Jamais la nomination d’un ministre de la Culture n’avait éclipsé toutes les autres. Maire du VIIe arrondissement de Paris depuis 2008 et figure des Républicains, Rachida Dati, 58 ans, constitue la surprise du remaniement en succédant rue de Valois à Rima Abdul Malak. Rappelant lors de sa passation de pouvoir sa dette envers la culture française, la nouvelle ministre a affirmé son désir de « défendre l’exception culturelle française ». Le 13 janvier dernier, c’est au château de Fontainebleau que Rachida Dati a choisi d’effectuer sa première visite officielle, célébrant ainsi l’affluence record annoncée par l’établissement public pour 2023. Faut-il y voir la preuve d’un intérêt particulier pour la cause du patrimoine ? La nomination de son directeur de cabinet pourrait le laisser entendre : Gaëtan Bruel, normalien de 36 ans, est le fondateur et ancien directeur de la Villa Albertine à New York. Un temps responsable des services culturels de l’ambassade de France aux États-Unis, ce diplomate fit également un passage au Centre des monuments nationaux comme administrateur du Panthéon et de l’Arc de triomphe.
On annonçait Stéphane Bern ou Claire Chazal, ce sera donc Rachida Dati. Un an et demi après le passage de Roselyne Bachelot aux commandes du ministère de la Culture, c’est une nouvelle fois à une figure politique bien connue des Français, résolument tournée à droite, qu’Emmanuel Macron a choisi d’offrir le fauteuil d’André Malraux.
De la place Vendôme à la rue de Valois
Entrée en politique en 2002 en tant que conseillère de Nicolas Sarkozy, cette magistrate de formation est nommée porte-parole de sa campagne en 2007 avant de devenir la première ministre de la Justice de son quinquennat. Elle passera deux années place Vendôme, instaurant notamment les peines planchers et réformant la carte judiciaire. Élue députée européenne en juin 2009, elle prend la route de Strasbourg, cédant son ministère à Michèle Alliot-Marie. Le ralliement surprise à Emmanuel Macron de cette proche de Nicolas Sarkozy n’est vraisemblablement pas dénué d’arrière-pensées politiques : nul n’ignore que la nouvelle ministre convoite de longue date la mairie de Paris qu’un accord entre l’opposition de droite et la majorité présidentielle lui permettrait peut-être de ravir à la gauche en 2026. Si certaines voix s’élèvent déjà pour pointer du doigt sa méconnaissance des problématiques du monde de la culture et sa mise en examen pour « corruption passive » et « trafic d’influence » dans le cadre de l’affaire Carlos Ghosn, d’autres soulignent la maîtrise des rouages de l’administration sur laquelle pourra s’appuyer la nouvelle ministre afin de faire avancer ses dossiers.
Meilleure ennemie d’Anne Hidalgo
« N’ayez pas peur, j’aime me battre », assurait ce matin Rachida Dati. Une déclaration qui n’étonnera pas les observateurs de la vie politique parisienne : maire du VIIe arrondissement de Paris, Rachida Dati a multiplié au fil des années les passes d’armes avec Anne Hidalgo, dont elle fut la rivale malheureuse aux élections municipales de 2020. Cette dernière n’a d’ailleurs pas manqué de réagir sur Instagram à sa nomination en souhaitant « bon courage aux acteurs du monde de la culture compte tenu des épreuves qu’ils vont traverser avec la nomination de Rachida Dati comme ministre de la Culture. » L’hostilité entre les deux élues s’est à plusieurs reprises déplacée sur le terrain patrimonial. Il y a quelques jours seulement, la future ministre interpellait Rima Abdul Malak a propos de la démolition programmée par l’Institut Curie, grâce à un permis délivré par la municipalité, du symbolique pavillon des Sources où travailla Marie Curie (Paris Ve) ; le projet a depuis lors été suspendu, mais l’édifice demeure non protégé. Son sort s’est cependant invité ce matin lors de la passation de pouvoir : « Je sais, chère Rachida, que tu vas veiller au destin du pavillon des Sources de Marie Curie. », confiait Rima Abdul Malak avant de tirer sa révérence. Rachida Dati usera-t-elle de sa position pour entraver les projets soutenus par l’Hôtel de Ville ? Elle pourrait notamment se pencher sur le réaménagement contesté du square de Notre-Dame de Paris, ou encore celui du Champ-de-Mars qu’elle ne s’était pas privée de critiquer par le passé.
Rima Abdul Malak : 20 mois rue de Valois
Fragilisée par ses prises de position dans l’affaire Gérard Depardieu et sa critique de la loi immigration, l’ancienne conseillère culture du Président de la République quitte donc le ministère après vingt mois d’exercice du pouvoir. Dans son discours de départ, elle regrette de n’être pas parvenue à « déjouer la malédiction des deux ans » qui semble frapper les locataires de la rue de Valois. Durant son ministère, elle a notamment œuvré au développement du Pass Culture, assuré l’ouverture de la Cité internationale de la langue française dans l’écrin du château de Villers-Cotterêts, ou encore favorisé les métiers d’art pour lesquels le gouvernement avait débloqué l’an passé une enveloppe de 340 millions d’euros.
Olivier Paze-Mazzi