L’art autrement : regards choisis sur l’art.

 

Poussin, peintre érotique ?

Nicolas Poussin (1594-1665), Acis et Galatée, vers 1626. Huile sur toile, 97 x 135 cm. Dublin, The National Gallery of Ireland. Photo service de presse. © National Gallery of Ireland
Nicolas Poussin (1594-1665), Acis et Galatée, vers 1626. Huile sur toile, 97 x 135 cm. Dublin, The National Gallery of Ireland. Photo service de presse. © National Gallery of Ireland

Le musée des Beaux-Arts de Lyon explore un aspect méconnu et pourtant central de l’art de Nicolas Poussin : son rapport à l’amour et à l’érotisme. Au fil d’une cinquantaine d’œuvres, l’exposition présente pour la première fois cet « autre » Poussin, peu connu du grand public, moins austère et plus licencieux, que l’histoire de l’art n’avait jusqu’à présent pas assez considéré. Décryptage en cinq œuvres.

Un Poussin lyonnais

Acquise par le musée des Beaux-Arts de Lyon en 2016, La Mort de Chioné est à l’origine de cette exposition. Peinte à Lyon pour un soyeux vers 1622, en amont du départ de Poussin pour Rome, cette grande composition est la première toile connue de l’artiste. Tiré des Métamorphoses d’Ovide, le sujet met en scène dans un décor crépusculaire l’horrible meurtre de Chioné qui, pour son malheur, s’était vantée de surpasser en beauté la déesse Diane. Placé au cœur de la composition, le corps nu et sans vie de l’infortunée est ouvertement érotisé. En conjuguant ainsi le désir à l’effroi, le jeune Poussin, à l’aube de son triomphe romain, renouvelle déjà le genre du nu mythologique.

Nicolas Poussin (1594-1665), La Mort de Chioné, vers 1622. Huile sur toile, 109,5 x 159,5 cm. Lyon, musée des Beaux-Arts. Photo service de presse. © Lyon MBA – Photo Alain Basset
Nicolas Poussin (1594-1665), La Mort de Chioné, vers 1622. Huile sur toile, 109,5 x 159,5 cm. Lyon, musée des Beaux-Arts. Photo service de presse. © Lyon MBA – Photo Alain Basset

Poussin classé X

Alanguie sur le sol, une Vénus dénudée semble perdue dans une rêverie que sa main posée sur son pubis suggère fort peu chaste… Alors qu’un satyre fait glisser son drapé afin de jouir du spectacle de sa nudité, son compère, en partie masqué par un arbre, s’adonne visiblement au plaisir solitaire des voyeurs… La licence envahit même la flore, comme en témoigne le motif de la vigne semblant enlacer amoureusement l’arbre dressé à l’arrière-plan. Parfaitement maîtrisée, cette composition magistrale est vraisemblablement la plus provocante de l’artiste.

Nicolas Poussin (1594-1665), Vénus épiée par deux satyres, vers 1626. Huile sur toile, 66,4 x 50,3 cm. Londres, The National Gallery. Photo service de presse. © The National Gallery, London
Nicolas Poussin (1594-1665), Vénus épiée par deux satyres, vers 1626. Huile sur toile, 66,4 x 50,3 cm. Londres, The National Gallery. Photo service de presse. © The National Gallery, London

Courbet chez Poussin ?

L’histoire cruelle du trop cupide Midas inspire particulièrement le jeune Poussin qui lui consacrera quatre compositions différentes. Celle-ci est la plus aboutie : agenouillé devant Apollon, le monarque semble le supplier d’exaucer son vœu – à moins qu’il ne le conjure de l’en délivrer. La bacchanale qui se déroule au premier plan met à l’honneur les plaisirs de la chair, de la danse, de la musique et du vin. Symbolisées par une voluptueuse bacchante alanguie, qui semble déjà annoncer l’art de Courbet, les séductions de la nature contrastent avec la médiocrité des ambitions de Midas.

