai pu travailler !

Le décor architectural classique occupe une place de choix dans vos créations. Comment vient-il ici faire écho au travail de l’artiste ?

Ma formation d’architecte et ma culture classique sont bien évidemment à la base de tous mes projets. Pour cette exposition j’ai cherché à créer une véritable analogie entre l’univers de Rigaud et le mien.

Chez Rigaud, l’opulence des étoffes vient magnifier ses modèles. Quelle place le tissu occupe-t-il dans l’exposition ?

La somptuosité des costumes dans l’œuvre de Rigaud est frappante. Cela m’a beaucoup inspiré. J’ai demandé à la Maison Rubelli, basée à Venise, de réaliser à partir de mes dessins des tissus dont la richesse chromatique pouvait s’harmoniser avec celle de Rigaud et j’en ai habillé les cimaises.

Vous avez par le passé défini une exposition comme une pièce de théâtre. Comment avez-vous conçu l’apogée de cette dramaturgie, la présentation des portraits du grand roi ?

Je suis avant tout un homme de théâtre et tous ces tableaux sont pour moi des personnages qui doivent dialoguer entre eux. À chacun son rôle. Il y a quand même des étoiles, que j’ai essayé de mettre en majesté.

« Hyacinthe Rigaud ou le portrait Soleil », du 17 novembre 2020 au 14 mars 2021 au château de Versailles, Place d’Armes, 78000 Versailles. Tél. 01 30 83 78 00. www.chateauversailles.fr

Catalogue, coédition château de Versailles/éditions Faton, 2020, 440 p., 49 €. À commander sur www.faton-beauxlivres.com 
À lire également : le catalogue raisonné de l’œuvre de Hyacinthe Rigaud, en deux tomes, 2016, éditions Faton, 1 408 p., 320 €. À commander sur www.faton-beaux-livres.com
La monographie et le catalogue raisonné de l’œuvre de Hyacinthe Rigaud sont constamment actualisés sur le site d’Ariane James-Sarazin : www.hyacinthe-rigaud.fr

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Visages du Grand Siècle

2/2. Hyacinthe Rigaud en majesté à Versailles