La recherche en marche est à l’honneur au musée Anne-de-Beaujeu. Réunissant une trentaine de tableaux du XVIIe siècle pour la plupart inédits mais classés au titre des Monuments historiques, l’exposition jette un coup de projecteur bienvenu sur une période encore méconnue de l’histoire du Bourbonnais.
La Société d’émulation du Bourbonnais, qui est partiellement à l’origine des collections du musée Anne-de-Beaujeu, n’a accordé à l’art du XVIIe siècle qu’une attention distraite, et pour cause : le Grand Siècle est pris en étau entre la florissante période des ducs de Bourbon (qui s’achève en 1531 avec le rattachement du duché à la couronne de France), et le XIXe siècle, marqué par l’essor du thermalisme. Au Grand Siècle donc, Moulins a perdu son statut de capitale mais elle est le siège de la généralité qui porte son nom.
Un siècle à réévaluer
La ville et sa région, situées loin des frontières, bénéficient d’une prospérité relative, propice aux commandes artistiques des communautés religieuses, des églises et des grandes familles. L’exposition débute autour des portraits de commanditaires prestigieux que furent le marquis d’Effiat, surintendant des Finances sous Richelieu, le fantasque Charles Delorme, médecin des rois, et la pieuse duchesse de Montmorency, exilée à Moulins après la disgrâce de son mari. C’est un récit résolument incarné que propose ici la conservatrice Giulia Longo, au fil d’une trentaine de toiles, bichonnées voire restaurées pour l’occasion. L’ambiance feutrée comme la scénographie contribuent à rendre abordable un siècle parfois complexe à appréhender ; on apprécie tout particulièrement la qualité de la médiation et du parcours enfant (une section nous convie notamment dans l’atelier d’un peintre).
Un travail de longue haleine
« Les foyers provinciaux sont depuis quelques années largement mis en lumière », souligne la conservatrice des antiquités et objets d’art de l’Allier Guennola Thivolle, auteur de la thèse qui a servi de point de départ à l’exposition. Arpentant les églises, les musées et les demeures privées (l’Allier est le deuxième département le plus riche en châteaux !), elle a étudié un vaste corpus d’œuvres dont elle a patiemment retracé l’historique grâce aux archives. Un travail de longue haleine car artistes, œuvres et modèles gravés voyagent aisément au XVIIe siècle. Le Tourangeau Claude Vignon et l’Avignonnais Pierre Parrocel se sont-ils déplacés jusqu’en Bourbonnais ?
La recherche en marche
Les archives demeurent muettes, on sait en revanche que le superbe Christ au désert de Daniel Hallé a été acquis pour 150 livres à Paris afin d’orner la chapelle du château d’Aigrepont à Brezolles. Pour la plupart déplacées à la Révolution et sauvées grâce à la ténacité du peintre local Claude-Henri Dufour, ces œuvres ne sont pas toutes signées ou documentées mais l’exposition pourrait bien contribuer à faire avancer les recherches.
Un baroque assagi
Loin des exubérances d’un Rubens ou d’un Bernin, l’art de la Contre-Réforme en Bourbonnais reflète sans excès les grands courants qui traversent le siècle. L’influence bellifontaine se devine encore dans l’Annonciation d’Isaac Moillon ou l’étonnant cycle de l’histoire de Roland qui décorait le château d’Effiat (anonyme), tandis que le caravagisme marque de son empreinte les œuvres du prolifique Guy François actif au Puy-en-Velay, ou du mystérieux « J. Perron » de Montluçon. Certes, le baroque opulent d’un Giordano se devine dans L’Assomption de la Vierge peinte par Giovanni Gherardini pour le collège des jésuites de Moulins (unique vraie fresque de l’Allier reconstituée au début du parcours), mais l’atticisme parisien, caractérisé par la mesure, l’élégance, la délicatesse et un souci d’exactitude archéologique, a les faveurs des amateurs du cru, en témoigne l’éblouissante Panthée conduite devant Cyrus de Laurent de La Hyre. C’est d’ailleurs à un élève de Simon Vouet, Rémy Vuibert, que la duchesse de Montmorency commande le remarquable décor du plafond de la chapelle de la Visitation, récemment restauré, qui se découvre sur rendez-vous à quelques pas du musée mais qui a été reconstitué au cœur du parcours.
La peinture en héritage
Oscillant à la lisière entre art savant et production artisanale, les peintres actifs à une échelle plus ou moins locale forment parfois de véritables dynasties ; citons les Richier à Moulins et les Bridier à Montluçon. Les plus talentueux quittent toutefois la région pour faire carrière à Paris, à l’instar des deux fils de Gilbert Ier Sève qui œuvreront sur les grands chantiers royaux et intègreront l’Académie royale.
Myriam Escard-Bugat
« Trésors du baroque. La peinture en Bourbonnais au XVIIe siècle »
Jusqu’au 5 janvier 2025 au musée Anne-de-Beaujeu
Pace du Colonel Laussedat, 03000 Moulins
Tél. 04 70 20 48 47
www.musees.allier.fr
À lire : Guennola Thivolle, La peinture en Bourbonnais du XVIe au XVIIIe
siècle, Presses universitaires de Rennes, 2019, 336 p., 35 €.
Catalogue de l’exposition
Trésors du baroque
Éditions Faton
111 p., 26 €.
À commander sur : www.faton-beaux-livres.com