Nicolas Poussin (1594-1665), Midas devant Bacchus, vers 1629-1630. Huile sur toile, 98,5 x 130 cm. Munich, Bayerische Staatsgemäldesammlungen München. Photo service de presse. © BPK, Berlin, Dist. RMN-Grand Palais / image BStGS
Nicolas Poussin (1594-1665), Midas devant Bacchus, vers 1629-1630. Huile sur toile, 98,5 x 130 cm. Munich, Bayerische Staatsgemäldesammlungen München. Photo service de presse. © BPK, Berlin, Dist. RMN-Grand Palais / image BStGS

Éros et Thanatos

Alors qu’il approche de la soixantaine, c’est une vision bien plus sombre et terrible de l’amour que donne à voir Nicolas Poussin, bien loin de la célébration des corps qui marqua ses débuts. Qualifié par lui-même de véritable « tempête sur terre », ce spectaculaire paysage, le plus grand peint par l’artiste, déchaîne à l’arrière-plan les éléments afin de faire écho à la tragédie qui se déroule sous nos yeux. S’inspirant d’un mythe à nouveau décrit dans les Métamorphoses d’Ovide, Poussin met en scène l’histoire malheureuse de Pyrame et Thisbé. Découvrant le cadavre de son amant sur leur lieu de rendez-vous, Thisbé réalise avec horreur qu’il vient de se donner la mort, persuadé que celle-ci vient d’être dévorée par un lion. La récurrence du thème de la mort dans l’œuvre de l’artiste ne pourrait-elle pas, après « Poussin et Dieu » et « Poussin et l’amour », inspirer un troisième volet intitulé « Poussin et la Mort » ?

Nicolas Poussin (1594-1665), Paysage de tempête avec Pyrame et Thisbé, 1651. Huile sur toile, 191 x 274 cm. Francfort-sur-le- Main, Städelsches Kunstinstitut. Photo service de presse. © BPK, Berlin, Dist. RMN-Grand Palais / image BPK
Nicolas Poussin (1594-1665), Paysage de tempête avec Pyrame et Thisbé, 1651. Huile sur toile, 191 x 274 cm. Francfort-sur-le- Main, Städelsches Kunstinstitut. Photo service de presse. © BPK, Berlin, Dist. RMN-Grand Palais / image BPK

Omnia Vincit Amor

Il s’agit de la toute dernière toile de Poussin, peinte d’une main tremblante par le maître qui au soir de sa vie voit ses forces l’abandonner. La lecture de cette œuvre monumentale laissée inachevée est malaisée, tant les personnages manquent de relief, peinant à se détacher sur des fonds parfois seulement ébauchés. L’artiste renoue ici avec le tragique amour d’Apollon pour Daphné conté dans les Métamorphoses d’Ovide, auquel il s’était déjà confronté plus jeune dans les années 1620. La toile met ici en scène la puissance destructrice de l’Amour : le fils de Vénus a condamné à mort Leucippe, qui pour son malheur s’était épris de Daphné, tout en condamnant à la frustration Apollon, dont le désir pour Daphné demeurera éternellement inassouvi. L’amour triomphe des dieux et des hommes. Omnia Vincit Amor.

Nicolas Poussin (1594-1665), Apollon amoureux de Daphné, vers 1664. Huile sur toile, 155 x 200 cm. Paris, musée du Louvre. Photo service de presse. © RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Mathieu Rabeau
Nicolas Poussin (1594-1665), Apollon amoureux de Daphné, vers 1664. Huile sur toile, 155 x 200 cm. Paris, musée du Louvre. Photo service de presse. © RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Mathieu Rabeau

Olivier Paze-Mazzi


« Poussin et l’amour »
Jusqu’au 5 mars 2023 au musée des Beaux-Arts de Lyon
20 place des Terreaux, 69001 Lyon
Tél. 04 72 10 17 40
www.mba-lyon.fr

Catalogue, In Fine, 364 p., 39 €.

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