Le palais Galliera consacre pour la première fois une rétrospective à un artiste vivant : le photographe de mode et portraitiste Paolo Roversi, né à Ravenne en 1947 et installé à Paris depuis 1973. Au fil d’une élégante scénographie, cette éblouissante monographie retrace 50 ans de collaboration avec les plus prestigieux magazines, couturiers et mannequins, à travers 140 œuvres aussi poétiques qu’envoûtantes.
Représenté par les galeries Camera Obscura (Paris) et Pace (New York), Paolo Roversi a côtoyé Robert Frank, Helmut Newton et Peter Lindbergh, travaillé pour Vogue Italia, AnOther Magazine et Luncheon, photographié Inès de La Fressange, Kate Moss, Natalia Vodianova et Naomi Campbell, collaboré avec les maisons de couture Yves Saint Laurent, Azzedine Alaïa, Comme des Garçons, Yohji Yamamoto… S’il a débuté modestement en ouvrant à Ravenne un atelier spécialisé dans le portrait, c’est à Paris que le photographe façonne son style propre dans les années 1980, porté par les sensations et les sentiments.
Le sens de l’épure
« Chacune de ses photographies est un état d’âme, la traduction visuelle d’une émotion ressentie face au modèle, au vêtement porté », résume Nathalie Boulouch dans le superbe catalogue de l’exposition. À l’évidence, nulle emphase, rien de superflu dans les clichés aux tonalités douces et profondes de cet « artisan » de la lumière qui se définit lui-même comme un « photographe lent ». « J’ai besoin d’être à l’étroit », explique Roversi : évoluant à contre-courant des tendances, il renonce très tôt au plein air pour travailler exclusivement dans son studio, immortalisé dans une belle série en noir et blanc. C’est dans l’intimité de son atelier qu’il a su capter les regards magnétiques de Saskia, Guinevere, Stella ou Cristen, dans des portraits et des nus sans artifice. L’exposition dévoile notamment un ensemble de clichés épurés et minimalistes parus dans Nudi, premier livre du photographe, publié aux éditions Stromboli qu’il a lui-même fondées.
Un « hasard contrôlé »
En 1980, Roversi fait une découverte qui change son approche de la photographie : le Polaroid. Il l’utilise jusqu’à la fermeture des usines qui produisaient les pellicules, en 2008, avant de se tourner vers le numérique. Durant trente ans pourtant, la longueur du temps de pose comme l’importance de l’aléatoire inhérents au Polaroid ont façonné sa philosophie de travail. Avec un sens aigu de la poésie et du paradoxe, l’artiste mêle les contours nets et les flous évanescents, les ombres intenses et les jeux de couleurs. Dans sa quête de beauté, ce génial « bidouilleur » laisse s’exprimer l’accident : « j’ai toujours essayé de me surprendre moi-même avec des techniques ou des gestes photographiques un peu inhabituels », affirme-t-il. C’est par hasard qu’il découvre les potentialités offertes par la double exposition (campagne Dior beauté, 1981-1983) ou par l’utilisation de la lampe torche (catalogue Comme des garçons, 1996), mais le hasard est bien sûr contrôlé. Guinevere van Seenus, l’un de ses modèles fétiches, confie qu’il dirige tout en douceur, « comme un partenaire de danse ».
Myriam Escard-Bugat
« Paolo Roversi »
Jusqu’au 14 juillet 2024 au Palais Galliera
Musée de la Mode de la Ville de Paris
10 avenue Pierre Ier de Serbie, 75016 Paris
Tél. 01 56 52 86 00
www.palaisgalliera.paris.fr
Catalogue, Paris musées, 206 p., 45 €.
Paolo Roversi, Emanuele Coccia, Lettres sur la lumière, Gallimard, 168 p., 30 €.