Elle était en mars dernier l’une des stars de la semaine du dessin. Le château de Versailles vient de s’offrir auprès de la galerie parisienne Nicolas Schwed un ravissant portrait par Simon Vouet immortalisant la jeunesse de la fameuse cousine du Roi-Soleil, qui fut en son temps la princesse la plus riche et la plus titrée d’Europe.
En 1640, la naissance de Philippe, frère de Louis XIV, impose de le distinguer de son oncle Gaston d’Orléans (1608-1660) : le premier sera ainsi appelé le « Petit Monsieur » et le second le « Grand Monsieur ». Anne-Marie-Louise d’Orléans, sa fille, entrera donc dans l’Histoire comme la « Grande Mademoiselle ».
Enfance royale
« Quel roman que ma vie ! », aurait peut-être pu écrire cette princesse plus d’un siècle avant l’Empereur. Petite-fille d’Henri IV, nièce de Louis XIII et cousine germaine de Louis XIV, la Grande Mademoiselle voit le jour sur les marches du trône. Morte en couches, sa mère, la richissime Marie de Bourbon-Montpensier (1605-1627), sera à l’origine de sa fabuleuse fortune. Délaissée par son père Gaston d’Orléans, qui espérait plutôt un fils capable de lui succéder, Anne-Marie-Louise bénéficie de l’affection du couple royal : « J’étais tellement habituée à leurs caresses que j’appelais le roi “mon petit papa” et la reine “ma petite maman” ; je croyais qu’elle l’était, parce que je n’avais jamais vu ma mère », confiera-t-elle dans ses Mémoires.
Le charme et le sérieux
Cette proximité avec les monarques explique vraisemblablement son inclusion parmi les figures de la cour que le peintre Simon Vouet (1590-1649) dessine à la demande du roi ; elle est ici représentée vers 1635, alors âgée d’environ huit ans. En quelques courtes séances de pose, l’artiste saisit à la fois le charme et le sérieux de la jeune princesse ; la feuille de papier brun est utilisée en réserve pour les cheveux, tandis que les mèches sont caractérisées à l’aide de traits de sanguine rouge ou marron et de pierre noire, complétés par de légers rehauts de blanc. Quelques touches de couleur viennent ensuite rosir les lèvres et les joues de la petite fille, restituer le bleu de ses yeux ou orner sa chevelure de fleurs. Si Versailles conserve déjà plusieurs peintures de Vouet, à l’image du décor des quatre Vertus cardinales peint pour orner la chambre d’Anne d’Autriche au château de Saint-Germain-en-Laye, il ne possédait jusqu’à présent aucun dessin de sa main. Présente depuis une quinzaine d’années dans une collection particulière américaine, cette feuille admirable comble donc judicieusement cette lacune.
« Je n’ai jamais eu l’appréhension du moindre châtiment. »
À la fois souveraine de Dombes, duchesse de Montpensier, dauphine d’Auvergne, princesse de Joinville, dame de Beaujeu, comtesse d’Eu ou encore comtesse de Mortain, la Grande Mademoiselle aurait également pu être reine de France. N’imagine-t-elle pas un temps épouser son royal cousin, pourtant de dix ans son cadet, qu’elle nommait enfant son « petit mari » ? Le projet fait long feu. Lorsque la Fronde embrase le pays, elle prend le parti de son cousin, le prince de Condé, cher à son cœur : le 2 juillet 1652, afin de lui permettre d’entrer dans Paris, la princesse rebelle fait tirer sur les troupes royales depuis la forteresse de la Bastille. Cette trahison lui vaudra un exil de cinq ans. Qu’à cela ne tienne. « Je n’ai jamais eu l’appréhension du moindre châtiment. », plastronne-t-elle.
Lauzun à tout prix
Courtisée par toute l’Europe, la duchesse de Montpensier finit par jeter son dévolu sur le duc de Lauzun (1633-1723), gentilhomme désargenté et terriblement volage. Devant le scandale que suscite à la cour ce projet de mariage entre la plus riche princesse d’Europe et un intrigant cupide, Louis XIV renonce finalement à donner son accord. Elle s’acharne. N’a-t-elle pas accepté, pour le faire sortir de prison, de céder au chantage de Louis XIV en renonçant à la principauté souveraine des Dombes et au comté d’Eu en faveur de l’aîné des fils légitimés du roi et de Madame de Montespan ? Ce mariage morganatique semble finalement avoir eu lieu secrètement, vers 1671 ; il échoua manifestement à la rendre heureuse : cette figure du Grand Siècle termina sa vie dans la dévotion, loin de la cour qui ne l’appréciait guère.
La Grande Mademoiselle à Versailles
Comptant assurément parmi les plus anciennes représentations connues de la nièce de Louis XIII, cette nouvelle effigie complètera désormais à merveille la réunion de portraits d’elle que conserve déjà Versailles. On y trouve ainsi une effigie attribuée à Gilbert de Sève (1618-1698), célèbre grâce à sa diffusion par une gravure de Pierre Van Schuppen en 1666, une autre par Pierre Bourguignon (1630-1698), qui livre là son morceau de réception à l’Académie royale le 5 mars 1672 , ou encore le grand portrait par Jean Nocret placé dans l’antichambre de l’Œil-de-Bœuf, qui accueille également La Famille royale dans l’Olympe, toile immense du même artiste qui vient d’être somptueusement restaurée ; la Grande Mademoiselle y est immortalisée en Diane.
Olivier Paze-Mazzi