Au terme d’une intense semaine de ventes, le bilan s’annonce positif pour la maison Sotheby’s qui propulse, grâce à l’hôtel Lambert, les arts décoratifs français au sommet. Quelque 1134 lots des collections du prince Al Thani ont ainsi affronté avec succès le feu des enchères, totalisant la somme de 75,8 millions d’euros. Même si l’on regrettera que certains meubles, à l’image de l’exceptionnelle commode de Machault d’Arnouville, pourtant classée au titre des Monuments historiques, n’aient pu rejoindre les collections publiques, on se félicitera néanmoins d’une belle moisson de préemptions, à mettre notamment au crédit du château de Versailles : bénéficiant depuis 2019 des 20 millions d’euros entièrement consacrés par le legs providentiel de Madame Jeanne Heymann au retour du mobilier et des objets d’art documentés dans les murs de l’ancienne résidence royale avant 1789, la dynamique politique d’acquisition de l’établissement public a une nouvelle fois permis le rachat de plusieurs meubles insignes. Florilège en images.
Un tapis livré au Louvre en route pour le Mobilier national
Entre 1670 et 1685, une exceptionnelle commande de 93 tapis destinés à la Grande Galerie du Louvre fut passée par Louis XIV et Colbert afin de donner à voir la puissance des manufactures françaises. Elle constitue une étape majeure de l’importante campagne de remeublement du Louvre conduite par le ministre, finalement interrompue par l’installation définitive de la monarchie à Versailles. Estimé entre 150 000 et 300 000 €, ce tapis de la Savonnerie issu de cette prestigieuse commande est en réalité composé des deux extrémités assemblées du cinquantième tapis, installé le 10 juin 1678 dans la Grande Galerie ; il demeura dans les collections royales jusqu’à sa vente par le Directoire. Adjugé 453 600 € (frais inclus), il a immédiatement été préempté par le Mobilier national. Déployant une allégorie de l’Air, la section centrale manquante est aujourd’hui conservée au musée Nissim de Camondo.
Les scabellons du Grand Dauphin de retour à Versailles
Fils unique de Louis XIV, le Grand Dauphin (1661-1711) passa toute son existence à une marche du trône. Il s’en consola néanmoins en accumulant dans ses appartements les œuvres les plus rares et les objets les plus précieux. En 1684, il passe ainsi commande à André-Charles Boulle d’une série de neuf scabellons, vraisemblablement destinés à accueillir une partie de sa collection de bronzes dans le fameux cabinet des Glaces concluant ses appartements. Une paire conservée au Victoria & Albert Museum de Londres demeura longtemps le seul témoin identifié de cet ensemble, avant qu’en 2005 la présente paire ne soit rapprochée de la figure du Grand Dauphin. Estimée entre 500 000 et 1 000 000 €, elle a été préemptée à hauteur de 1 366 000 € (frais inclus) par Versailles où elle rejoindra bientôt le portrait de son illustre propriétaire dans le salon de l’Abondance. Les deux scabellons y côtoieront en outre avant la fin de l’année le célèbre bureau de pente de Louis XIV par Oppenordt acquis par le château en 2015, dont la restauration attendue de longue date est sur le point de s’achever.
Sèvres s’offre une rare faïence de Nevers
On connaît peu d’exemples de faïences de Nevers montées en bronze doré. Un vase répondant à ces caractéristiques est ainsi conservé dans les collections Rothschild à Waddesdon Manor. Estimé entre 30 000 et 50 000 €, le présent pot-pourri est le seul de ce type aujourd’hui répertorié. Il présente un remarquable « décor à la bougie », constellant son fond bleu de taches blanches irrégulières. Soumis au feu des enchères, il s’est envolé à 88 200 € (frais inclus) avant que la Manufacture de Sèvres n’exerce son droit de préemption.
Un pare-feu de Marie-Antoinette pour Versailles
Arborant la marque « MA », signalant un objet issu du garde-meuble privé de Marie-Antoinette, cet écran de cheminée délicatement sculpté par un membre de la famille Tilliard a très vraisemblablement figuré dans les Petits Appartements de la souveraine au château de Versailles. Conçu à l’aube des années 1760, il a assurément connu un premier propriétaire avant de gagner, une décennie plus tard, les intérieurs de la reine. Pourrait-il s’agir de la comtesse Du Barry, qui lors de son départ forcé de la cour à la mort de Louis XV ne put emporter la totalité des innombrables pièces, bientôt réattribuées, meublant densément ses appartements ? Estimé entre 30 000 et 50 000 €, ce pare-feu n’a pu empêcher les enchères de flamber jusqu’à culminer au double de l’estimation haute. Il a ensuite pu être préempté par Versailles pour 100 800 € (frais inclus).
Versailles emporte une table de la comtesse de Provence
Cette table en chiffonnière en bois de chêne plaqué de satiné a été sertie de deux précieuses plaques en porcelaine de Sèvres, un type de meuble popularisé à Versailles à partir des années 1770. Sa description précise dans un inventaire du palais du Petit Luxembourg daté de 1794 permet clairement d’identifier son illustre propriétaire : lorsque la famille royale quitte Versailles pour Paris, le 6 octobre 1789, c’est en effet dans ce palais que le comte et la comtesse de Provence prennent leurs quartiers et décident de faire venir leurs collections. Née Marie-Joséphine-Louise de Savoie (1753-1810), l’épouse du futur Louis XVIII occupait précédemment un vaste appartement situé au sud de l’aile du Midi, dans lequel elle avait réuni plusieurs meubles à plaques de porcelaine acquis auprès de marchands merciers parisiens. Exécutée par Weisweiller, probablement à la demande de Daguerre, cette table délicate regagne aujourd’hui le château qui n’a pas manqué de la préempter à 504 000 € (frais inclus).
Le MAD Paris se dote d’un service à thé royal
Dédiée aux arts de la table, la quatrième vacation de la vente Al Thani a permis au Musée des Arts Décoratifs (MAD Paris) de s’offrir un remarquable service à thé et café encore conservé dans son coffret arborant les armes du roi Louis-Philippe. Estimé entre 40 000 et 60 000 € et préempté à 75 600 €, il met en lumière l’art raffiné de l’orfèvre Jean-Valentin Morel (1794-1860) : installée à partir de 1842 à Paris rue Neuve Saint-Augustin, sa société Morel & Cie emploie bientôt 80 personnes afin de couvrir les plus prestigieuses tables d’Europe de ses précieuses créations. Une médaille d’or obtenue à l’Exposition universelle de 1855 couronnera sa carrière.
Olivier Paze-Mazzi