
En salle depuis le 15 mars dernier, le documentaire que la journaliste d’investigation Laura Poitras consacre à la photographe activiste américaine Nan Goldin (née en 1953) a reçu le Lion d’or de la Mostra de Venise. Toute la beauté et le sang versé relate le travail et la vie de cette icône de la culture new-yorkaise underground des années 1970-1990 qui, à la manière d’un journal intime, place son existence au centre de son œuvre et braque son objectif sur les laissés-pour-compte de la société.
Se présentant sous la forme d’une interview, rythmée par la voix de Nan Goldin, le documentaire de Laura Poitras donne à voir toutes les facettes du travail de l’artiste. Grâce notamment à des archives personnelles, sa vie entière défile devant la caméra : son milieu familial, le traumatisme du suicide de Barbara, sa sœur adorée, son adolescence révoltée passée loin de ses parents, ses relations avec le milieu homosexuel new-yorkais et particulièrement les drag-queens, sa plongée dans la drogue, les ravages du sida sur ses amis… Des extraits de The Ballad of Sexual Dependency, sa célèbre série qui se présente sous la forme d’un diaporama accompagné d’une bande sonore, témoignent des conflits très violents existant parfois dans les rapports amoureux, à l’instar de l’autoportrait de 1984 dans lequel elle se met en scène après avoir été battue par son amant.
« Je veux montrer exactement à quoi mon monde ressemble, sans glamour, sans glorification. »
Nan Goldin
La « crise des opioïdes »
Ce film bouleversant superpose en réalité deux histoires : d’une part, un portrait de Nan Goldin, et d’autre part, son combat d’activiste engagé depuis la fin de l’année 2017 contre la famille Sackler, dont les laboratoires pharmaceutiques produisent l’oxycodone. Cette molécule dérivée de l’opium a joué un rôle de premier plan dans la « crise des opioïdes », utilisée dans la composition d’antidouleurs créant une accoutumance et ayant causé au moins 500 000 morts par overdose aux États-Unis. Après avoir elle-même survécu à l’addiction aux opiacés, l’artiste décide de mettre à profit sa célébrité (les œuvres de Nan Goldin sont présentes dans les plus grands musées à travers le monde) pour dénoncer cet immense scandale sanitaire.

« Les Sackler mentent, les gens meurent. »
On suit ainsi Nan Goldin, à la tête du collectif P.A.I.N. (Prescription Addiction Intervention Now), au cœur des actions qu’elle organise dans les principaux musées avec lesquels la firme a mené des opérations de mécénat (Metropolitan Museum of Art, Guggenheim Museum, musée du Louvre, Tate Modern…) dans le but de les forcer à refuser son argent et à effacer toute trace du nom de Sackler de leurs salles. L’un des moments les plus intenses du film montre les différents membres de cette famille contraints lors d’une visioconférence organisée par P.A.I.N. d’écouter les témoignages poignants des proches des victimes en faisant face à la caméra.

Des vices de la société américaine
Laura Poitras (née en 1964) n’en est pas à son coup d’essai dans la dénonciation des travers du système américain. En 2014, elle avait déjà relaté dans Citizenfour les révélations du lanceur d’alerte Edward Snowden, tandis qu’en 2016, Risk était consacré à Julian Assange, le fondateur de Wikileaks.
Nathalie d’Alincourt
Toute la beauté et le sang versé
En salle depuis le 15 mars 2023
Réalisation : Laura Poitras
États-Unis, 1h57