
Vingt-trois ans après l’exposition pionnière du Centre Pompidou organisée par Werner Spies, auteur du catalogue raisonné des sculptures de Picasso, le Guggenheim de Bilbao consacre une rétrospective à ce pan plus négligé de la production de l’artiste. Faisant suite à l’exposition estivale du musée Picasso de Málaga, ce second volet réunit près de 50 sculptures réalisées entre 1909 et 1962. Exclusivement centré sur la représentation humaine, cet ensemble témoigne de la grande inventivité formelle et de la liberté sans limites du maître espagnol.
Le visiteur du musée bilbayen est d’abord accueilli par l’émouvante Femme au vase, coulée en ciment en 1937, et dont l’un des deux tirages en bronze figure, depuis 1973, sur la tombe de l’artiste au château de Vauvenargues. Après ce premier espace rappelant que l’exposition s’inscrit dans le cadre de la commémoration du 50e anniversaire de sa disparition, les salles suivantes retracent de manière chronologique sa production sculpturale.

Vers le volume
Picasso commence à modeler la glaise en 1902 et à tailler ses premiers bois lors de son séjour fondateur à Gósol durant l’été 1906. Ce n’est qu’à partir de 1909 que ses recherches picturales l’incitent à expérimenter davantage en volume. La Tête de Fernande Olivier, sa compagne du Bateau-Lavoir qu’il sculpte dans la terre cette même année, en est l’un des plus beaux exemples. Le volume est fragmenté en une multitude de facettes, comme autant de points de vue possibles, incitant le spectateur à tourner autour de l’œuvre pour reconstituer l’expression de la figure.
Techniques et matériaux industriels
À la fin des années 1920, Picasso expérimente des techniques et matériaux industriels dans le but d’élaborer une nouvelle morphologie de sculpture dite « transparente », à l’instar du monument à la mémoire de son ami Guillaume Apollinaire, réalisé en collaboration avec Julio Gonzàlez, qui s’apparente à un véritable « dessin dans l’espace ». À partir de 1930, il s’installe en Normandie au château de Boisgeloup, où il entame une série de travaux en plâtre de grande échelle inspirés par sa compagne Marie-Thérèse Walter ; il y renoue avec l’art de l’assemblage qu’il poursuivra jusqu’à la fin de sa vie.

Détourner l’objet trouvé
Entre les mains de l’artiste, une amphore se transforme en ventre de femme enceinte, un panier d’osier devient le corps d’une fillette sautant à la corde, des tuyaux et du grillage le panache d’un casque ! Cet usage de l’objet trouvé l’incite à réaliser des sculptures monumentales particulièrement épurées, à l’image des Baigneurs de 1956 qui renvoient aux assemblages cubistes de ses débuts. Ces six figures, originellement créées avec des manches à balai, de vieux cadres et des fragments de meubles récupérés à la décharge, puis fondues en bronze, se transforment dans l’écrin blanc immaculé des volumes de Frank Gehry, en véritables totems contemporains.
Entre peinture et sculpture
Le parcours de l’exposition s’achève sur les sculptures en tôle que Picasso conçoit en carton et réalise avec l’aide de Tobias Jellinek et Joseph-Marius Tiola entre 1954 et 1962. Abordé comme une simple feuille de papier, le métal est découpé, plié, peint et devient tour à tour le visage de sa dernière épouse Jacqueline Roque, la silhouette d’une femme à l’enfant ou le profil de son jeune modèle, Sylvette David. Se jouant des frontières entre peinture et sculpture, ces ultimes œuvres témoignent de l’inventivité perpétuellement renouvelée de l’un des artistes les plus protéiformes du XXe siècle.

Enzo Menuge
« Picasso sculpteur. Matière et corps »
Jusqu’au 14 janvier 2024 au Guggenheim Bilbao
Abandoibarra Etorb., 2, Bilbao
Tél. 00 34 944 35 90 80
www.guggenheim-bilbao.eus
Catalogue, La Fábrica Editorial, versions espagnole-basque, 167 p. et anglaise 144 p., 38 €.